Eau [3/3] Pénurie d’eau, la goutte de trop pour Mayotte

Les problèmes d’eau qui perturbent la vie des habitants de Mayotte depuis quelques semaines génèrent un effet de panique auprès de la population. Beaucoup se ruent dans les magasins à la recherche de packs d’eau, devenus une denrée rare. Les grandes surfaces et les petites boutiques sont à sec. Les prémices d’une pénurie d’eau se font déjà ressentir, et la situation n’est pas près de s’améliorer avant le début de l’année prochaine. C’est le sujet du jour consacré à notre série d’articles sur l’eau.

eau-penurie-eau-goutte-trop-mayotte« On ne trouve plus d’eau en bouteille à Mamoudzou. Je n’arrête pas de tourner dans les magasins et il n’y a rien. » Le désespoir se fait sentir dans la voix de Sitti. Cette mère de famille a entamé une course contre la montre, elle doit absolument trouver de l’eau potable puisque celle qui coule dans son robinet ne l’est plus. « J’achetais déjà de l’eau en bouteille pour les enfants. Mon mari et moi buvions celle du robinet. Mais depuis qu’elle est jaune, ce n’est plus possible », explique-t-elle. Habitante à M’tsapéré, son quartier fait partie des zones touchées par le manganèse. Même si la SMAE affirme que cette eau n’est pas dangereuse pour les adultes, elle n’ose pas prendre le risque de la consommer. Conséquences, elle doit acheter deux fois plus de packs d’eau, mais encore faut-il qu’elle en trouve…
Depuis le début des coupures, l’eau se fait rare en magasin. Pour s’en procurer, il faut parfois jouer de ses connaissances. « En Petite-Terre, quand tu connais quelqu’un qui travaille dans un magasin, tu peux avoir de l’eau, autrement c’est compliqué », assure Nassem de Pamandzi. Les coupures et la qualité de l’eau ont précipité les ruptures de stock, certaines personnes allant jusqu’à stocker des bouteilles pour plusieurs semaines. « Il y a eu des abus, certains achètent des dizaines de packs en même temps. Mais je les comprends car c’est tellement la crise que les gens ne sont plus raisonnables », indique le trentenaire. Problème, cela génère davantage de panique auprès de la population qui achète encore plus, et les premiers arrivés sont généralement les plus chanceux. « Nous avions habituellement en permanence de l’eau dans nos magasins, avant les coupures. Maintenant, la livraison d’un stock d’eau ne tient que deux heures en magasin », indique Nassroudine Mlanao, le directeur du groupe Sodifram. Un phénomène qui fait exploser les chiffres des enseignes. « Depuis qu’ils ont mis en place la deuxième coupure d’eau, nous avons constaté une forte augmentation des ventes en bouteille. En une semaine, nous avons vendu l’équivalent de deux mois de stock », annonce Kemal Akbaraly, responsable import à la Somaco. Une situation qui ne réjouit pas forcément la grande distribution puisque les magasins sont à la limite de la rupture alors que les problèmes liés à l’eau courante ne sont pas près d’être résolus.

Les semaines à venir en flux tendu

Les groupes Sodifram et Somaco tiennent le même discours, leurs réserves ne tiendront pas longtemps. Une quinzaine de containers remplis de packs d’eau vont arriver dans les prochains jours, mais ils ne feront pas long feu. « Ça va aller vite puisque nous en écoulons un par jour et en plus, il n’arrive pas à tenir la journée. Donc ces quinze containers, c’est pour quinze jours », fait savoir le directeur de Sodifram. Il faudra ensuite attendre plusieurs semaines avant de recevoir un nouvel arrivage conséquent. « Nous avons un navire avec beaucoup de containers qui débarque tous les 30 à 40 jours. Donc c’est sûr que nous connaîtrons une rupture avant l’arrivée du prochain navire. Nous venons de sortir d’une rupture, mais nous allons replonger dans à peu près trois semaines », annonce Nassroudine Mlanao. Rien de très rassurant pour la population. Pourtant, les entreprises assurent avoir anticipé puisque la situation n’est pas nouvelle sur le territoire. « L’année dernière aussi il y a eu des coupures d’eau et il y a eu les mêmes phénomènes de rupture. Depuis toutes ces années, entre octobre et février il y a toujours des problèmes d’eau avec la SMAE. Nous avons donc commandé notre stock depuis des mois, mais le temps de transport a été beaucoup rallongé et les coûts d’acheminement ont augmenté », explique le responsable import de Somaco. L’île semble être bien partie pour vivre au rythme des ruptures de stocks d’eau pendant encore plusieurs mois.

De l’eau à n’importe quel prix

Ces derniers jours, il n’est pas rare de voir dans les petites boutiques indépendantes, des packs d’eau à des prix inhabituels. « Je suis allée dans un Douka à M’tsapéré et j’ai acheté un pack de petites bouteilles à 13 euros », raconte Sitti, la mère de famille qui ne lésine pas sur les moyens. Et elle n’est pas la seule dans ce cas. « Je ne compte pas combien je dépense pour l’eau. Dès que j’en trouve, j’en prends, je ne regarde même plus les prix. Si jamais demain les grandes surfaces vendent l’eau à 10 euros, j’achèterai », affirme Nassem. Pour l’heure, la situation ne devrait pas en arriver là, mais il faut tout de même s’attendre à une augmentation des prix en magasin. « Nous n’avons pas profité de la pénurie pour changer les prix, mais ces derniers mois, les coûts sur les transports maritimes ont augmenté alors il y aura forcément une répercussion sur les prix des bouteilles d’eau », souligne Kemal Akbaraly. Cependant, ce dernier assure qu’ils ne font que très peu de marge sur l’eau car il s’agit d’un produit de première nécessité. Sodifram aussi annonce que les tarifs augmenteront dans ses magasins pour les mêmes raisons de fret. Entre la pénurie d’eau et la hausse des prix, l’eau en bouteille est d’ores et déjà une denrée rare que tout le monde ne pourra pas se permettre d’avoir.

Le député Mansour Kamardine alerte le gouvernement sur la crise de l’eau à Mayotte

eau-penurie-eau-goutte-trop-mayotteLors de la séance questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le député Mansour Kamardine a rappelé au gouvernement, en la personne de Sébastien Lecornu, toutes les problématiques liées à l’eau, récurrentes à Mayotte depuis cinq ans. Il a évoqué les questions actuelles concernant la potabilité de l’eau et le plan d’urgence élaboré en 2017 qui prévoyait la construction sur Petite-Terre, d’une usine de dessalement produisant 6.000 mètres carrés d’eau par jour et d’une 3ème retenue collinaire. Aujourd’hui, le chantier de cette dernière n’est pas lancé et l’usine de dessalement existe ne produit pas la quantité d’eau demandée. Le ministre des Outre-mer rejette la faute sur l’entreprise Vinci, chargée de l’usine de dessalement « Le compte n’y est pas de la part du délégataire Vinci… Le dossier n’avance pas assez vite. » Concernant la troisième retenue collinaire, les élus locaux sont également épinglés. « Cela fait plusieurs fois que l’État propose aux élus locaux de se substituer en maîtrise d’ouvrage et nous n’avons toujours pas de réponses », indique Sébastien Lecornu.

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