À l’occasion de la visite du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, à La Réunion en début de semaine, l’union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers de l’océan Indien s’est entretenue avec son conseiller santé lundi après-midi. Une réunion à laquelle a pris part en visioconférence Ismaël El Habib, vice-président élu le 4 juin dernier, qui a pu remonter les spécificités du 101ème département.
Flash Infos : Que retenez-vous de l’échange entre l’URPS Infirmiers océan Indien et le conseiller santé du ministre des Outre-mer à La Réunion ?
Ismaël El Habib : Nous sommes rassurés dans le sens où pour une fois, on nous a bien écoutés ! Sur l’heure d’entretien qui nous a été accordée, nous avons pu exposer un certain nombre de points pendant 40-50 minutes. D’habitude, c’est plutôt l’inverse… Nous avons fait remonter les problématiques rencontrées par les collègues et les patients. Il a pris note de nos revendications. Maintenant, nous attendons les actes ! Malheureusement, il sera difficile de faire bouger les lignes dans l’immédiateté en raison de la campagne présidentielle. S’il y a du mouvement, ce sera après l’élection du mois d’avril, mais il va faire en sorte que nos doléances soient stipulées dans le programme électoral. À suivre donc…
FI : Vous avez pu mettre en lumière des problématiques spécifiques à Mayotte, notamment l’insécurité à laquelle sont confrontés les professionnels de santé.
I. E. H. : C’est de plus en plus compliqué pour les collègues qui travaillent dans le secteur de Mamoudzou ! Certains bouclent leur tournée avant 18h pour ne pas être confrontés aux violences urbaines qui sévissent à la tombée de la nuit. D’autres se déplacent en deux roues à cause des embouteillages chroniques, mais ils ne peuvent transporter l’intégralité de leur matériel. Dans ces conditions, la prise en charge devient forcément problématique…
Ce climat délétère ne se situe pas uniquement dans la ville chef-lieu. Sur Combani, il y a des patients à qui nous ne pouvons pas rendre visite pendant deux ou trois jours d’affilée, voire pendant même une semaine, en raison des zones de non-droit qui nous empêchent de nous déplacer sur place. Et même quand le calme revient, certains infirmiers n’osent même plus s’y rendre tellement ils ont la boule au ventre ! Notre interlocuteur a dit que l’État faisait le nécessaire pour gérer la situation en dépêchant des militaires. Mais nous avons plutôt l’impression qu’ils assistent impuissamment à toute cette violence
FI : Vous avez également profité de votre intervention pour interpeller sur les problèmes d’accès aux soins et sur la rupture de continuité des soins…
I. E. H. : En période de pluie, il est difficile de rejoindre certaines habitations isolées dans les hauteurs. Sans route, certains infirmiers doivent faire le trajet à pied, avec de l’eau jusqu’aux genoux… Ces conditions nous fatiguent et impactent notre moral ! Sans oublier les coupures d’eau qui empêchent de réaliser une toilette. C’est inhumain. Idem pour les coupures d’électricité, comme celle vécu lundi dernier, qui rendent la manipulation difficile chez les patients alités et grabataires.
L’autre problématique concerne les patients sujets à une expiration de leur titre de séjour. Si une personne tombe malade deux ou trois semaines avant la date fatidique et que les soins prescrits par le médecin doivent durer un mois, elle n’a plus de couverture sociale. Déontologiquement, nous ne pouvons pas l’abandonner ! Conséquence : nous nous débrouillons avec les moyens du bord, nous avançons personnellement le matériel. Pourquoi ne pas le prolonger de quelques jours jusqu’à la guérison ? Nous ne demandons pas un renouvellement, mais un ticket modérateur pour poursuivre la prise en charge jusqu’à son terme.
FI : D’un point de vue plus général, comment analysez-vous les effectifs des infirmiers libéraux dans le 101ème département ?
I. E. H. : Nous recensons à peu près 150-160 infirmiers libéraux, remplaçants compris, sur l’ensemble de l’île. C’est en constante évolution, de nouvelles autorisations sont attribuées chaque année et tous les départs sont compensés. Néanmoins, nous avons besoin de davantage de création de cabinets. Pour rappel, tout le territoire est placé en zone sous-dotée. Cela sous-entend qu’il existe de nombreuses aides et mesures pour inciter à l’installation ou pour toucher une compensation en cas de chiffre d’affaires non atteint.
Même si la majorité de nos infirmiers sont des locaux, il y a toujours un manque. Heureusement, ce n’est pas autant que chez les spécialistes et les généralistes. Ces contrats incitatifs ne changent pas la donne pour eux ! Nous souffrons énormément de ce désert médical, qui, je le précise, n’est pas spécifique à Mayotte. Exemple : lorsqu’un décès survient au domicile, le médecin ne vient quasiment jamais le constater instantanément pour la simple et bonne raison qu’il est débordé. Il faut parfois attendre jusqu’à quatre jours… On nous délègue cette tâche, mais celle-ci ne rentre pas dans notre champ de compétences. Nous ne pouvons pas rédiger le certificat.
Nous espérons que les choses s’amélioreront, mais je peux comprendre que les professionnels de santé ne veulent pas venir ou ne souhaitent plus rester. Toute cette attractivité repose sur les épaules des autorités sanitaires et gouvernementales.
FI : Quels les points sur lesquels vous allez apporter une attention toute particulière à court terme ?
I. E. H. : Nous attendons avec impatience l’e-santé, une stratégie nationale portée par le ministère de la Santé qui va nous permettre de numériser les dossiers et de communiquer de manière sécurisée entre professionnels de santé. Nous espérons ne pas accuser de retard et bénéficier de cet outil en même temps que la métropole et les autres territoires ultramarins. Entre le désert médical et le manque d’infrastructures, cela nous poussera à travailler en collaboration et à améliorer l’offre de soins.
Même son de cloche concernant la CMU. Son déploiement avait été annoncé en 2019 par l’ancienne ministre des Outre-mer, Annick Girardin. Malheureusement, nous ne voyons toujours pas le bout du tunnel et nous n’avons toujours pas de planning établi…