Distribution alimentaire : « Il y a urgence, il faut des actes, on ne peut plus attendre »

Face à la croissance inquiétante des besoins en aide alimentaire, Médecins du monde a décidé de donner de la voix pour faire bouger les lignes. Objectif, unir toutes les forces du territoire pour répondre à l’urgence et permettre aux populations défavorisées d’accéder au minimum vital que le confinement a drastiquement restreint. Le tout sous l’égide des pouvoirs publics, les seuls à même de coordonner l’action globale que l’ONG appelle de ses vœux. Explications avec Lolita Lopez, coordinatrice du programme Mayotte chez Médecin du monde.

Flash Infos : Comment Médecins du monde s’est réorganisée depuis le début de la crise sanitaire sur le territoire ?

Lolita Lopez : Nous poursuivons au mieux nos missions, en se focalisant sur la sensibilisation. Mais la crise fait que la situation est compliquée, notamment au niveau de la mobilisation des bénévoles. Au vu de nos effectifs réduits, nous avons donc opté dans un premier temps pour de la communication et de la sensibilisation à distance. Cela se traduit par des affichages dans les quartiers dits informels afin de rappeler les bons gestes pour se prémunir de l’épidémie ainsi que les différents accès aux soins qui existent. Nous les avons diffusés à travers des relais communautaires tels que les mosquées. Par ailleurs, nous développons actuellement un dispositif d’information par SMS afin, encore une fois, d’effectuer de la prévention : nous rappelons par exemple ce qu’est le coronavirus et comment l’identifier, qu’il ne faut pas prendre d’anti-inflammatoires en cas de symptômes etc. L’objectif de ce dispositif est également de tenir les populations informées sur des aspects plus pratiques comme la réouverture du dispensaire Jacaranda.

F.I : Quels sont les retours du terrain ?

L.L : Très vite, nous avons été confrontés au contexte actuel qui est très préoccupant. Les gens n’entendent pas les messages de sensibilisation car ils sont avant tout dans une logique de survie. Nous récoltons des témoignages très forts de personnes qui nous interpellent en nous expliquant qu’on peut leur parler de confinement mais que de leur côté, ils meurent de faim.

Dans ce contexte, on ne peut pas effectuer de prévention digne de ce nom car sur le terrain, les gens ont faim. Et ceci n’est pas vrai que dans les bidonvilles de Kawéni, c’est aussi vrai dans les campagnes par exemple. Il est aussi important de rappeler qu’il ne s’agit pas que d’un type de population, cette crise sociale ne fait pas de distinction de statut ou de nationalité, tous les habitants de Mayotte sont concernés. Tous les habitants peuvent être confrontés au manque de nourriture et par un accès à l’eau très limité qui s’aggrave avec la problématique de bornes fontaines qui ne sont pas toujours opérationnelles.

F.I : Comment en est-on arrivé là ? De nombreuses associations se mobilisent pour distribuer des vivres, est-ce insuffisant ?

L.L : Nous avons confiance dans les différents acteurs associatifs qui se mobilisent au quotidien mais leur marge de manœuvre est forcément limitée. C’est la raison pour laquelle nous demandons un vrai positionnement de la préfecture afin de coordonner ces actions. Il est également indispensable d’estimer les stocks et les moyens pour apporter une réponse globale. Vu l’ampleur des besoins, il est difficilement concevable de laisser les petites associations seules de leur côté pour tenter de répondre à la crise. Car cela signifie aussi les mettre en difficulté, on leur impose de fait de choisir entre les publics bénéficiaires. Comment faire lorsque l’on a 20 kits à distribuer et que 100 familles frappent à la porte ?

F.I : Vous insistez sur le rôle que doit tenir la préfecture, comment celui-ci devrait se matérialiser ?

L.L : Sur de nombreux point et même si nous travaillons en lien étroit avec l’ARS, la préfecture est le principal acteur, seul à même d’assurer la coordination et de centraliser l’information. Pour l’heure, il est par exemple impossible pour toute association, même la Croix Rouge, d’évaluer le stock alimentaire de l’île. Nous n’avons aucune idée de ce qui est disponible et cela nous met forcément en difficulté pour monter les programmes. Seule la préfecture est en mesure de faire ça, c’est à elle qu’il revient de mener cette évaluation. Soit elle la réalise effectivement, soit elle la délègue à un autre acteur mais il est indispensable que cela soit fait.

L’urgence est là mais nous manquons énormément d’information. Les associations sont prises d’assaut dès lors qu’une distribution alimentaire s’organise, c’est donc qu’il y a un vrai besoin mais pour autant, on ne voit toujours pas les pouvoirs publics s’organiser en conséquence. Il y a clairement un problème… Est-ce qu’on ne mesure pas ce qu’il se passe ? Est-ce que l’on se sent incapable de gérer cette problématique ? Je ne sais pas mais une chose est sûre : nous sommes là, disponibles aux côtés de nombreux partenaires avec nos différentes expertises mais il nous faut un cadre d’action commun.

À travers le communiqué que nous avons diffusé mardi, nous avons d’alerter les pouvoirs publics sur l’impérieuse nécessité d’agir, et vite. Car pour l’heure, les réponses ne viennent pas. Les associations sont submergées et nous nous retrouvons en désarroi face aux populations. Aujourd’hui, il y a urgence, il faut des actes, on ne peut plus attendre.

F.I : De votre côté, que préconisez-vous, tant sur le terrain que dans cette réponse globale ?

L.L : Sur le terrain comme dans la réponse globale, notre message est clair : il faut unir nos forces. Toutes nos forces autour d’une démarche globale de distribution alimentaire qui permette de sécuriser les besoins de toute la population qui se retrouve aujourd’hui démunie. On ne peut pas ne rien faire, nous soutenons évidement les petites actions qui œuvrent à leur échelle mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, seuls les pouvoirs publics, avec l’appui de nos structures, sont en mesure d’initier cette démarche.

D’un point de vue médical, nous soutenons le confinement mais nous voyons bien actuellement que ce n’est pas possible de le mettre en œuvre, ne serait-ce que pour les personnes qui n’ont pas d’accès à l’eau et qui doivent donc se déplacer pour se ravitailler alors même que les bornes fontaines connaissent des difficultés de service. Dans ce cadre, par exemple, nous proposons de mettre en place des rampes d’accès pour acheminer l’eau. Il s’agit d’actions réalisables, que nous avons évaluées. Aux pouvoirs publics, dorénavant, de s’en saisir et de le mettre en œuvre sans tarder. Car, encore une fois, il y a urgence.

 

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