Depuis le premier cas de coronavirus confirmé à Mayotte, les indicateurs et la manière de les suivre ont évolué au gré de l’épidémie. Pour bien comprendre la réalité derrière les chiffres, Marion Subiros, épidémiologiste à la cellule locale de Santé publique France (SPF), décrypte pour Flash Infos les bulletins d’information publiés chaque jour par l’agence régionale de santé.
Vous souvenez-vous du bon vieux R0 ? Derrière cet acronyme à l’air tout droit sorti d’un roman de science-fiction se cachait en réalité un indicateur plutôt basique. À savoir, le taux de reproduction du virus, ou “nombre de production de base” (ratio 0) en jargon d’épidémiologistes. C’est simple : si R est supérieur à un, cela signifie qu’un cas positif au Covid-19 contamine plus d’une personne. Limpide, non ? Eh bien, aujourd’hui, “Mayotte est sur le podium”, résume Marion Subiros, épidémiologiste à Santé Publique France. Soit un joli 1,5, contre un plus raisonnable 0,98 au niveau national. Encore un signe probable, s’il en fallait un de plus, d’une contamination locale par le variant sud-africain… Mais pourquoi cet indicateur a-t-il disparu des radars ?
La cellule locale de SPF, chargée de suivre l’évolution de l’épidémie pour aiguiller les décideurs comme l’Agence régionale de santé, ne l’a pas oublié. Mais les petites mains des experts de la donnée épidémique ne suivent pas à la loupe chaque cas de Covid qui passe sous le coton-tige. D’où un savant calcul qui permet à leur machine de mouliner pour aboutir à ce résultat. “Cet indicateur va nous expliquer ce qui se passe sur les une à deux semaines qui précèdent le calcul”, développe Marion Subiros. S’il est certes parlant, ce n’est pas donc pas le plus efficace pour analyser l’évolution et la dynamique de l’épidémie au jour le jour.
Et, en réalité, “il ne faut jamais sortir un indicateur isolé”, avertit la spécialiste. Mince, premier loupé ! Vu notre amateurisme en épidémiologie, nous avons essayé de décortiquer les bulletins fournis chaque jour par l’agence régionale de santé de Mayotte – qui se base donc elle-même sur les chiffres produits par Santé publique France.
La semaine “glissante”
Première information : le nombre de nouveaux cas par semaine glissante. Soit 2.248 en date du 9 février contre 1.891 deux jours plus tôt… 300 cas de plus en deux jours ?! Pas vraiment. “Je concède que ce chiffre présenté ainsi peut porter à confusion”, sourit Marion Subiros. Toute la subtilité réside dans ce concept de “semaine glissante”. Et pour bien comprendre, il faut savoir comment les données arrivent jusqu’aux décideurs. “Il y a un délai entre le moment où la personne est prélevée, le moment où le préleveur rentre le résultat dans Si-dep (le portail national pour suivre les dépistages NDLR), et celui où tout cela remonte jusqu’aux bases de données”. En moyenne, trois jours de temps. Au moment de la publication, l’ARS exclut donc les chiffres des trois derniers jours, pour “consolider” la donnée, c’est-à-dire la rendre plus fiable. Même si raisonner au jour le jour semble plus évident pour le commun des mortels, l’information n’a pas de valeur à l’instant T.
Incidence, positivité, dépistage : le triumvirat
Voilà pour la semaine glissante. Quid du reste ? “Les trois indicateurs clés sont le taux d’incidence, le taux de positivité des tests, et le taux de dépistage, qui sont indissociables à mon sens”, déroule la Madame chiffres de SPF Mayotte. Si les trois affichent une hausse rapide et intense depuis quelques semaines, il y en un qui explose : l’incidence, avec 804,4 cas pour 100.000 habitants. Or cet indicateur est très sensible aux tests réalisés. “Forcément, si on teste plus, on trouve plus, c’est logique”, confirme Marion Subiros. D’où l’importance de le mettre en lien avec ses deux compères. Et aucun des deux ne boude la tendance… En clair, oui, on teste plus, oui, on trouve plus. Et oui, cela signifie que le virus circule plus.
Hospitalisations, médecine, réanimation : la “photo” de l’hôpital
Et d’ailleurs, toutes les courbes de Santé publique France confirment cette dynamique particulière, bien plus inquiétante que lors de la première vague. L’autre indicateur phare ? Les hospitalisations. “À mon niveau, je le vois : l’année dernière, je ne me réveillais pas le matin avec quatre admissions en plus chaque jour signalées par les réanimateurs. Ça m’a interpellée”, décrit encore la statisticienne en faisant glisser son doigt le long de la courbe à l’écran. Deux données sont scrutées par l’épidémiologiste et son équipe : les admissions à l’hôpital, et le nombre de passages en service de réanimation. Rien que pour cette courbe, le top du top atteint pendant la première vague ne dépassait pas les 15 patients atteints la semaine dernière (ce chiffre ne concerne que les cas où le Covid est la raison principale du passage sous respirateur, et exclut les cas où une personne a été admise pour un autre motif bien que porteuse du Sars-Cov-2). La semaine dernière, la petite barre rouge tapait la ligne des 15 ! Le souci de cet indicateur ? Son petit décalage dans le temps. Entre le moment où une personne contracte le virus, et celui où elle arrive aux urgences avec une forme sévère, il peut se passer quelques jours. Une donnée qui explique, aussi, les effets tardifs des mesures de restriction comme le confinement sur la dynamique épidémique… À bon entendeur.
Nouveaux décès : la faute du variant ?
Quant aux décès, 68 au total, contre 10 de moins un mois plus tôt : difficile pour l’heure de déterminer si cette nouvelle vague, et donc, le variant sud-africain, sont plus meurtriers que la première. Ce que l’on sait pour l’instant : le virus est plus contagieux, et a donc pour conséquence de toucher plus de personnes fragiles. “Aujourd’hui, dans nos analyses, nous ne constatons pas de différence sur le genre ou la moyenne d’âge par exemple, mais peut-être une petite différence sur les comorbidités : il semblerait que l’on voie un peu plus de patients graves sans comorbidité apparente”, explique Marion Subiros. “Mais tout cela reste à confirmer !”, s’empresse-t-elle d’ajouter.
Pour la rédaction de cette article, nous avons pris en compte le bulletin de l’ARS du 9 février.