Les derniers chiffres de l’agence régionale de santé de Mayotte semblent montrer un léger infléchissement de l’épidémie dans le département. Mais il faudra au moins trois à quatre semaines pour que la pression retombe au CHM, avertit Dominique Voynet.
Peut-être une lueur au bout du tunnel. Le taux d’incidence semble miraculeusement marquer le pas ces derniers jours : de 869 cas pour 100.000 habitants jeudi (sur la semaine glissante du 2 au 8 février), il est passé à 818 dans le dernier bulletin de l’agence régionale de santé, publié dimanche. “Pour la première fois depuis plusieurs semaines, nous avons une sorte de stabilisation du nombre de nouveaux cas, des taux d’incidence et de positivité. Nous pourrions nous rassurer hâtivement face à ce qui s’apparente à un plateau, mais beaucoup d’éléments nous disent le contraire”, a mis en garde la directrice de l’autorité sanitaire, Dominique Voynet, lors d’un point presse vendredi.
Et elle ne faisait pas si bien dire : deux jours plus tard, le taux de positivité des tests continuait à grimper de 27,8% vendredi à 28,8% dimanche, tout comme le nombre d’hospitalisations. Hier, 152 personnes étaient hospitalisées au CHM (contre 142 vendredi), dont 25 en réanimation (28 vendredi) et 57 en soins aux urgences. Et ce, alors même que trois décès supplémentaires sont à déplorer, portant à 78 le bilan total depuis le début de l’épidémie à Mayotte. Des chiffres qui prouvent donc que l’heure n’est pas au relâchement. “Il y a un délai de trois semaines entre l’augmentation des contaminations et l’augmentation des hospitalisations. La pression sur les lits va rester soutenue au moins pendant les trois ou quatre semaines prochaines, voire encore davantage”, a insisté l’ancienne ministre.
Le Malin doit arriver mardi dans les eaux de Mayotte
Qui dit pression sur les lits, dit pression sur les moyens matériels et humains dont dispose Mayotte. Alors que la consommation d’oxygène a été multipliée par quatre avec cette deuxième vague particulièrement virulente, poussant à bout même la nouvelle unité de production autonome du CHM, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu a annoncé vendredi l’envoi du patrouilleur de la Marine nationale Le Malin, habituellement basé à La Réunion, avec entre autres à son bord des stocks d’oxygène pour l’hôpital de Mayotte. Le navire doit arriver mardi dans les eaux de l’île au lagon.
Ouverture anticipée de l’hôpital de Petite-Terre, “dans 20 jours max”
Mais encore faut-il avoir les lits pour intuber tous les patients… La question d’un manque de places se pose particulièrement dans le service de réanimation qui a déjà doublé ses capacités. Malgré cela, le flou demeure quant à l’éventualité d’une flambée des cas graves nécessitant le passage sous respirateur. Si l’ouverture anticipée du service de soins de suite et réadaptation (SSR) de l’hôpital de Petite-Terre – prévue “dans vingt jours maximum”, a garanti Dominique Voynet – va donner une petite bouffée d’air aux personnels soignants, il sera destiné “en priorité à des patients non-Covid”. “L’idée est d’y transférer les patients tièdes ou froids qui n’ont pas besoin de la présence dans les murs d’un réanimateur”, a précisé la directrice de l’ARS. Côté bras disponibles, 35 personnels sont déjà sur le pont, et 15 supplémentaires devraient venir grossir les rangs pour armer cet hôpital annexe.
Evasan et mission ESCRIM
Les autres pistes pour libérer les services surchargés du CHM ? D’une part, les évacuations sanitaires vers La Réunion, qui se poursuivent au pas de course. Trois équipes de pilotage se relaient pour faire deux aller-retours par jour, sept jours sur sept, grâce à l’avion sanitaire. Et il se pourrait bien que des évacuations vers la métropole finissent par se mettre en place “si nécessaire”. D’autre part, les hospitalisations à domicile, qui devraient pouvoir monter de 52 actuellement à 70 au maximum, a chiffré la responsable. Par ailleurs, une mission d’évaluation de la sécurité civile pour l’installation d’un hôpital de campagne de type ESCRIM (élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale) a débuté la semaine dernière pour renforcer les capacités hospitalières en cas de saturation des hôpitaux, notamment en soins intensifs.
Une hypothèse que Dominique Voynet balaie toutefois d’un revers de main. “L’ESCRIM, c’est de la médecine en cas de catastrophe brutale de type éruption volcanique, cyclone dévastateur où il faut faire des amputations à tour de bras… Ce n’est pas le métier d’un réanimateur médical. Si l’ESCRIM vient, cela sera surtout avec des effectifs complémentaires sur la radiologie, la biologie, la pharmacie, la réanimation.” Pas de tentes blanches et tout le tintouin donc ? En tout cas, pas à en croire la stratégie de l’ARS, ou du moins celle qui était encore d’actualité vendredi dernier. Mais si cette crise sanitaire nous aura appris une chose, c’est bien de ne jamais dire jamais !
Le confinement fait-il ses preuves ?
Difficile à dire, à en croire les épidémiologistes de Santé publique France. Dans leur dernier point régional pour Mayotte en date du 11 février, les experts de l’épidémie notent en tout cas que le couvre-feu ne semble pas avoir eu beaucoup d’effets, à en croire la hausse du nombre de nouveaux cas et du taux d’incidence depuis son instauration (multipliés par trois depuis la semaine du 21 janvier). “Il est trop tôt pour évaluer l’effet des confinements localisés sur les communes de Dzaoudzi, Pamandzi et Bouéni”, peut-on encore lire dans ce dernier bulletin. Et même constat de prudence quant au confinement généralisé. Pour sa part, la directrice de l’ARS fait moins dans la dentelle : “selon moi, il n’y a pas de confinement aujourd’hui, à part pour la fermeture des écoles”, regrette Dominique Voynet. Qui voit toutefois dans les chiffres encourageants de Bouéni à la suite de sa mise sous cloche en janvier, des effets positifs des mesures de restriction. +1 pour les bons élèves du confinement !
Pas d’AstraZeneca pour Mayotte et ses 40% de variant sud-africain
Il a l’air de donner de sacrés coups de chaud en métropole. Mais ce n’est pas pour cette raison que Mayotte se passera du vaccin développé par le laboratoire britannique AstraZeneca et l’université d’Oxford. Après l’Afrique du Sud qui a renoncé à l’utiliser à cause des doutes sur son efficacité contre le variant local du Covid-19, le gouvernement a exclu d’en acheminer jusqu’à Mayotte. Un produit que l’ARS attendait pourtant “avec impatience”, car il peut être utilisé à température ambiante, contrairement au vaccin Pfizer, à la logistique bien plus complexe. “Mais s’il n’est pas efficace sur le variant sud-africain, vu que nous considérons qu’il circule à hauteur de 40% du nombre de cas positifs à Mayotte, nous ne l’aurons pas”, a confirmé Dominique Voynet.
Le rôle clé de Santé publique France dans la surveillance de l’épidémie
Ce sont les petites mains dans l’ombre qui suivent les chiffres indispensables à l’agence régionale de santé. Si elle n’a pas de rôle décisionnaire, l’équipe de SPF à Mayotte fournit chaque jour à l’autorité sanitaire les trois indicateurs clés pour surveiller la dynamique épidémique, obtenus à partir des données virologiques transmises dans le système d’information et de dépistage du Covid-19 (SIDEP), à savoir : taux de dépistage, de positivité et d’incidence. En plus de ces trois statistiques, SPF réalise une surveillance quasi en temps réel des hospitalisations au CHM grâce à la base de données SIVIC, qui permet de suivre le nombre quotidien d’admissions en hospitalisation conventionnelle et en réanimation et le nombre quotidien de patients Covid au CHM selon leur statut : en cours d’hospitalisation (conventionnelle ou réanimation), retourné à domicile, décédé. Un travail de fourmis donc, pour la petite cellule locale de quatre épidémiologistes, qui a obtenu deux renforts depuis octobre. Mais ces moyens humains restent infimes compte tenu des enjeux de santé publique auxquels est confrontée Mayotte. Car si le gros du boulot concerne surtout le Covid, les épidémiologistes de SPF doivent aussi surveiller les autres pathologies saisonnières comme la grippe, la bronchiolite ou la gastro-entérite, assurer le suivi des maladies infectieuses comme la fièvre typhoïde ou le paludisme ou encore animer des réseaux de surveillance auprès des médecins, pharmaciens, réseaux hospitaliers et associatifs. Eux aussi sont au front !