Mercredi soir, les habitants de Mayotte ont appris la décision du préfet, Jean-François Colombet, de confiner les communes de Bouéni, de Pamandzi et de Dzaoudzi-Labattoir à partir de ce jeudi pour une durée de 15 jours. Néanmoins, le délégué du gouvernement s’interdit pour le moment un confinement généralisé pour éviter d’ajouter une crise humanitaire à la crise sanitaire. Entretien.
Flash Infos : La situation sanitaire s’est considérablement dégradée au cours des deux dernières semaines. Le président de la République, Emmanuel Macron, a préféré repousser son allocution télévisée prévue initialement mercredi soir pour se laisser le temps de la réflexion sur les suites à donner. Pourquoi cela n’a pas été le cas pour Mayotte ?
Jean-François Colombet : L’Agence régionale de santé et Santé Publique France nous ont transmis des chiffres alarmants sur au moins trois communes, qui ont un taux d’incidence très élevé. Il y a eu une très forte dégradation sur Petite-Terre et Bouéni, qui dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer en métropole. Il a fallu réagir rapidement et brutalement pour éviter que toute l’île ne flambe.
Pour bien comprendre, lors du premier épisode de la crise, le taux d’incidence avait moins de portée en raison d’un nombre de tests restreint. Aujourd’hui, nous en réalisons autant qu’à La Réunion. Cet indicateur, crédible dorénavant, a motivé ma décision, en concertation avec Paris, d’installer un confinement total pour deux semaines. C’est un nouveau modèle, nous analyserons les résultats dans sept, dix ou quinze jours pour voir si nous pouvons lever cette restriction. Par ailleurs, si d’autres communes sont amenées à être dans la même situation, nous suivrons le même procédé !
FI : À l’échelle nationale, le porte-parole du gouvernement a expliqué mercredi que le couvre-feu n’avait pas les effets escomptés, considérez-vous que c’est également le cas à Mayotte dans la mesure où le nombre de porteurs de virus et la présence des variants sud-africain et britannique s’envolent ?
J-F. C. : Non car nous ne sommes pas sur le même agenda que la métropole. Il est encore trop tôt pour le dire. Une semaine ce n’est pas suffisant, il faut plus de temps pour tirer des conclusions. À l’heure actuelle, seules la fréquentation du centre hospitalier de Mayotte et les indicateurs – les taux de positivité et d’incidence – importent.
Le nombre de personnes porteurs du variant sud-africain est effectivement en très forte progression, notamment dans les trois communes concernées. Et un premier cas du variant britannique a été révélé hier [ce mercredi], même s’il y en a déjà sûrement davantage sur le territoire. Le confinement est le prix de la réactivité.
FI : Plus concrètement, quelles sont les modalités de ce nouveau confinement en termes de déplacements ?
J-F. C. : Nous réinstaurons le dispositif qui avait été mis en place l’an dernier. Le confinement en un mot est une contrainte à la mobilité, au culte et à certaines activités économiques. Par conséquent, seuls trois groupes de personnes peuvent se déplacer à compter de ce jeudi, 18h. Le premier recense tous les professionnels de santé, les personnels de la préfecture, de la douane et de l’aéroport et les effectifs des forces de l’ordre qui peuvent, sans attestation, aller et venir dans l’exercice de leur fonction. Le second concerne les salariés qui, avec attestation, se rendent et reviennent du travail, en zone non-confinée ou non, dans le cas où ils ne peuvent pas télétravailler. Le troisième rassemble les habitants qui vont au distributeur d’énergie, à la pharmacie, à la banque, à la poste, à la supérette, à la station-service, chez le médecin. Dans ce cadre-là, tous les commerces « non essentiels » doivent baisser le rideau. Les restaurants pourront continuer à produire de la nourriture à emporter ou à livrer mais ils ne pourront plus ouvrir leurs salles. Par ailleurs, il a été décidé avec le Grand Cadi de fermer toutes les mosquées de ces trois communes.
FI : Quelle est la stratégie élaborée par l’État concernant Mayotte ?
J-F. C. : Je me suis entretenu très longuement avec Sébastien Lecornu, le ministre des Outre-mer, hier après-midi [mercredi]. Il est très attentif à notre situation, que ce soit sur le plan sanitaire ou sécuritaire. Il m’a dit, sans trahir de secret, que le sujet de Mayotte avait été largement commenté en conseil de défense. Mais aussi que le président de la République, Emmanuel Macron, portait un regard avisé à notre égard. Je n’ai aucune idée de ce que le gouvernement va décider, mais il fera probablement connaître notre sort ce week-end.
FI : Y-a-t-il un risque que l’ensemble du territoire soit confiné dans les prochains jours ?
J-F. C. : Je ne veux pas ajouter une crise humanitaire à la crise sanitaire ! Nous nous souvenons tous que lors du premier confinement, la première victime de cette mesure a été l’économie informelle qui n’est pas assistée par le dispositif de soutien du gouvernement et ceux pour les entreprises déclarées. Elle a plongé des dizaines de milliers de familles dans des conditions très dures qui ont entraîné la distribution de bons alimentaires d’un montant de sept millions d’euros mais aussi des actes d’appropriation de richesses.
S’il faut en arriver-là, nous n’hésiterons pas, mais nous ferons tout pour l’éviter ! Nous allons déjà voir les effets de ce confinement total et localisé. Un confinement généralisé plongerait l’île dans le chaos alors que certaines communes sont moins critiques que d’autres. Le défi est que le territoire se trouve dans de bonnes conditions sanitaires à la mi-mars pour la période de ramadan.
FI : L’une des autres craintes est la fermeture des liaisons aériennes, comme cela a pu être le cas l’an dernier. Or, il se murmure que le gouvernement ne comprend pas que la restriction des déplacements aux motifs impérieux ne réduise pas davantage le flux de voyageurs.
J-F. C. : La question aérienne est un sujet fondamental. Nous devons tout faire pour garder nos liaisons, c’est la raison pour laquelle il faut être rigoureux sur l’examen des motifs impérieux et s’assurer que les voyageurs qui prennent l’avion ont bien fait un test. Énormément de passagers sont refoulés par les compagnies. Conséquence, nous avons déjà une ligne directe entre Mayotte et la métropole. Il faut maintenir cette rectitude sinon nous nous dirigeons vers la suspension des vols. Et si demain, nous perdons notre lien avec La Réunion, nous perdons de facto toute correspondance avec Paris, car nous fonctionnons en triangulation. Ce serait catastrophique car il faudrait remettre en place un pont aérien. Dans le cas contraire, l’ensemble des matériels vitaux n’arriverait plus dans les bons délais…