Au centre de rétention administrative, une gestion de crise, deux discours

Depuis le déploiement des tests antigéniques, les reconduites à la frontière ont repris à un rythme effréné. Alors que les cas positifs sont relâchés dans la nature, plusieurs voix s’élèvent sur la gestion du centre de rétention administrative où des risques existent toujours bel et bien. De son côté, la préfecture et la direction territoriale de la police aux frontières assurent que toutes les mesures sanitaires sont appliquées à la lettre.

Samedi. 10h30. Face aux rumeurs concernant le non-respect des conditions sanitaires au centre de rétention administrative, l’autorité préfectorale déploie le tapis rouge en un temps record pour proposer une visite guidée du bâtiment mis en service en 2016. Quelques minutes plus tard, un groupe en instance d’éloignement monte dans le bus pour être amené vers le bateau qui doit les « rapatrier » à Anjouan. « Nous leur donnons tous un masque neuf en tissu au moment de leur départ », glisse le commandant Dominique Bezzina, le chef du centre, au moment de continuer son chemin vers l’une des six zones, choisie au hasard. En théorie, chaque « retenu » reçoit un masque chirurgical lors de son arrivée, s’il n’y a pas de rupture de stock. Car la réalité est tout autre sur le terrain… Et puis, de toute façon, « ils ne le mettent pas, pourtant Dieu sait qu’on leur dit ! », insiste celui qui est à la tête du CRA depuis 18 mois.

Depuis la reprise des reconduites à la frontière le 6 août dernier, le flux d’étrangers en situation irrégulière au sein de la structure explose littéralement, dont la conséquence directe est l’ouverture de cinq locaux de rétention administrative pour éviter la surpopulation de l’antenne principale qui a une capacité d’accueil de 136 individus. « [Ils] ont été un peu plus utilisés entre septembre et mi-décembre », avoue Nathalie Gimonet, la sous-préfète en charge de la lutte contre l’immigration clandestine.

 

Les cas positifs renvoyés dans la nature

 

Or, en période de crise sanitaire, le nombre vertigineux d’interpellations interroge. Comment expliquer un tel rouleau compresseur ? L’appât du chiffre selon Aldric Jamey, secrétaire départemental d’Alternative Police. « Tout le monde est débordé, c’est vraiment le gros bazar ! Les collègues tournent comme des avions de chasse pour atteindre l’objectif de plus de 30.000 expulsions en 2021. » Dans ces conditions, comment s’assurer que les va-et-vient ne multiplient pas la propagation du virus ? « Avec les tests antigéniques [déployés le 15 décembre], il n’y a plus de brassages entre les potentiels positifs et négatifs. Avec les PCR, nous n’avions pas le choix car il fallait attendre 24 heures pour avoir les résultats », justifie Nathalie Gimonet, qui avance un taux de positivité de l’ordre de 5-6% depuis le début du mois de janvier. Sauf que sa fiabilité laisse à désirer et que la contamination a pu se faire quelques heures plus tôt lors de la traversée en kwassa-kwassa… Et donc passer sous le radar !

Pour les cas détectés, l’heure est à l’attente dans l’une des deux salles de mise à l’écart prévues à cet effet, avant le transfert au centre d’isolement de Mlézi Maoré situé à Cavani, pour empêcher toute contamination massive. « Là bas, ils retrouvent le droit commun et sont traités comme tout patient. Nous leur conseillons de respecter la septaine. Si des personnes partent très rapidement, d’autres y restent deux ou trois jours », ajoute-t-elle. Avant la fin de leur rétention, l’unité médicale du CRA, issue du centre hospitalier, les sensibilise à la maladie. « Nous n’avons pas de moyens de contrainte », regrette le commandant Dominique Bezzina. Le risque de transmission auprès de la population n’est donc pas que racontars !

 

Pas d’alerte sur le plan sanitaire ?

 

Pour les autres, direction l’une des ailes (hommes, femmes ou familles) de rétention. « Le CRA est devenu une plateforme à Covid », tance l’une des juristes qui souhaite garder l’anonymat. « Les mesures ne sont pas respectées, ça nous met en péril, tout comme les ESI (étrangers en situation irrégulière ndlr) et les personnels administratifs. » Conséquence : l’accueil dans leurs bureaux est suspendu jusqu’à nouvel ordre. Pourtant, les responsables vantent le ménage des pièces trois fois par jour ainsi que la désinfection systématique après chaque « extraction ». « Pour limiter la transmission, nous distribuons les repas dans les zones », concède le chef du centre. Au lieu de la cantine donc. Soit une précaution supplémentaire, alors que le public est, dès lors, censé être négatif… « J’ai appelé les deux associations avec qui nous travaillons (Mlézi Maoré et Solidarité Mayotte). Aucune des deux directions ne m’a alertée sur le plan sanitaire », s’étonne Nathalie Gimonet. Difficile dans cette situation de démêler le vrai du faux…

Une chose est sûre, le rythme effroyable des reconduites à la frontière pèse sur le moral des effectifs, qui tournent par brigade de 30 agents. « Ce n’est pas possible à gérer. Ils sont usés physiquement et mentalement. Si rien ne change, il va y avoir un gros pétage de câble. Certains partent en dépression, d’autres sont contaminés [cinq nouveaux cas ont été confirmés vendredi dernier, ndlr] », assure Aldric Jamey. « Nous préparons une intervention syndicale au niveau du bureau national pour que la direction centrale de la PAF soit mise en au courant et fasse le nécessaire. Il faut fermer les LRA et faire tourner le CRA dans des jauges acceptables. » De son côté, le commandant Dominique Bezzina rappelle que les gestes barrières sont respectés à la lettre et que le contact tracing est appliqué comme dans n’importe quel milieu professionnel. Un arrêté en date du 25 janvier prévoit également que les policiers soient exemptés de septaine à leur arrivée sur le territoire. « Quand nous sommes cas contact et que nous ne présentons pas de symptômes, nous devons continuer à travailler », ajoute le secrétaire départemental, même si cette directive ne semble pas officielle.

En soi, le centre de rétention administrative fait, comme à son habitude, énormément jaser. Si certains se réjouissent d’une reprise accrue des reconduites, après une année 2020 en demi-teinte, d’autres voix s’élèvent contre le traitement sanitaire réservé aux personnels et aux personnes en situation irrégulière. Et l’arrêté pris ce samedi 29 janvier par le gouverneur de l’île d’Anjouan, stipulant que « tout mouvement de bateau de transport de passagers en provenance de Mayotte est suspensdu jusqu’à nouvel ordre », ne risque pas d’arranger les affaires des uns et des autres.

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