Christophe Blanchard, chef de file par intérim du centre hospitalier de Mayotte

Directeur adjoint en charge des affaires générales sous le mandat de Catherine Barbezieux, Christophe Blanchard assure l’intérim à la tête de l’hôpital jusqu’à la nomination du nouveau successeur. Pas question pour autant de rester les bras croisés tant les dossiers s’accumulent et le temps presse. Deuxième hôpital, gestion de crises, recrutement, développement de l’offre de soins… Entretien.

Flash Infos : Depuis le départ de Catherine Barbezieux le 14 mai dernier, vous assurez l’intérim à la direction du centre hospitalier de Mayotte. Comment appréhendez-vous ce nouveau poste ?

Christophe Blanchard : La continuité de la chefferie de l’établissement doit être assurée, c’est réglementaire. Je suis le trait d’union entre Madame Barbezieux qui a quitté ses fonctions et l’heureux ou heureuse élu(e) qui doit vraisemblablement arriver au mois de septembre. Tous les projets amorcés ne vont bien évidemment pas s’arrêter. Tout en gérant les crises, à savoir le Covid-19 et maintenant l’épidémie de bronchiolite. C’est un exercice de style assez compliqué… Mais il faut relever le challenge !

FI : Vous évoquez celui ou celle qui va prendre la suite de la direction de manière pérenne. Quelles raisons expliquent que vous ne comptez pas aller plus loin que cette période d’intérim ?

C. B. : Là aussi c’est réglementaire, tout simplement. Le poste est paru au mois d’avril, mais quand on est directeur adjoint, on ne peut pas être nommé sur place. Si je veux devenir chef d’établissement, je dois partir dans un autre établissement avant de revenir à Mayotte si le poste était republié ultérieurement. Mais effectivement, cela aurait pu tout naturellement m’intéresser : les moyens mis à disposition sont considérables. Il y a tout à développer. Sans oublier les équipes qui sont très impliquées en plus d’être agréables : on peut travailler correctement.

FI : Vous jouissez d’une certaine expérience aux Antilles et en Guyane, quelles similitudes pouvez-vous faire avec Mayotte et au contraire, quelles différences notables avez-vous relevé ?

C. B. : Après 25 ans d’exercice dans les Outre-mer, il y a effectivement des similitudes, plus particulièrement avec la Guyane où l’offre de soins est, certes, plus développée puisque le territoire compte plus de 600 lits et places rien qu’à Cayennes, contre 417 pour l’ensemble de Mayotte, alors que la population y est moins élevée… Il faut que l’on rattrape notre retard ! Sans oublier de former les jeunes mahorais sur les professions médicales et paramédicales. D’ailleurs, c’est un point que l’on est en train de travailler avec une étude qui est en cours pour faire en sorte que dans les dix prochaines années on puisse davantage former de professionnels de santé (d’infirmières, des IADE (infirmières anesthésistes), des IBODE (infirmières de bloc opératoire) entre autres et des médecins bien sûr).

Par l’anecdote : j’ai pris mes fonctions le 1er décembre 2019, et quatre jours plus tard, il y a eu l’épisode Belna. À ce moment-là, je me suis aperçu que Mayotte n’était pas du tout habituée aux phénomènes climatiques par rapport aux Antilles, où j’ai vécu Irma en 2017, qui sont très aguerris aux passages des cyclones. Ici, on n’est pas du tout prêt ! Il faut apprendre, non seulement, à se protéger, mais aussi à accueillir un afflux massif de victimes si un tel événement se produisait.

Dans toutes ces destinations, il y a toujours l’éloignement avec la métropole, qui a pour conséquence une complexité logistique pour maintenir les équipements en place. Exemple avec l’IRM en panne ces dernières semaines au CHM à la suite d’un incident. Il a fallu faire venir l’hélium de l’Hexagone.

FI : Le mandat de Catherine Barbezieux a été marqué par une série de conflits avec les organisations syndicales. Comment gérez-vous cette situation avec elles qui sont toujours sur le qui-vive pour pointer des dysfonctionnements ?

C. B. : C’est la continuité également, je vous rassure ! Les syndicats sont toujours aussi actifs, cela n’a pas changé depuis ma prise de fonction (rires). Les partenaires sociaux sont effectivement très proches des équipes et n’hésitent pas à me faire remonter, quelquefois de manière plus musclée que d’habitude, les problèmes rencontrés dans les services.
Je les ai déjà rencontrés à plusieurs reprises, notamment dans le cadre du projet d’établissement puisqu’on est en train de le revisiter. Il y aura par exemple une nouvelle réunion avec eux demain matin [ce jeudi 3 juin].

FI : Parmi les dossiers prioritaires, il y a la construction du deuxième hôpital en Grande-Terre où il se dit que le terrain aurait été trouvé du côté de Combani, mais aussi l’épineuse question du recrutement et de la fidélisation des soignants…

C. B. : Effectivement, tous ces dossiers s’inscrivent dans la durée. Avec les deux crises successives, on a subi plusieurs départs massifs de médecins. Mais l’attractivité est en lien direct avec le sentiment d’insécurité qui règne sur l’île, et qui ne favorise pas la venue de nouveaux personnels. À cause de cela, on rencontre quelques difficultés à recruter… Par exemple, en psychiatrie, il ne reste plus qu’une seule psychiatre pour assurer le service. On est, par conséquent, obligé de réduire la voilure sur cette offre de soins, à savoir la santé mentale, le temps de trouver de nouveaux professionnels.
Si l’on parle de priorités, l’une d’elles est Petite-Terre, avec la visite de la commission de sécurité le 11 juin, en espérant que l’avis soit favorable pour enfin ouvrir les 50 lits. On a un jeune médecin MPR (il a pour principale mission d’élaborer et d’encadrer des programmes de réadaptation et de rééducation de personnes atteintes de pathologies graves ou victimes d’un accident requérant une prise en charge pluridisciplinaire, ndlr.) mahorais revenu à Mayotte, donc on a le personnel médical et paramédical pour le service de soins de suite et de réadaptation. On va l’ouvrir de façon progressive avec une dizaine de lits, le temps de se roder.
Il y a également le budget que l’on doit faire repasser aux instances, en négociation avec l’agence régionale de santé, le plan pluriannuel d’investissement, le plan global de financement pluriannuel qui intègre le deuxième site, avec cette construction dont on parle et qui ne sera pas une rumeur, je l’espère, dans les dix prochaines années, mais bien une réalité. Pour le terrain dont vous parlez, ce n’est pas encore officialisé. Ce sont pour le moment des idées qui sont posées sur la table.

FI : Le service de psychiatrie, dont vous avez parlé plus tôt, est en proie à des difficultés profondes alors que la santé mentale à Mayotte est un enjeu majeur et un sujet tabou pour bon nombre d’habitants. Comment inverser la tendance ?

C. B. : L’infrastructure ne se prête pas vraiment à l’accueil de dix patients en psychiatrie. Donc là-dessus, on avance. Il faut que cela se règle par la construction d’un bâtiment qui soit digne de ce nom. Il faut que toutes les filières – CATTP (centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) et CMP (centre médico-psychologique) en lien avec la santé mentale soient identifiées dans un pôle. Sur la partie construction, on travaille avec l’agence régionale de santé. Mais ensuite, c’est au CHM de faire sa promotion à l’extérieur, d’aller à la rencontre de, de créer des partenariats. Pas plus tard qu’il y a deux jours, j’étais en ligne avec le directeur de l’établissement public de santé mentale de La Réunion pour savoir s’il pouvait nous envoyer en rotation des missionnaires sur des durées assez courtes. Idem avec les associations et les groupements en métropole. On doit s’inscrire dans cette logique pour « vendre » nos projets structurants et innovants !

FI : Selon vous, sur quels aspects moins visibles que ceux cités précédemment, le CHM devrait-il mettre l’accent à court, moyen et long terme ?

C. B. : Il faut que tout le monde se mette en ordre de bataille pour faire en sorte que le CHM développe son offre de soins. On va lancer un appel d’offre pour un programmiste et un assistant à maîtrise d’ouvrage pour que tous les moyens alloués à Mayotte ne repartent pas un jour vers la métropole ou l’Europe. Il faut agir très rapidement dans tous les domaines ! On a que 17 lits en réanimation… Ce n’est pas suffisant, on l’a très bien constaté durant la crise Covid.

FI : Justement, quel bilan aussi bien positif que négatif tirez-vous de cette crise sanitaire ?

C. B. : Le point à améliorer est le temps de latence entre le moment où l’on déclenche l’alerte et celui où l’aide arrive. Il faut compter une quinzaine de jours… C’est quand même critique car les équipes en ont beaucoup souffert. L’approvisionnement est délicat, notamment lors de l’envoi de matériel biomédical. Heureusement, on n’a pas de nouveau bloqué les liaisons aériennes avec Paris lors de la seconde vague en 2021.

Mais le point positif est qu’on a reçu une aide sans précédent. On a accueilli l’équipe de réanimation militaire par deux fois et on a pu compter sur le soutien de la réserve sanitaire. On a eu des renforts en nombre, ce n’est pas négligeable. Cela démontre à quel point on a été entendu au niveau national et ce, grâce au travail mené de concert avec notre tutelle.

FI : En termes de renforts durant la crise Covid, le CHM a pu bénéficier d’un hélicoptère et d’un avion privé pour effectuer les évacuations sanitaires. Où en est le projet de garder de manière pérenne ces deux moyens de transport ? Et quelles seront les travaux à réaliser sur l’île, comme les hélistations ?

C. B. : On a reçu les réponses à l’offre de marché pour l’avion sanitaire. On est en train de les étudier avec les équipes des Evasan, on pense avoir un résultat dans les prochains jours. Il s’agira d’un contrat sur plusieurs années car cela demande un engagement et un investissement lourd pour l’entreprise qui sera retenue.

Pour l’hélicoptère, on a acté un marché intermédiaire de 18 mois avec un pilote et un assistant, dans l’attente du marché définitif pour un hélismur dédié à Mayotte. Mon collègue de la direction des plans et des travaux a pris contact avec les maires des communes pour identifier les zones de pose et pouvoir les sécuriser et les éclairer si l’on décide de procéder à des vols de nuit par la suite.

FI : Ce dernier point est à prendre légitimement en compte, puisque plusieurs incidents frappent régulièrement les ambulanciers lors des transferts aux quatre coins de l’île. Quelles réponses leur avez-vous apportées pour les rassurer ?

C. B. : On peut comprendre que le personnel ait des craintes légitimes à circuler à partir d’une certaine heure le soir. En réponse, on a renforcé les ambulances, de la même façon que les véhicules des forces de l’ordre, avec des vitres latérales sur lesquelles sont appliquées des feuilles de polycarbonate. Après, les gendarmes et les policiers ne peuvent pas être systématiquement présents lors de chaque transfert. Donc un protocole est mis en place pour engager en toute sécurité les effectifs sur le trajet. On leur demande aussi de passer par la route intérieure car la route vers Dzoumogné depuis le littoral est plus problématique à partir de Koungou et de se faire discret en n’activant pas le gyrophare et la sirène lorsque cela n’est pas nécessaire.

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