Autisme Mayotte, une association face au déficit criant de structures spécialisées pour les enfants troublés

Dans le cadre de la journée internationale de l’enfance du 1er juin, le club Soroptimist Mayotte a offert cinq tablettes à destination des enfants de l’association Autisme Mayotte. Un geste symbolique qui permet de mettre en lumière ce trouble neuro-développemental, encore bien trop méconnu par un grand nombre de familles et d’habitants de l’île aux parfums. Au-delà de ce don, cette rencontre a été l’occasion de pointer du doigt l’absence de structures spécialisées sur le territoire.

« Waouh ! » Au moment de recevoir l’une des cinq tablettes offertes par le club Soroptimist Mayotte des mains de la présidente Sophia Hafidou, Youness exprime à sa façon sa gratitude. Idem pour Fatima, Sadjaad, Yann Lucas, Dosty ou encore Kaen. Âgés de 4 à 17 ans et atteints d’un trouble neuro-développemental, tous font partie d’Autisme Mayotte. « Ça va l’aider à reconnaître l’alphabet et à écrire son nom », s’emballe Addidja, la mère de la seule petite fille présente lors de cette remise de dons organisée à Tsararano ce mardi 1er juin à l’occasion de la journée internationale de l’enfance.

« Avant, il ne tenait pas dix minutes sans bouger », sourit fièrement Elly, avec un regard attendri en direction de son fils Dosty. Sage comme une image et confortablement assis sur sa chaise, le garçon de 11 ans le mois prochain manipule déjà l’objet d’une main de maître. « Il est accro, ça le canalise », poursuit l’habitante de Kani-Kéli. Même son de cloche pour sa voisine du jour, Binti Radhuya : « Sadjaad ? Il est toujours sur mon téléphone. » Avec ce nouvel outil pédagogique en leur possession, non seulement cela « va soulager les familles », mais en plus cela « va faciliter la compréhension et le langage », insiste Ernestine Bakobog, la présidente de l’association initiée par des parents en janvier 2017.

 

1.500 autistes sur l’île aux parfums

 

Et que de chemin parcouru depuis cette création. « Il est difficile de dire que l’autisme existe à Mayotte où la santé mentale reste un sujet tabou. Nous sommes jugés coupables d’avoir des enfants autistes », regrette la responsable, qui se bat depuis toutes ces années pour faire avancer cette cause qui lui tient tant à cœur. Malgré la mise en place de consultations par visioconférence avec des spécialistes fin 2019 ou encore la naissance de plusieurs petites unités début 2020 dans lesquelles leur sont réservées 20% des places, les moyens déployés restent en deçà des besoins pour accompagner les 1.500 autistes recensés sur le territoire selon l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). « Nous avons commencé l’école des parents avec des groupes de parole. Nous avons organisé des formations pour sensibiliser les médecins afin qu’ils arrivent à identifier les signes », rembobine Ernestine Bakobog, elle-même maman de Yann Lucas, un adolescent « non-verbal », qui « ne peut pas écrire avec un stylo » et qui « gribouille comme un maternelle ».

 

Liste d’attente en institut médico-éducatif

 

Mais l’association a aussi et surtout pour but de proposer des sorties hebdomadaires à ces jeunes, généralement cloisonnés chez eux, au parc de Passamaïnty et à la plage de Musicale à Bandrélé. « Grâce à vous, mon fils arrive à participer à des activités », s’illumine Binti Radhuya, ravie de voir Sadjaad, passionné de moto et de cuisine, sortir régulièrement du domicile familial depuis son départ de l’association départementale des pupilles de l’enseignement public (Adpep) il y a de cela trois ans. Car à ce jour, l’absence de suivi et de structures spécialisées constitue bel et bien le nerf de la guerre pour ces parents dévoués mais désoeuvrés.

Si Dosty a la chance d’être suivi par le service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) de l’association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de Mangajou, beaucoup d’autres se retrouvent le bec dans l’eau, le temps d’intégrer un institut médico-éducatif (IME). « Youness a été scolarisé jusqu’à ses six ans, mais ce n’était évident ni pour lui ni pour les enseignants. Depuis, il a beaucoup régressé. Il est victime d’insomnie et se calme difficilement le matin quand il voit ses frères et sœurs partir à l’école », soupire Dharina. « On fait toutes les démarches, mais il n’y a rien au bout… Il y a toujours un blocage administratif au niveau de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) ou un manque de place. » Ce discours revient inlassablement dans toutes les bouches de ces mamans, qui jouent quotidiennement les rôles conjugués d’orthophoniste, de psychomotricienne ou d’animatrice.

 

Colère froide

 

Si Autisme Mayotte se targue d’avoir obtenu, vendredi dernier, en partenariat avec Mlézi Maoré et l’Apajh, l’aval pour monter un centre de diagnostic et un centre de ressources pour l’autisme, auxquels s’ajoute un centre d’accueil de jour de huit places dans les futurs locaux de l’association situés à Tsingoni, la présidente Ernestine Bakobog ne décolère pas face à l’immobilisme institutionnel. « Le Département n’a rien fait alors qu’il aurait pu financer des lieux de vie pour les enfants et des lieux de répit pour les parents ! » Et à ce rythme-là, Dharina compte bien prendre des mesures drastiques, dans l’intérêt de Youness. « À la rentrée, on pense sérieusement à quitter Mayotte pour la métropole. »

 

Combien de places dans les structures adéquates pour les enfants atteints d’autisme ?

Le 29 juin 2020, l’agence régionale de santé a lancé un appel à projet relatif à la création d’une plateforme de dispositifs intégrés IME-SESSAD sur le territoire de Mayotte. « Dans la mise en œuvre du PRS 2 (plan régional de santé), l’accueil et l’accompagnement des jeunes de 6 à 20 ans en situation de handicap, autistes ou souffrant de trouble du neuro-développement, en institut médico-éducatif et en service d’éducation spéciale et de soins à domicile, répondent aux attentes et aux besoins des jeunes », peut-on lire.

Dans le 101ème département, Mlézi Maoré gère un IME de 96 places et un SESSAD de 174 places tandis que la fédération APAJH s’occupe d’un IME de 54 places, dont 18 places autismes ou souffrant de TND, et un SESSAD de 22 places, dont 9 places autistes ou souffrant de TND. Toujours selon l’appel à projet, il est prévu de consacrer 3 places en IME et 3 autres en SESSAD pour enfants et adolescents, autistes ou souffrant de TND. La date prévisionnelle d’ouverture était « idéalement » prévue en juillet 2021, soit dans un mois. Un nombre qui semble dérisoire lorsque l’on sait que l’association Autisme Mayotte accompagne 80 enfants à elle-seule…

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