« Nous avons une à deux admissions par jour de personnes victimes d’agression sexuelle aux urgences de Mayotte»

285. C’est le nombre de victimes d’agression sexuelle admises aux urgences du centre hospitalier de Mayotte entre septembre 2017 et août 2020, fait état l’ARS. Parmi elles, 133 enfants, âgés de 6 mois à 16 ans. De 2018 à 2020, cette fois, le service de médecine légale de l’hôpital en recensait 207. Référentes pour les agressions sexuelles au service des urgences les docteures Florence Greco et Louise Lavillauroy témoignent.

Flash Infos : Dans quelle mesure une personne victime de violences sexuelles est admise aux urgences plutôt qu’en médecine légale ?

Florence Greco : Il a été décidé que les urgences ne prendraient en charge que les agressions sexuelles de moins de 72 heures. Au-delà, les patients peuvent évidemment toujours venir consulter au CHM, mais ils seront redirigés vers la médecine légale car à ce stade, il est trop tard pour que les prélèvements soient faits aux urgences. Il n’y a pas que le CHM vers qui se tourner lorsque l’on est victime d’agression sexuelle. On peut en parler à son infirmière scolaire, à sa sage-femme, à son médecin traitant, se rendre dans un dispensaire, un centre médical de référence, etc., qui peuvent accompagner le patient dans son parcours jusqu’à la médecine légale.

FI : Quel est le profil des victimes ? Certaines tranches d’âge ou catégories sociales sont-elles plus touchées que d’autres ?

Louise Lavillauroy : Les victimes que l’on rencontre aux urgences, au CHM ou de façon générale sont issues de toutes les catégories sociales, de tous les âges – du bébé jusqu’à la personne âgée –, ça peut aussi toucher les hommes, des personnes riches, des personnes pauvres… Cela peut tomber sur n’importe qui, à n’importe quel moment. Tout ce que l’on peut dire, c’est que depuis le début de l’année aux urgences, nous avons une à deux admissions par jour de personnes victimes d’agression sexuelle.

F. G. : Mais tout le monde ne consulte pas, et tout le monde ne consulte pas aux urgences, il y a certaines victimes qu’on ne voit pas. Ensuite, certains certificats sont faits pour des symptômes dues à l’anxiété par exemple, ce qui minimise les chiffres.

FI : Quel est le parcours d’une personne victime de violences sexuelles prises en charge aux urgences ?

F. G. : Si la personne se présente moins de 72 heures après les faits, on l’installe seule, puis on cherche dans un premier temps à savoir ce qui s’est passé et quelle est la nature de l’agression. Selon l’endroit où elle s’est produite, on fait appel soit à la police nationale soit à la gendarmerie. Parfois, certaines personnes prennent d’abord contact avec les forces de l’ordre avant d’aller consulter, et c’est aussi quelque chose qu’on doit savoir. On a ensuite ce que l’on appelle une réquisition qui permet de constater les lésions : elles peuvent être physiques, mais également psychologiques.

L. L. : Dès lors que l’on fait une réquisition, tout ce qu’on fera après sur le plan médical sera recevable devant un tribunal. Alors que si l’on fait les prélèvements ou les examens avant cette réquisition, cela ne le sera pas !

F. G. : Une fois qu’on a reçu la réquisition, on procède à l’examen clinique de la victime et on s’assure de son statut vaccinal : est-elle vaccinée contre l’hépatite B ? Utilise-t-elle un moyen de contraception ? Y a-t-il un risque de grossesse ? Est-elle déjà enceinte ? Puis, on fait des prélèvements pour rechercher d’éventuelles maladies sexuellement transmissibles. Ce n’est qu’après tout ça que le gynécologue procède à un examen, là encore sur réquisition, pour voir s’il y a des lésions génitales qui montrent qu’il y a eu une agression sexuelle. Il faut savoir que les examens réalisés avant cette étape ne permettent pas de dire s’il y a eu agression ou non.
Une fois que tout cela a été fait, on procède au vaccin si besoin, s’il s’agit d’une femme qui n’a pas de contraception, on va lui donner la pilule du lendemain et on délivre la trithérapie anti VIH de façon systématique, pour trois jours.

L. L. : Et le circuit du patient se termine par un entretien avec la cellule de crise des psychologues et psychiatres. La personne peut aussi y récupérer les coordonnées qu’il faut si elle souhaite poursuivre ce suivi. Pour les mineurs et les adultes en situation de handicap notamment, il faut aussi déclarer la situation de danger.

FI : Êtes-vous tenues d’alerter les autorités en cas d’agression avérée ?

L. L. : Lorsque l’on pratique ces examens, les victimes ne sont souvent pas encore dans la démarche de vouloir porter plainte, puisque les faits viennent de se dérouler. Certaines sont traumatisées par ce qui leur arrive, donc beaucoup d’entre elles n’y pensent pas à ce stade.

F. G. : D’où l’importance de la réquisition. Sans elle, si la victime ne va jamais porter plainte, les forces de l’ordre ne seront jamais informées de ce qui s’est passé. Alors que si l’on contacte nous-mêmes les forces de l’ordre, avec évidemment l’accord des parents ou de la victime, l’enquête peut déjà commencer et la procédure peut être ouverte. Ce qui, encore une fois, doit être fait même si la victime ne porte pas plainte instantanément.
Au moment de l’examen gynécologique, les prélèvements permettent de voir s’il y a des traces de sperme et sur réquisition, la police peut les récupérer pour faire une recherche ADN par exemple.

FI : À Mayotte particulièrement, le sujet de la sexualité est tabou. Et souvent, les agressions et viols y sont passés sous silence, car l’entourage de la victime craint pour sa réputation. Comment cette composante influe-t-elle sur votre travail ?

F. G. : C’est effectivement particulièrement délicat lorsqu’en face de nous, il y a des membres de la famille qui considèrent que leur honneur est bafoué. Lorsque les victimes sont des enfants qui viennent accompagnés de leurs mamans, on sent qu’elles n’affrontent pas la situation de façon frontale ou nous disent qu’elles ne veulent “pas voir”. Et souvent, leur première question est de savoir si leur fille est toujours vierge…

L. L. : Un autre problème se pose lorsque l’on a besoin d’un traducteur en shimaoré pour traduire les propos du patient. Certains mots, certaines choses ne se traduisent pas dans cette langue, et il devient plus difficile de comprendre ce que nous dit la personne.

F. G. : Il faut garder à l’esprit que le terme d’agression sexuelle ne désigne pas uniquement le viol. Toucher le sein, les fesses, enlever un vêtement, c’est aussi une agression sexuelle. Même chez les professionnels de santé, certaines notions ne sont pas encore assimilées. Ou peut-être qu’il y a une part de déni…
Propos recueillis par Solène Peillard

Retrouvez l’intégralité de notre dossier consacré aux violences sexuelles dans le dernier numéro de Mayotte Hebdo, sur notre site www.mayottehebdo.com.

 


 

Que faire en cas d’agression sexuelle ?

La première chose à faire c’est de consulter le plus rapidement possible”, souligne le docteur Greco. “Certaines personnes vont d’abord se tourner vers les forces de l’ordre, et se dire qu’elles n’ont plus le courage d’aller voir des professionnels de santé”, complète à son tour le docteur Lavillauroy. Pourtant, faire constater ses blessures (physiques et psychologiques) est le premier réflexe à avoir, pour que les réponses nécessaires soient apportées à temps. En cas de viol notamment, une prise en charge médicale rapide est la seule façon de prévenir un risque d’IST ou de grossesse. Certaines structures, comme l’Acfav, proposent un accompagnement aux victimes de violences, via notamment des solutions d’hébergement d’urgence jusqu’à 21 jours, ou de stabilisation, allant jusqu’à trois mois. L’association compte également des psychologues et des juristes qui peuvent épauler les victimes dans leurs démarches médicales et judiciaires.

 

Que dit la loi ?

Aux yeux du Code pénal, « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Une définition qui inclut les caresses et attouchements de nature sexuelle. En l’absence de pénétration, ces attouchements constituent un délit passible de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Ces peines peuvent être plus lourdes, notamment si l’agression a entraîné une blessure, si elle a été commise par un ascendant et/ou sur une personne mineures, par plusieurs personnes ou par un conjoint. Le viol, en revanche, est une agression sexuelle caractérisée par l’acte de pénétration, la volonté de porter atteinte et l’absence de consentement de la victime. S’agissant cette fois d’un crime, il est jugé devant une Cour d’assises. Les auteurs reconnus coupables de viol encourent 15 ans de réclusion criminelle, porté à 20 en cas de circonstances aggravantes et jusqu’à 30 ans s’il a entraîné la mort de la victime. La réclusion criminelle a perpétuité peut également être prononcée si les faits sont précédés, suivis ou accomapgnés d’actes de tortue ou de barbarie.

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