À Mayotte, l’hospitalisation en médecine commence à montrer des signes de saturation

À la différence de la métropole, où le nombre de cas de Covid-19 semble diminuer, Mayotte connaît une évolution inverse, avec une augmentation significative au cours de ces derniers jours. Le chef du pôle URSEC (urgences, réanimation, SAMU-SMUR, Evasan, caisson hyperbare), Christophe Caralp revient pour Flash Infos sur un éventuel déconfinement le 11 mai et annonce que le département ne sera pas en capacité de procéder à un dépistage massif. Seule solution à ses yeux : le lavage régulier des mains, le port du masque et le respect des mesures barrières.

Flash Infos : Lundi, Mayotte est devenue le territoire d’Outre-mer le plus contaminé. Alors que la propagation du virus semble ralentir en métropole comme ailleurs, le 101ème département connaît au contraire une envolée du nombre de cas. Comment analysez-vous cette situation ?

Christophe Caralp : À Mayotte, comme en Guyane et en Guadeloupe, le tissu sanitaire est faible, avec une immigration clandestine galopante et une grande insécurité alimentaire et médicale. Depuis quinze jours, tout le monde a constaté qu’une bonne partie de la population ne se confinait plus chez elle pour différentes raisons. Alors que nous relations une dizaine de nouveaux cas quotidiens au cours de deux-trois premières du confinement, les chiffres repartent à la hausse. Si nous avons la chance de ne pas recenser de formes graves du Covid-19, la filière intermédiaire, qui est l’hospitalisation en médecine, commence à montrer des signes de saturation. Réunie lundi, la cellule de crise du CHM envisage l’ouverture de six nouveaux lits dédiés médecine et travaille avec l’agence régionale de santé sur la prise en charge de personnes guéries du Coronavirus, qui nécessitent encore des soins de kinésithérapie et d’oxygénothérapie à domicile. Parmi eux, certains se retrouvent avec des droits sociaux qui ne sont pas arrêtés et qui les empêchent de rentrer chez eux pour libérer des lits pour d’autres qui ont besoin de soins plus lourds.

Ce mercredi en réanimation, sur les quatre patients atteints du Coronavirus, trois sont officiellement guéris. Mais ils présentent encore des séquelles liées à la sédation de trois semaines ayant entraîné une fonte musculaire. Il faut donc rééduquer les muscles et leur réapprendre les gestes de la vie quotidienne. À noter que l’un de nos premiers patients Covid+ est sorti vivant de réanimation hier [mardi 28 avril] après 37 jours dans ce service. Il vient d’être transféré en médecine.

FI : Jeudi dernier, la directrice de l’ARS, Dominique Voynet, expliquait que le pic de l’épidémie risquait d’arriver vers le 20 mai en cas de déconfinement le 11 mai. En tant que professionnel de santé, qu’est-ce qui vous paraît le plus raisonnable ?

C. P. : Tout d’abord, l’ARS ne nous a pas présenté son algorithme prédictif. Donc je n’ai pas les éléments en mains pour comprendre l’augmentation significative entre le 15 et le 25 mai en cas de déconfinement quelques jours plus tôt. Tout l’enjeu est que celle-ci soit la plus étalée possible dans le temps. Ensuite, nous sommes actuellement confrontés à une population qui a faim. Employons le mot ! Il est nécessaire que toutes les autorités – le rectorat, l’ARS, le CHM et la préfecture – jouent leur partition. Et face à ce constat, il faut que nous leur donnions les moyens de respecter les mesures barrières et de se laver les mains avec du savon, notamment dans les bidonvilles de Kawéni et d’ailleurs, pour permettre d’aplanir ce pic éventuel. Même si nous sommes dans une situation sérieuse, la réalité sur le terrain n’est pas encore si catastrophique. La majorité des habitants prélevés se portent bien et rentrent chez eux à la suite du dépistage. Après il ne faut pas se mentir, une partie de ceux qui viennent aux urgences sont des gens très pauvres qui n’ont aucun moyen de respecter les mesures barrières chez eux. Donc on crée forcément des foyers de dissémination intrafamiliaux lorsqu’ils sont positifs. D’un point de vue personnel, je pense que le confinement

devient improductif à un certain moment. Pour preuve, la filière pédiatrique des urgences constate une recrudescence d’enfants malnutris et de violences intrafamiliales, telles que des relations incestueuses et des viols, qui est probablement liée à la situation actuelle…

FI : Mardi après-midi, le premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé un objectif de 700.000 tests par semaine. Qu’en est-il de Mayotte où le laboratoire du CHM n’effectue qu’environ 200 tests par jour ?

C. P. : Une réflexion était menée pour recevoir une troisième machine, mais la réalité a repris le dessus : il n’y en a plus de disponible sur le marché mondial. Deux solutions sont toujours d’actualité : fournir le laboratoire de Mayotte en réactifs et augmenter la rotation de tests PCR au CHM. Mais il faut aussi prendre en compte la dengue et trouver un juste équilibre. En termes de volume, c’est cette épidémie qui nous pose des soucis… Et il ne faut pas oublier que les employés ne peuvent pas travailler 24 heures sur 24. C’est la raison pour laquelle le CHM a demandé à l’ARS de cibler des renforts de biologistes.

FI : Justement, en parlant de renforts, la réserve sanitaire est venue prêter main forte au CHM il y a quelques semaines. Une bonne nouvelle sachant que le nombre de personnels soignants contaminés est considérable…

C. P. : Il faut dire que le gouvernement a été relativement réactif à ce sujet-là. Nous avons notamment reçu des renforts de médecins et d’infirmiers aux urgences, qui sont de grande qualité. Nous sommes très contents de leur aide, qui nous a permis de soulager les équipes. Nous sentons que Paris a une oreille attentive aux spécificités de Mayotte. Il faut le dire, il y a également une certaine lassitude qui s’est installée chez les personnels soignants qui sont sur le pont depuis la fin du mois de février. Nous espérons pouvoir continuer en ce sens. D’ailleurs, une nouvelle rotation est déjà prévue.

FI : En prenant un peu de hauteur, nous avons l’impression que le 101ème département se situe dans un trou sans fond… Quelle serait la meilleure solution pour sortir de cette crise et voir enfin le bout du tunnel : un dépistage massif ou une immunité collective ?

C. P. : Déjà, l’immunité collective est une réponse théorique… Après, est-ce qu’à Mayotte nous pouvons augmenter les tests de manière massive ? Personnellement, je ne le pense pas, nous ne sommes ni l’Allemagne ni la Corée du Sud ! Comme je vous le disais, nous n’avons pas le matériel et les infrastructures nécessaires sur l’île. Nous allons vraisemblablement passer par un port généralisé du masque. Je le dis et le répète, seules les mesures barrières feront chuter efficacement le nombre de cas. Et lorsque nous passerons en phase 3, nous redirigerons en partie nos tests pour éviter la création de nouveaux clusters dans les familles, les villages et certaines catégories de métier comme l’Éducation nationale, les forces de l’ordre et la santé. Cette semaine, nous allons recevoir un test rapide, dénommé Qi-stat, qui permet d’avoir les résultats en une heure. Par contre, il est extrêmement cher et il est très limité en nombre. Mais il pourra nous permettre d’améliorer nos rotations dans les lits, notamment aux urgences et en médecine, pour savoir qui est positif et négatif et ainsi ne pas avoir d’inertie. Seule contrainte, ce n’est pas quelque chose que nous aurons de manière courante…

 

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