Un restaurant obligé à fermer par la municipalité, tandis qu’un snack est autorisé à ouvrir cinq mètres plus loin, une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) et un permis de construire qui auraient été obtenu en un temps record, un chantier tagué avec des amabilités et même des dépôts de plainte, la place de France à Dzaoudzi voit se livrer une rude bataille entre deux restaurateurs locaux.
Irwan Kamoula et Frank Ibanez, gérants respectifs du Dagoni et du Tour du monde à Dzaoudzi, ont beau être en vis-à-vis, ils ne peuvent plus se voir. L’histoire est connue d’un grand nombre d’habitants de la Petite-Terre, y compris des plus jeunes, qui n’hésitent pas à s’exprimer sur les réseaux sociaux en soutien à l’un des deux protagonistes, en l’occurrence le plus jeune. Ce qu’il convient de désigner par « un conflit de voisinage » oppose ces deux restaurateurs installés sur le Rocher, à deux pas l’un de l’autre, en face de la nouvelle place de France. Si Irwan Kamoula porte un nom très connu localement pour être le fils et le petit-fils de restaurateurs connus de la place, Frank Ibanez a présidé des années durant le syndicat des restaurateurs de l’île. C’est une figure connue du microcosme économique mahorais et d’entités décisionnelles, qui possède plusieurs établissements dans l’agglomération.
L’affaire prend de la consistance en 2023 lorsque la commune de Dzaoudzi-Labattoir décide d’aménager un parc botanique sur l’emplacement de l’ancien parc du bicentenaire de la Révolution française que Daniel Limodin (alors préfet de Mayotte) avait fait aménager pour marquer cet événement. Les nouveaux travaux ont permis d’y accueillir la place de France déplacée du rond-point conduisant au camp voisin de la Légion étrangère. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans une goutte d’eau pour assurer mon activité professionnelle. J’ai été contraint de m’adapter à la situation, les travaux engagés devant officiellement durer de juillet 2022 à septembre 2023. En décembre, les travaux n’étaient toujours pas terminés et finalement le parc a été inauguré en juillet 2024. J’ai été obligé d’ouvrir un nouveau restaurant à Labattoir », explique Irwan Kamoula. Selon ses dires, son voisin d’en face serait venu lui proposer de lui racheter son établissement dans le courant de juillet 2023. Une proposition qu’il aurait amicalement rejetée. Il rajoute qu’à sa grande surprise, il aurait reçu, deux semaines plus tard, la visite du chef de la police municipale de Dzaoudzi-Labattoir, Issouf Saoudi, lequel lui annonce que la collectivité locale allait entamer des projets sur le site, notamment un parking pour les voitures des futurs clients d’un magasin Sodifram appelé à ouvrir dans l’ancien night-club « le Ninga » et qu’elle entendait récupérer le foncier sur lequel est installé le restaurant. Un courrier de révocation de son autorisation d’occupation temporaire (AOT) allait officialiser la chose.
Un deux poids deux mesures à Dzaoudzi ?
Le courrier est bien arrivé au début du mois d’août, annonçant une obligation de libérer les lieux de toute installation à la date butoir du 13 septembre 2023. Un courrier lourd de conséquences pour le jeune restaurateur et remis en main propre par un policier municipal. « J’ai investi 150.000 euros dans cette affaire et j’emploie six salariés à plein temps, je ne comprenais rien à tout cela dans la mesure où la présence de ce restaurant figurait sur le panneau de chantier de ce parc », interroge le gérant du Dagoni. Il précise qu’en quatre ans d’existence, son établissement a essuyé deux procédures de fermeture administrative (et des amendes) dont une datant de mars 2024 dans laquelle le directeur de la police municipale de Dzaoudzi l’accuserait de « défaut de licence ».
Le jeune restaurateur n’est pas au bout de ses peines puisqu’il apprend de la bouche même de son voisin que celui-ci s’apprêtait à ouvrir un snack, plus en bas, à proximité de la mer et du détachement de la marine nationale. Et pour gagner du temps, il aurait trouvé une meilleure idée, demander une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) pour installer son snack juste à côté du Dagoni. Il aurait ainsi été autorisé à faire couler une dalle de béton de 36 m² pour asseoir sa future structure, un chantier que le jeune Kamoula dénonce haut et fort, y compris à travers le réseau social Facebook où il prend une forte résonnance. Il estime que cette procédure est entachée d’irrégularité et cherche à comprendre comment un permis de construire a pu être délivré à son voisin en seulement trois jours. Cette différence de traitement de la part de la mairie de Dzaoudzi-Labattoir lui est devenu insupportable et finit par atteindre son moral. Il est même allé taguer la barrière de tôles délimitant le chantier du futur snack.
Dépôts de plainte
L’affaire a pris encore une nouvelle dimension, judiciaire cette fois, avec dépôt de plainte de part et d’autre. Frank Ibanez affirme avoir été calomnié et menacé de mort par son jeune voisin. Il s’est bien gardé de commenter cette affaire, au motif qu’il a engagé une procédure devant la justice, via son avocat, aux fins de faire déclarer officiellement dément Irwan Kamoula et le faire interner. Ce dernier ne nie pas la violence de ses propos. « Oui, je reconnais avoir été violent dans mes propos, mais j’ai promis de tuer uniquement le pouvoir qu’exerce Frank Ibanez auprès de certains individus dans cette île, jamais sa personne physique », se défend-il. « Comment se fait-il que cette personne arrive à passer des coups de fil aux services de la préfecture pour obtenir des faveurs alors qu’il n’est qu’un ancien président du syndicat des restaurateurs de Mayotte ? Je ne suis pas le seul à poser cette question, j’ai 300 signatures de pétitionnaires qui demandent à comprendre », rajoute le patron du restaurant Le Dagoni.
A son tour, il aurait également déposé plainte et demandé une protection pour sa famille qui se sentirait menacée « par une personne prête à tout pour parvenir à ses fins ». Il accuse son concurrent « d’avoir maille à partir avec d’autres confrères que lui, d’avoir manipulé ses propos dans le seul but de le faire passer pour un fou ». le jeune homme déclare se battre pour Mayotte et sa jeunesse dans un contexte difficile et compliqué consécutif à la crise du Covid-19 et aux mouvements sociaux à répétition. Il fustige les positions ambivalentes des élus locaux qui ne soutiennent pas assez les initiatives des jeunes qui veulent créer de l’emploi et de la richesse sur le territoire. « J’ai conscience d’avoir plus à perdre qu’à gagner dans cette affaire, mais je ne souhaite pas que d’autres jeunes Mahorais aient à vivre la même mésaventure que moi, les mêmes injustices. »
La police rejette le favoritisme
Côté police municipale, le directeur Issoufi Saoudi déclare avoir agi dans le cadre strict de sa fonction et n’avoir rien de personnel contre Irwan Kamoula. Il a expliqué que l’AOT dont a bénéficié le jeune restaurateur stipule qu’il a obligation de tenir les lieux propres, et qu’à l’époque où il a été amené à intervenir au Dagoni en 2023, l’endroit était insalubre. Ce serait à ce titre qu’il a recommandé à la municipalité le retrait de l’autorisation en question. Il précise, en outre, avoir été informé (par des connaissances qui l’ont vu sur les réseaux sociaux) d’une plainte déposée contre lui par Irwan Kamoula et attend d’être convoqué et entendu par les enquêteurs en charge de ce dossier. Autre précision qu’il apporte, il n’est en rien concerné par la procédure d’attribution de permis de construire pour la construction du futur snack de Frank Ibanez.
Un grand embarras règnerait du côté de la municipalité de Dzaoudzi-Labattoir. « Le maire actuel, Mikidache Houmadi, met tout sur le dos de son prédécesseur Saïd Omar Oili, actuel sénateur de Mayotte, alors que les documents sont bien signés de lui », complète le patron du restaurant Le Dagoni.
Journaliste politique & économique