Coincés d’abord à Madagascar, puis à Mayotte, crise sanitaire oblige, Tom et Emma cherchent à nouveau à former leur équipage pour reprendre le large. Une invitation au voyage qui veut avant tout promouvoir un autre mode de vie. Au grand air.
Vendredi, 10h, le vent souffle fort sur le lagon. À bord du Karaka, qui mouille à quelques encablures de l’école de voile de Petite-Terre, l’on entend presque craquer les mâts, comme si l’on voguait déjà vers le grand large. En descendant les marches en bois qui mènent à la cabine, il flotte dans l’air un parfum d’encens et d’aventure. Les instruments de musique qui recouvrent le plafond, les livres qui tapissent les moindres centimètres des étagères… Tous les bibelots dont regorge l’embarcation semblent être le souvenir d’un pays lointain, récolté au gré des océans. “Ça, c’est quand on a sauvé 45 gamins à bord d’une petite barge, dans un atoll du Pacifique (au Kiribati, à mi-chemin entre Tahiti et Hawaï)”, se remémore Tom, le capitaine, en désignant une broderie qui orne un pan de mur. Sur le chemin de l’école, la barque de fortune se trouve emportée par le courant, direction la haute mer ! “On est allé les récupérer, et au village, ils ont organisé une grande fête pour nous remercier. Ils nous ont couverts de cadeaux !”, complète Emma, ancienne experte de la data et du marketing à Paris, reconvertie en équipière depuis sept ans.
Un bateau à un dollar
Des récits comme ceux-là, les deux navigateurs les collectionnent. L’histoire même du Karaka, vieux rafiot acheté pour un dollar symbolique par Tom en 2004 alors qu’il “rouillait au « Causeway Bay Typhoon Shelter » sur l’île de Hong Kong”, vaut le détour. Construit en Nouvelle-Zélande par un mécanicien de la banlieue d’Auckland, derrière chez lui, le voilier fait le tour du monde depuis les années 70 ! Trois propriétaires plus tard, le Karaka échoue à Hong-Kong, avant d’être récupéré par son actuel capitaine, alors que les autorités locales menaçaient de détruire ce qu’ils voyaient comme une épave. À l’époque, Tom a 24 ans et a déjà “pas mal bourlingué”, retrace ce titulaire d’un BTS tourisme, passé par l’étape backpacker avant de travailler sur des charters. Quand il tombe sur le Karaka, le moussaillon y voit assez naturellement l’occasion de poursuivre sa découverte du monde, sur la mer plutôt que sur terre. Le concept ? Trouver des équipiers prêts à partager ses aventures.
Co-living en mer
Attention, rien à voir avec une croisière ! “C’est un peu comme le concept de coopérative, c’est du co-living en mer, de la co-navigation en gros. Il y a d’autres bateaux qui fonctionnent sur le même principe, chacun contribue. Parce que ça coûte quand même cher d’entretenir un bateau de cette taille, qui plus est assez vieux. Mais on essaie de rester sur un but non lucratif, parce qu’on ne fait pas du charter”, développe le propriétaire, en caressant nonchalamment Plume, le troisième occupant – félin, celui-là – du navire. Il faut donc compter environ 150 euros par mois de contribution financière par équipier. Et quelques donations sur Internet “permettent de faire tourner le site”. Pour le reste, il suffit de mettre la main à la patte. Créatifs, aventuriers, débrouillards sont les bienvenus à bord. Et pas besoin de CV ! “C’est plus une histoire d’attitude, on ne veut pas des gens expérimentés, mais plus des gens qui cherchent à s’initier à ce mode de vie”, expose Tom, qui cherche justement ces perles rares, en ce moment à Mayotte.
Le Covid réduit la voilure
Coincé par la crise sanitaire, l’équipage du Karaka trépigne à l’idée de reprendre le large. “On est d’abord resté pendant quelques mois à Madagascar l’année dernière, avant de devoir partir. Mais on a peut-être dû passer un mois et demi à bord, tous les deux, sans voir personne, ça nous a fait bizarre”, sourit Emma en jetant un œil nostalgique au planisphère derrière elle. À la base, plusieurs équipiers devaient venir les rejoindre des quatre coins du monde pour naviguer sur l’océan Indien, mais le Covid les a stoppés en plein vol. Objectif, aujourd’hui : reprendre la course et profiter des alizés pour filer vers la Tanzanie, avant de redescendre vers l’Afrique du Sud puis de traverser l’Atlantique, vers l’Amérique du Sud.
Si le Covid le permet ! “Vu la situation, on cherche plutôt des Français vaccinés, cette fois-ci”, précise le couple de marins. Pour se lancer dans cette traversée, mieux vaut donc aussi avoir prévu du temps, au moins un mois, si ce n’est six. En tout, Tom et Emma recherchent aujourd’hui quatre équipiers motivés. “Pour partir de Tanzanie, la fenêtre est assez petite, maximum jusqu’à octobre novembre pour éviter les tempêtes”, rappellent-ils. Même si, “aujourd’hui, avec les technologies, il faut vraiment rater son coup pour tomber sur une tempête. En général, on se débrouille pour mouiller quelque part le temps que ça passe”. Mais entre la menace terroriste au Mozambique et la possible fermeture de Madagascar à cause du coronavirus, mieux vaut éviter la saison cyclonique pour passer dans le bras de mer en direction du Cap de Bonne Espérance… Sinon ? Retour à la case départ à Mayotte, le temps de laisser passer des cyclones… et une pandémie. Avant de répondre à nouveau à l’appel du large.