Et si les Comores n’avaient pas déclaré leur indépendance en décembre 1974, préférant l’option, retenue par le peuple mahorais, de devenir département français ? Nous imaginons ce qu’aurait pu donner la situation en 2022, 48 ans plus tard, en compagnie de Kira Bacar Adacolo, politiste et publiciste, spécialisé dans l’analyse des politiques publiques institutionnelles, et auteur de « La perception de la transformation de Mayotte en département d’Outre-Mer » (2011), « Légende d’un promontoire » (2020), et d’un « Essai d’évaluation de la départementalisation de Mayotte » (2021).
Mayotte Hebdo : Si, dans les années 1970, la population des trois îles comoriennes avait choisi, comme les Mahorais, de devenir françaises à part entière, qu’est-ce que ça donnerait aujourd’hui, et notamment politiquement ?
Kira Bacar Adacolo : Je pense que si les Comores étaient restées françaises après la consultation d’autodétermination de nos atolls, il y a deux hypothèses. Soit l’ensemble des Comores allaient rester un territoire d’outre-mer parce que le reste des Comores n’a jamais voulu de la départementalisation. Les intellectuels comoriens ont toujours voulu leur indépendance. Donc je crois que s’ils étaient restés français, soit ils allaient rester dans le statut de TOM, ou bien devenir des collectivités d’outre-mer, mais en réalité, c’est la même chose.
M.H. : Comment les choses s’organiseraient ? Un seul conseil départemental, plusieurs députés ?
K.B.A : Peut-être que l’on ne serait pas un seul département, mais plusieurs, ainsi qu’une région, pourquoi pas ? Ça aurait été l’une des configurations possibles, parce que ces territoires différents auraient très bien pu évoluer distinctement en collectivité. Une seule région et quatre départements, donc.
M.H. : En se plaçant du point de vue mahorais, est-ce que ça voudrait dire que Mayotte aurait peut-être moins d’importance vis à vis de l’État français ?
K.B.A. : Forcément, parce que dans un ensemble comorien, la Grande Comore et Anjouan sont beaucoup plus importantes en termes de population et de superficie. Je crois que le choix qu’ont fait les Mahorais de rester dans le giron français a été motivé par le fait que l’on perdait à être intégré dans l’ensemble comorien. Mayotte est devenue une colonie française en 1841, tandis que la Grande Comore est devenue protectorat français en 1886. C’est à partir de 1912, par décret officiel de l’État français, que Mayotte et les Comores font partie intégrante du territoire français, elles étaient d’ailleurs rattachées à Madagascar. La France s’était installée beaucoup plus tôt à Mayotte que sur les autres îles. Mais avec le transfert de la capitale dans les années 1960 à la Grande Comore, Mayotte a perdu de l’importance. Et c’est pour ça d’ailleurs que les femmes, les Chatouilleuses, se sont soulevées et rebellées.
M.H. : L’un des plus grands problèmes de Mayotte, actuellement, est l’immigration. Dans cette hypothèse de collectivité comorienne, la libre circulation serait logiquement en vigueur. Comment cela se traduirait-il ?
K.B.A. : Je suis convaincu que nous ne vivrions pas cette problématique. D’ailleurs, est-ce qu’avec l’influence qu’aurait encore plus la Grande Comore, puisque c’était le cas, tout le monde n’irait pas travailler là-bas, nous y compris ? Soit on serait traités de manière équitable par l’État central français et chacun aurait son administration, et dans ce cas la population et les entreprises restent chez soi. Soit les choses auraient continué. On aurait toujours pu se rencontrer, puisque les administrations auraient été communes, mais transférées à la Grande Comore. Peut-être donc que nous aurions connu une situation migratoire inverse, où les Mahorais iraient s’installer plus à Grande Comore que l’inverse.
M.H. : D’un point de vue régional, et commercial, une telle collectivité aurait plus de poids démographique et économique que les îles voisines, La Réunion y compris ?
K.B.A. : Les gens qui ont vécu la période où Mayotte faisait partie des Comores auraient pu mieux expliquer cette situation. Mais en tous cas, je pense que si l’ensemble des Comores était français, elles auraient plus de poids. 800.000 habitants, plus les 300.000 Mahorais, plus les deux diasporas, on rivalise déjà en termes de population. Je pense aussi que l’économie serait meilleure, il suffit de regarder ce qu’il se passe entre Mayotte et les Comores, avec un PIB beaucoup plus élevé ici. Du coup, cette région fictive dont on parle ici aurait plus de puissance économique, rivaliserait certainement avec La Réunion, et influerait sur les relations commerciales avec l’Afrique de l’Ouest et Madagascar, certainement. Aujourd’hui, Mayotte est seule, entre le marteau et l’enclume, finalement, parce que La Réunion nous met des bâtons dans les roues, les Comores encore plus. Ce n’est pas aussi facile qu’on le dit.
Retrouvez l’intégralité du dossier « Et si les Comores étaient françaises ? » dans le numéro 1018 de Mayotte Hebdo.