La commune de Tsingoni a fait l’objet d’un rapport salé de la chambre régionale des comptes La Réunion-Mayotte. Publiées le 29 janvier, les observations font part d’un fonctionnement opaque du conseil municipal, des frais d’élus difficiles à justifier, des finances dans le rouge ou des règles des marchés publics qui ne sont pas respectées.
Conseil municipal
Pierre angulaire de la vie politique de la commune, le conseil municipal de Tsingoni a la particularité de connaître deux maires lors de cette mandature. Le premier, Bacar Mohamed, a dû laisser sa place suite à une décision de justice en mai 2023 (il est décédé quelques mois plus tard) et a été remplacé par son adjoint, Hamada Issilamou. Les deux ont été investis de nombreuses attributions par leur conseil qui ne respecte pas toujours les règles du code général des collectivités territoriales, comme le montre le dernier rapport de la chambre régionale des comptes La Réunion-Mayotte. Ainsi, la première recommandation est de “rendre compte au conseil municipal des décisions prises par le maire en vertu de sa délégation”. Dans le même registre, les délégations pour les adjoints restent vagues, des délibérations sont prises sans le quorum nécessaire et les actes ne sont pas publiés numériquement comme la loi l’oblige.
Appelé à répondre, le maire actuel avance que le problème des délégations a été réglé lors du conseil municipal du 29 septembre 2024.
Finances
C’est la partie la plus critique du rapport d’observations. “Non seulement la qualité des comptes de la commune ne s’est pas améliorée depuis le précédent contrôle de la chambre mais elle s’est dégradée au cours de la période 2019-2023”, observent les magistrats. Ils ont cependant été confrontés à un gros problème, le manque de fiabilité des comptes. Il est fréquent que la municipalité fasse des erreurs en les remplissant ou ne les tenant pas à jour. A cela s’ajoutent une émission de recettes qui intervient trop tardivement. “44 % des titres émis par la commune sont rejetés par le comptable public entre 2019 et 2023, principalement en raison d’absence de pièces justificatives ou de mauvaises imputations : 67 % des titres émis en 2021 et 50 % des titres émis en 2022 sont concernés.” Faute de suivi, des subventions deviennent caduques, tandis que la capacité d’autofinancement est devenue nulle voire négative, tandis que les charges de gestion ont progressé de 60 % entre 2019 et 2023. Cela plombe le budget de la commune qui se retrouve avec des dépenses largement supérieures aux recettes. “De ce fait, le déficit du compte administratif est plus de deux fois supérieur aux 10 % des recettes de fonctionnement de l’exercice (soit 1,5 M€) et devrait avoir pour conséquence une saisine de la chambre par le préfet”, estime la CRC. Pire, la trésorerie est tellement dans le rouge que cela fait de Tsingoni un mauvais payeur avec un délai de paiement porté à 108 jours en 2022. “Les difficultés de trésorerie perdurent en 2024 et causent des menaces d’abandon de chantier. Par exemple, malgré un ordre de paiement en ce sens, le comptable n’a pas pu procéder au paiement d’une facture de 130.000 € concernant les travaux de réhabilitation de la mosquée”, fait remarquer l’instance.
“Conscient des manquements liés à la qualité comptable et compte tenu de vos observations provisoires, la commune a engagé la voie du redressement. C’est dans ce contexte que j’ai mis en place un plan de restructuration de la direction des finances avec le renforcement d’un agent de catégorie A”, se défend le maire.
Marchés publics
“Le précédent rapport d’observations de la chambre soulignait de nombreuses carences en matière de marchés publics. Force est de constater que celles-ci persistent”, cingle la CRC, qui note un recours au fractionnement des marchés, qui avait déjà provoqué la chute du précédent édile. La commune a ainsi peiné à fournir les justificatifs demandés par les magistrats pour un échantillonnage. Sur le fractionnement des marchés, l’exemple du plateau sportif de Tsingoni est mis en exergue avec des travaux de réhabilitation qui ont fait l’objet de lots avec plusieurs montants hors marché. La Chambre recommande vivement à la commune de “cesser sans délai de scinder ses achats en méconnaissance des dispositions de l’article R. 2121-4 du code de la commande publique”. A ce sujet, la mairie reconnaît des manquements à laquelle elle tente de mettre fin. “C’est dans ce contexte que, dès mon élection en mai 2023, j’ai organisé des sessions de formations pour les élus et les cadres sur les risques pénaux liés aux manquements aux principes de la commande publique”, explique le premier magistrat.
Ressources humaines
Sur les recrutements, la CRC rappelle que les communes peuvent recruter un directeur général des services avec des contrats d’une durée de trois ans maximum pour permettre à de nouvelles majorités municipales de changer si la confiance avec le directeur n’est plus. A Tsingoni, celui-ci a la particularité d’être embauché en contrat à durée indéterminée avec “une rémunération perçue qui dépasse celle fixée par le cadre réglementaire”. Même chose pour les collaborateurs de cabinet dont “les actes de recrutement sont insuffisamment précis”.
L’augmentation des charges est aussi scrutée. “Eu égard au besoin de ressources propres pour le financement des investissements, la maîtrise des charges de personnel constitue un enjeu prioritaire nécessitant une gestion pluriannuelle du plafond d’emploi conduisant à sa diminution. La commune doit engager une réflexion afin de contenir ses charges de personnel”, est-il recommandé. Cette dernière répond qu’elle connaît des difficultés de recrutement pour expliquer les avantages alloués et maintient que le CDI de son directeur est autorisé par la jurisprudence.
Frais des élus
A Tsingoni, les frais de déplacement, de missions et de représentation en 2023 ont explosé avec 140.000 euros. Cinq ans auparavant, la préfecture de Mayotte avait pourtant tiré la sonnette d’alarme, rappelle l’instance. Car outre l’accompagnement des équipes sportives, les magistrats s’interrogent sur le mandat accordé en moyenne à cinq conseillers municipaux pour participer au congrès de l’association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCDOM) et à celui de l’association des maires de France (AMF). Les frais de représentation du maire souffrent de la même opacité. Ainsi, aucun justificatif n’est donné pour l’enveloppe de 10.000 euros qui est allouée entièrement au maire. “La commune prend pourtant également en charge divers autres frais, notamment liés à ses déplacements en dehors du département”, ajoute la Chambre. La municipalité a adopté un règlement pour les déplacements de ses élus et agents depuis juillet 2023.
Scolarisation
C’est un mal que connaîssent bien les mairies de Mayotte, la poussée démographique sur le territoire amplifiée par l’immigration fait que les effectifs scolaires ne cessent d’augmenter et imposent des rotations de classe faute de nouveaux établissements construits. “Entre les années scolaires 2018-2019 et 2023-2024, la population scolaire communale a enregistré une augmentation de 38 % de ses effectifs. L’augmentation est la plus importante pour les enfants de maternelle dont le nombre a crû de 82 % au cours de cette période”, est-il ainsi relevé. Faute d’établissements supplémentaires, les trois-quarts des élèves de la commune sont dans ce système de rotations pour l’année 2025. La Chambre rappelle également que dresser chaque année la liste des enfants résidant dans la commune et soumis à l’obligation scolaire figure dans le code de l’éducation. En parallèle, le coût de fonctionnement de la compétence scolaire continue d’augmenter pour atteindre 2,8 millions d’euros en 2023.
Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.