Tribune. Un temps d’échange « stérile et inquiétant » estiment les maires suite à leur rencontre avec Yaël Braun-Pivet

Alors que la présidente de l’Assemblée nationale a échangé avec les élus locaux ce jeudi au conseil départemental, le président de l’association des maires de Mayotte, Madi Madi Souf, a souhaité réagir à un échange que les édiles jugent décevant.

Madame la Présidente,

Nous avions accueilli l’annonce de l’arrivée à Mayotte du 4ème personnage de l’État avec espoir, en particulier dans le contexte que vous connaissez et qui de l’aveu même du Gouvernement, place le Parlement et donc notamment l’Assemblée Nationale que vous présidez, dans une position déterminante pour enrichir le projet de loi d’urgence pour Mayotte.

Au moment de votre départ, force est finalement pour nous, élus Mahorais, de vous partager le goût amer et la déception que votre visite sur notre territoire dévasté nous laisse.

Nous faisons en particulier référence à la séquence de travail qui a été organisée ce jeudi 9 janvier 2025 à 14h30 à l’hémicycle Bamana et qui avait pour vocation de vous permettre d’échanger avec les élus de Mayotte sur le plan Mayotte Debout et sur le projet de loi d’urgence.

Ce temps d’échange qui aurait dû être fructueux et rassurant, s’est finalement avéré stérile et inquiétant.

En effet, lors de cette rencontre, vous avez souligné que le projet de loi d’urgence était bon pour Mayotte. Devons-nous vous rappeler que ce projet de texte, tout comme le plan, a fait l’objet de nombreuses demandes d’amendements et de compléments de la part des élus de Mayotte, conseillers départementaux, maires et parlementaires, qui n’ont visiblement pas été pris en compte par le gouvernement ?

Ce qui a d’ailleurs conduit le Conseil Départemental réuni en séance plénière le 8 janvier, le jour même de son examen en conseil des ministres, à formuler un avis réservé sur ce projet de loi.

A l’heure où le Gouvernement lui-même reconnait le caractère incomplet de ce texte, nous ne pouvons que dénoncer votre position déconcertante et vous alerter sur les manquements qu’elle traduit, tant en termes de connaissance de la réalité et de l’ampleur des enjeux locaux qu’en termes de mesure du caractère inédit et historique du moment que nous traversons.

Poursuivant sur votre lancée, vous avez déclaré être opposée à la suppression pure et simple du droit du sol à Mayotte convoquant à l’appui de vos propos le sacro-saint principe d’une République « une et indivisible » et indiquant qu’il ne faut pas, selon vous, faire des différences sur les territoires sur des points essentiels tels que la nationalité. Ce serait même selon vous une entaille au contrat républicain et à l’unité de la République.

Madame la Présidente, vos propos auraient peut-être pu faire sens dans l’Hexagone, dans un département à part entier avec une situation socio-économique proche de la nationale. Mais à Mayotte, qui est le département de toutes les différences, ils sont vides de sens et résonnent même comme une offense.

Avez-vous oublié, vous qui êtes pourtant à la tête d’une Assemblée qui vote les lois, le traitement inégalitaire infligé dans de nombreux textes à Mayotte et à sa population ? Est-il nécessaire de vous rappeler les réalités vécues depuis des décennies dans ce 101ème département de France laissé en marge de ce contrat républicain et de cette unité que vous sacralisez aujourd’hui ? Est-il nécessaire, malgré vos visites sur place, de vous faire remarquer qu’avant ou après Chido, Mayotte reste à ce stade « un département entièrement à part » ? La République est-elle véritablement une et indivisible quand elle maintient les familles mahoraises en difficultés à un niveau de prestations et des minimas sociaux moitié inférieur au reste de la France ? La République est-elle véritablement une et indivisible quand elle laisse partir des agents du service public après des décennies de bons et loyaux services avec moins de 300€ de retraite par mois ? Le sportif mahorais est-il véritablement un Français à part entière quand il ne peut même pas chanter la Marseillaise lors des Jeux des îles de l’Océan Indien ?

Nos quartiers populaires classés QPV sont-ils des quartiers comme les autres quand ils ne sont accompagnés qu’à hauteur de 8€/habitant dans le cadre de la politique de la ville, quand ailleurs les QPV bénéficient de 75€/habitant.

Le département de Mayotte fait-il pleinement partie de cette République une et indivisible quand des milliers de titres de séjour y sont délivrés par an et qu’ils ne sont valables que sur le territoire mahorais ?

Vous faites incontestablement fausse route sur l’ensemble de ces questions qu’on pourrait démultiplier davantage si l’heure n’était pas aussi grave plaçant le curseur de l’urgence sur l’action constructive et la réaction salutaire…

Madame la Présidente, il n’est jamais trop tard pour faire mieux, mais il est plus que jamais indispensable de changer de posture.

Nous vous recommandons ni plus ni moins que l’écoute attentive de la voix des élus de Mayotte, porte-voix de la population locale et fins connaisseurs des forces et faiblesses du territoire.

Comme l’a si justement écrit Jacques Salomé : « écouter, c’est accueillir l’autre avec reconnaissance tel qu’il se définit lui-même sans se substituer à lui pour lui dire ce qu’il doit être ».

Qui mieux que nous, qui sommes nés ici, avons grandi ici, et exerçons ici des responsabilités, pour vous dire ce qui est bon pour nous ? Plutôt que vous inscrire à rebours de nos revendications unanimes, accompagnez-nous dans leur concrétisation.

Sur la question de la suppression du droit du sol et de la fin du visa territorialisé, qui étaient des priorités du projet de loi Mayotte enterré après la dissolution de l’Assemblée nationale au mois de juillet dernier : écoutez-nous et accompagnez les initiatives législatives qui permettront de traiter enfin cette problématique d’immigration irrégulière à l’origine de nombreux maux qui frappent notre île depuis trop longtemps.

Il est illusoire de croire que Mayotte peut se relever sans un traitement d’urgence et radical de cette question et c’est la raison pour laquelle les élus du territoire souhaitent le voir figurer en bonne place dans le projet de loi d’urgence Mayotte.

Il en est de même sur les questions sociales : écoutez-nous et prenez appui sur votre attachement à l’unité et l’indivisibilité de la République pour inscrire dans les textes l’alignement des prestations et des minimas sociaux. Et nous n’oublions pas la question de l’alignement des dotations aux collectivités locales, sujet majeur pour la reconstruction de nos villes…

Écoutez-nous et faites résonner la promesse républicaine d’égalité dans chacune de nos communes et dans chacun de nos villages.

Ensemble, cessons de faire la même chose et nous aurons enfin des résultats différents.

Au nom des Maires de Mayotte, Madi Madi Souf, le président de l’Association des Maires de Mayotte.

Madi Madi Souf, président de l'Association des Maires de Mayotte

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