Ahmed Idriss : La loi prévoit qu’un enfant né en France (y compris Mayotte) de parents étrangers devient français dès l’âge de 18 ans. C’est ce mode d’accession à la nationalité par la naissance sur le sol français qui est appelé communément droit du sol. Mais la jouissance de ce droit est soumise à plusieurs conditions rappelées à l’article 21-7 du code civil : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. »
Il ne suffit donc pas d’être né en France pour acquérir automatiquement la nationalité française ; encore faut-il justifier d’une résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans et y résider au premier jour de ses dix-huit ans. Mais sous réserve de remplir la condition de résidence habituelle en France d’au moins cinq ans à partir de l’âge de 8 ans, les parents étrangers de l’enfant né en France peuvent réclamer, de façon anticipée, la nationalité française au nom de leur enfant dès que celui-ci a atteint l’âge de 13 ans. De la même façon, l’enfant, indépendamment de ses parents, peut réclamer la nationalité française dès l’âge de 16 ans s’il remplit la condition de 5 années de résidence habituelle en France.
F.I. : Le droit du sol a été adapté à Mayotte en 2018. Qu’est-ce qui a changé ?
A.I : À Mayotte, la loi du 10 septembre 2018 est venue modifier les règles d’acquisition de la nationalité française en introduisant une condition supplémentaire spécifique à la mise en œuvre du droit du sol : désormais, l’un au moins de deux parents étrangers de l’enfant né à Mayotte doit être en situation régulière, sous couvert d’un titre de séjour, depuis au moins trois mois consécutifs à la date de sa naissance (article 2493 du code civil). Il en va de même pour la mise en œuvre des procédures de réclamation anticipée (13 ans et 16 ans). Il s’agit là d’une adaptation opérée en application de l’article 73 de la Constitution pour faire face à la pression migratoire essentiellement en provenance des Comores comme l’avait soutenu le Sénateur Thani Mohamed Soilihi.
F.I. : Le gouvernement entend supprimer le droit du sol à Mayotte dans les prochains mois. Cette mesure n’est-elle pas anticonstitutionnelle ?
A.I : Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 73 de la Constitution dispose que « dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Lors du débat sur le projet de loi Collomb (2018) certains députés ont contesté les dispositions relatives à l’adaptation du droit du sol à Mayotte, sous prétexte qu’elles méconnaissaient les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi. Ces mêmes dispositions étaient critiquées par des sénateurs au motif qu’elles méconnaîtraient notamment l’indivisibilité de la souveraineté nationale.
Dans sa Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 déclarant conformes à la Constitution les dispositions du projet de loi Collomb relatives à l’adaptation du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel, après voir relevé que la collectivité de Mayotte est « soumise à des flux migratoires très importants » au regard de la « forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé et croissant d’enfants nés de parents étrangers », a considéré que de telles circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, « de lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, d’y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France ».
On peut dès lors considérer que l’éventuelle suppression du droit du sol à Mayotte n’excéderait pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières sur le fondement du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution.
F.I. : Quelle procédure le gouvernement doit suivre pour réviser la Constitution ?
A.I : La révision constitutionnelle annoncée par le ministre de l’Intérieur est prévue par l’article 89 de la Constitution de 1958. En pratique, elle se fait à l’initiative du gouvernement qui doit d’abord présenter un projet de loi supprimant le droit du sol à Mayotte. Le texte est ensuite soumis au vote de l’Assemblée et du Sénat. Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs, ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat avant d’être adopté par référendum ou par une majorité des trois cinquièmes du Congrès.
F.I. : Combien de temps faut-il compter pour que cela se fasse ?
A.I : Il faut compter un délai de six semaines entre le dépôt du projet ou de la proposition de loi et sa discussion en séance est requis. La procédure accélérée n’est pas possible. Est également applicable le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde.
F.I. : Le gouvernement peut-il utiliser le 49.3 pour faire passer la mesure s’il n’a pas le soutien du Parlement ?
A.I : Impossible pour la révision constitutionnelle du droit du sol qui exige une adoption par référendum ou par une majorité des trois cinquièmes du Congrès.