Suppression du droit du sol à Mayotte : possible mais pas facile

Cest lune des mesures phares annoncées par le ministre de lintérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, lors de sa visite à Mayotte le 11 février dernier. La suppression du droit du sol à Mayotte suscite de vives critiques de part et dautre dans lensemble du territoire national. Selon Laurent Fabius, le président du Conseil Constitutionnel, cela pose « la question de lindivisibilité de la République ». Alors après l’effervescence de l’annonce, beaucoup s’interrogent sur la faisabilité de cette décision qui nécessite une révision de la Constitution. Dans le dernier numéro de Mayotte Hebdo, maître Ahmed Idriss, avocat et ex-bâtonnier du barreau de Mayotte, nous explique les différents obstacles que le gouvernement devra passer.
Flash Infos : Le ministre de lintérieur et des Outre-mer a annoncé la suppression du droit du sol à Mayotte. Quels sont les principes du droit du sol ?

Ahmed Idriss : La loi prévoit quun enfant né en France (y compris Mayotte) de parents étrangers devient français dès l’âge de 18 ans. Cest ce mode daccession à la nationalité par la naissance sur le sol français qui est appelé communément droit du sol. Mais la jouissance de ce droit est soumise à plusieurs conditions rappelées à larticle 21-7 du code civil : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. »

Il ne suffit donc pas d’être né en France pour acquérir automatiquement la nationalité française ; encore faut-il justifier dune résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue dau moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans et y résider au premier jour de ses dix-huit ans. Mais sous réserve de remplir la condition de résidence habituelle en France dau moins cinq ans à partir de l’âge de 8 ans, les parents étrangers de lenfant né en France peuvent réclamer, de façon anticipée, la nationalité française au nom de leur enfant dès que celui-ci a atteint l’âge de 13 ans. De la même façon, lenfant, indépendamment de ses parents, peut réclamer la nationalité française dès l’âge de 16 ans sil remplit la condition de 5 années de résidence habituelle en France.

F.I. : Le droit du sol a été adapté à Mayotte en 2018. Quest-ce qui a changé ?

A.I : À Mayotte, la loi du 10 septembre 2018 est venue modifier les règles dacquisition de la nationalité française en introduisant une condition supplémentaire spécifique à la mise en œuvre du droit du sol : désormais, lun au moins de deux parents étrangers de lenfant né à Mayotte doit être en situation régulière, sous couvert dun titre de séjour, depuis au moins trois mois consécutifs à la date de sa naissance (article 2493 du code civil). Il en va de même pour la mise en œuvre des procédures de réclamation anticipée (13 ans et 16 ans). Il sagit là dune adaptation opérée en application de larticle 73 de la Constitution pour faire face à la pression migratoire essentiellement en provenance des Comores comme lavait soutenu le Sénateur Thani Mohamed Soilihi.

F.I. : Le gouvernement entend supprimer le droit du sol à Mayotte dans les prochains mois. Cette mesure n’est-elle pas anticonstitutionnelle ?

A.I : Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, larticle 73 de la Constitution dispose que « dans les départements et les régions doutre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire lobjet dadaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

Lors du débat sur le projet de loi Collomb (2018) certains députés ont contesté les dispositions relatives à ladaptation du droit du sol à Mayotte, sous prétexte quelles méconnaissaient les principes dindivisibilité de la République et d’égalité devant la loi. Ces mêmes dispositions étaient critiquées par des sénateurs au motif quelles méconnaîtraient notamment lindivisibilité de la souveraineté nationale.

Dans sa Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 déclarant conformes à la Constitution les dispositions du projet de loi Collomb relatives à ladaptation du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel, après voir relevé que la collectivité de Mayotte est « soumise à des flux migratoires très importants » au regard de la « forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi quun nombre élevé et croissant denfants nés de parents étrangers », a considéré que de telles circonstances constituent, au sens de larticle 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, « de lutter contre limmigration irrégulière à Mayotte, dy adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à lentrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant lacquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France ».

On peut dès lors considérer que l’éventuelle suppression du droit du sol à Mayotte nexcéderait pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières sur le fondement du premier alinéa de larticle 73 de la Constitution.

F.I. : Quelle procédure le gouvernement doit suivre pour réviser la Constitution ?

A.I : La révision constitutionnelle annoncée par le ministre de l’Intérieur est prévue par l’article 89 de la Constitution de 1958. En pratique, elle se fait à l’initiative du gouvernement qui doit d’abord présenter un projet de loi supprimant le droit du sol à Mayotte. Le texte est ensuite soumis au vote de l’Assemblée et du Sénat. Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs, ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté dans les mêmes termes par lAssemblée nationale et le Sénat avant d’être adopté par référendum ou par une majorité des trois cinquièmes du Congrès.

F.I. : Combien de temps faut-il compter pour que cela se fasse ?

A.I : Il faut compter un délai de six semaines entre le dépôt du projet ou de la proposition de loi et sa discussion en séance est requis. La procédure accélérée nest pas possible. Est également applicable le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde.

F.I. : Le gouvernement peut-il utiliser le 49.3 pour faire passer la mesure sil na pas le soutien du Parlement ?

A.I : Impossible pour la révision constitutionnelle du droit du sol qui exige une adoption par référendum ou par une majorité des trois cinquièmes du Congrès.

Retrouvez les dernières actualités du mouvement social dans le numéro 1076 de Mayotte Hebdo : Blocages à Mayotte : le dénouement ?.

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