Réforme des retraites : « Une rupture d’égalité pour les Français de Mayotte »

La députée de la première circonscription de Mayotte, Estelle Youssouffa, a rencontré le conseil constitutionnel, ce mardi. Elle a défendu l’abandon de la réforme des retraites et notamment la censure des trois articles spécifiques à Mayotte qui seraient certes des avancées, mais excluent toujours les Mahorais du droit commun.  

« Monsieur le président, Mesdames et Messieurs membres du conseil constitutionnel,
Je souhaite par mes mots vous présenter la rupture d’égalité que représente les dispositions de ce texte pour le département de Mayotte que j’ai l’honneur de représenter à l’Assemblée nationale.
Dans le projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale (N.D.L.R. c’est ce texte qui reporte l’âge légal du départ à la retraite à 64 ans), trois articles sont exclusivement applicables à Mayotte : l’article 19 organise la majoration exceptionnelle par un montant forfaitaire fixé par décret des pensions de vieillesse à taux plein à Mayotte, l’article 20 dispose d’une revalorisation exceptionnelle d’un montant forfaitaire fixé par décret de l’allocation spéciale pour les personnes âgées à Mayotte (N.D.L.R. les deux ont été défendus par son collègue Mansour Kamardine). Enfin, l’article 29 prévoit que les résidents de Mayotte qui exercent les professions libérales mentionnées à l’article L. 646-1 du Code de la sécurité sociale et les directeurs de laboratoires privés d’analyses médicales non médecin bénéficieront d’un régime de prestations complémentaires de vieillesse propre à chacune de ces catégories professionnelles.
Bien que ces mesures peuvent apparaitre comme de modestes avancées, nous demandons la censure de ces trois articles en ce qu’ils constituent une rupture d’égalité entre les Français de Mayotte et l’ensemble des citoyens français hors TOM. Il s’agit par cette censure d’affirmer l’égalité entre les citoyens du département de Mayotte et les autres départements ultra-marins concernés par cette réforme. En effet, Mayotte relève depuis 2011 de l’article 73 de la Constitution qui dispose dans son premier alinéa que « dans les départements et les régions d’Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Ainsi, logiquement et préalablement à l’étude du texte, j’ai interrogé le ministre du Travail lors d’une question au gouvernement, le 31 janvier 2023, sur l’application du texte au département de Mayotte qui m’a répondu, je le cite « Serait-il possible d’appliquer le projet que nous défendons à la situation des assurés et des pensionnés de Mayotte ? Ce n’est pas souhaitable car les paramètres de cette réforme ne correspondent pas à la situation que vivent là-bas les assurés aussi bien que les pensionnés. […] Le projet, tel que nous le défendons ne serait pas bon s’il était appliqué à Mayotte ».
Ainsi, à l’inverse des dispositions de l’article 73, j’apprends, comme tous les Français de Mayotte, que le PLFRSS ne serait pas bon s’il était appliqué à Mayotte. Je suis maintenant devant vous avec trois articles du PLFRSS uniquement applicables à Mayotte avec des avancées exceptionnelles fixées par décret. Comment justifier ces mesures alors qu’aucun autre département français n’est concerné ? Comment justifier ces mesures pour certains professionnels et non l’ensemble des actifs à Mayotte ?
La raison me parait simple : à Mayotte, la retraite moyenne est de 280 euros contre 1.500 euros en métropole. Bien que Mayotte soit département depuis 2011, il a été prévu des adaptations des dispositions de protection sociale pour éviter de déstabiliser l’économie et la société mahoraise. L’objet, la nature et la portée de ces mesures d’adaptation ainsi que la situation particulière qui les justifiaient sont définis par le législateur, mais que cette action reste sous le contrôle du juge, s’il est saisi. Tel est le cas aujourd’hui.
Plus de dix ans après la départementalisation, le retard dans la convergence pour les entreprises de Mayotte se fait à leurs dépens. Dans le régime général, les cotisations patronales ont diminué en France métropolitaine alors qu’elles ont été maintenues à des taux élevés à Mayotte (9,90% pour l’assurance vieillesse à Mayotte en 2023 contre 8,55% en France métropolitaine) et que le Smic est toujours à un montant inférieur à Mayotte.
Il me semble important ici de rappeler aussi la LOI du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer qui dispose dans son Article 1 que « La République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français. …Cet objectif d’égalité réelle constitue une priorité de la Nation… A cette fin, et dans le respect des compétences dévolues à chacun et du principe de solidarité nationale, l’Etat et les collectivités mentionnées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 72-3 de la constitution engagent des politiques publiques appropriées visant à : Réduire les écarts de niveaux de vie et de revenus constatés au sein de chacun d’entre eux … Dans le Département de Mayotte, le processus de l’égalité réelle inclut la réalisation de l’égalité sociale sur la base des orientations du document stratégique « Mayotte 2025 ».
Ce document Mayotte 2025 engage l’Etat et la collectivité départementale à « Mieux prendre en charge la vieillesse … en poursuivant la convergence du régime d’assurance vieillesse de Mayotte vers le régime général… » Nous sommes en 2023, à seulement deux ans de cet horizon fixé et force est de constater que la convergence, l’alignement pour Mayotte n’y est pas. Je rappelle également qu’à l’inverse des dispositions sociales, l’imposition à Mayotte est, elle, bien identique à n’importe quel autre département français depuis la départementalisation. L’alignement pour les impôts n’a pris que trois ans.
Mayotte pose ici la question de l’égalité dans son sens le plus simple, tant pour les contributions à la solidarité nationale qu’à l’accès aux droits que garantit notre constitution. Cette réforme des retraites ne fait que creuser l’inégalité qui existe entre le département de Mayotte et le reste de la France : les dérogations et exceptions appliquées à Mayotte ne répondent pas à l’objectif de protéger les citoyens français et de leur garantir l’égalité. Ces exceptions et dérogations aboutissent à l’exact inverse avec un traitement inégalitaire et discriminatoire auquel vous pouvez mettre fin.

Vous avez aujourd’hui la possibilité de rappeler à la Nation ainsi qu’à tous les Français la puissance de notre contrat social, national, qui confère à l’égalité un sens si particulier qu’elle est inscrite à l’article 2 de notre constitution. »

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