« On a un ordre public qui est reconnu comme étant plutôt calme »
François-Xavier Bieuville, préfet de Mayotte, note que la rentrée a été assez calme sur l’île.

En cette rentrée 2024, la préfecture de Mayotte est aux affaires sans avoir de certitudes sur qui donnera bientôt les ordres. Ce qui n’a pas empêché François-Xavier Bieuville de faire le point sur les dossiers d’actualité des services de l’État, ce mercredi, à la Case Rocher.

Flash Infos : En absence de gouvernement, est-ce que la préfecture de Mayotte fonctionne normalement ?

François-Xavier Bieuville : Lors du dernier comité de direction avec les autres services de l’État, j’ai dit que : « L’État, c’est nous ». Les gouvernements passent, mais les administrations restent. On a des services, qui au-delà des arbitrages dont nous avons besoin, font que tout ça fonctionne. Évidemment, on attend avec une impatience non dissimulée d’avoir une fumée blanche, parce qu’on en a besoin. Mais, regardez la rentrée scolaire, on a eu qu’un bus caillassé pour l’instant. On a un ordre public qui est reconnu par tous comme étant plutôt calme. On a eu un peu de brouhaha sur Dembéni et Iloni en début d’été, mais on a mis les moyens pour que ça s’éteigne vite. « Place nette » a produit des résultats remarquables avec cent interpellations de chefs de bande, même si je n’aime pas l’expression (N.D.L.R. il préfère parler de cibles prioritaires). On a le résultat d’une action des forces de l’ordre que je dois saluer. J’en profite pour saluer aussi mon directeur de cabinet, Aurélien Diouf, qui est à la manœuvre.

F.I. : Vous parlez d’arbitrage. Il y a également des coupes budgétaires qui ont été décidées. De quelle manière cela va se traduire pour vos services ?

F.-X.B. : Le budget alloué aux Outremer est globalement épargné. Évidemment, on n’échappera pas aux baisses et il faudra faire preuve d’un peu plus de rigueur.

F.I. : L’actualité à Mayotte reste les coupures d’eau qui perdurent un jour sur trois.

F.-X.B. : On travaille à la sécurisation des réseaux. On est aujourd’hui à moins de 30% de fuites contre 38% précédemment. 30% de fuites, c’est 12.000 m3 par jour qui sont perdus. Si on arrive à réduire ces fuites de moitié, on arrive à récupérer 6.000 m3, sachant qu’on en produit 40.000 alors qu’on en consomme 44.000. Le deuxième sujet, ce sont les forages. La sixième campagne est à la moitié et nous a déjà permis de récupérer 3.000 m3. Pour la septième prévue en 2025, on attend le même résultat. Au final, cela fait entre 8.000 et 12.000 m3 de production en plus. Si on rajoute l’usine d’Ironi Bé qui va produire 5.000 m3 au départ, puis 10.000 m3 ensuite, celle-ci est essentielle. Je ne comprends pas qu’il puisse y avoir des doutes sur son utilité.

F.I. : C’est un sujet qui reste contesté pour son impact environnemental.

F.-X.B. : On travaille à éviter, réduire et compenser. Dans le projet public, le sujet est l’équilibre et la balance des intérêts publics en présence. La question de l’eau reste vitale à Mayotte. Je rappelle que l’année dernière, on est passé à une semaine du point zéro (N.D.L.R. soit plus une goutte d’eau à cause de la sécheresse). On ne peut pas tergiverser. Il y a trois sujets, la mangrove, le crabier blanc et le rejet de sel. On aura un peu d’impact sur la mangrove, c’est inévitable, pareil pour le crabier blanc. L’eau sursalée, c’est un vrai sujet qu’il faut regarder scientifiquement. J’ai demandé à avoir des études. Les premiers éléments donnés montrent que dans les 800 mètres où la buse rejettera de l’eau, la salinité sera augmentée de 1%. L’impact est donc faible sur l’environnement.

Sur ce point-là, j’ai une tranquillité d’esprit absolue. J’ai une inspectrice générale de l’environnement et du développement durable qui est intransigeante. Si elle me donne un avis négatif, je suivrais son avis. Pareil si elle nous donne le feu vert.

F.I. : Sur la situation de Cavani, après la fin des évacuations, quel est le devenir de ceux qui ont été relogés ?

F.-X.B. : Il est très simple. Les Africains qui arrivent à Mayotte n’ont aucune envie de s’installer ici. Leur objectif est d’obtenir un statut de réfugiés, d’obtenir les moyens d’aller en métropole, puis d’y aller. Aujourd’hui, on a 200 personnes qui travaillent à Mayotte, ont les moyens de voyager et qui attendent de la part de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) le document qui leur permettra de le faire. Ceux qui sont en phase d’instruction de leur demande l’auront pour 57% d’entre eux pour vous donner une indication. Ceux qui ne l’ont pas sont reconduits. On met en place des procédures de reconduite. On le fait par exemple avec le Congo. On va essayer de faire pareil avec les autres pays. Des accords sont discutés avec les pays de l’Afrique des Grands lacs, Rwanda et Burundi. La direction générale des étrangers en France a même engagé des discussions avec la Somalie. Ça prendra du temps, c’est long. En attendant, s’il n’y a plus personne à Cavani, c’est parce qu’on a relogé tout le monde.

F.I. : Justement, il y a eu des réquisitions d’hébergement pour faire de la surcapacité. Est-ce que ça risque de durer ?

F.-X.B. : Ça dépendra de la situation des personnes, en fonction de leur statut de réfugiés, de leur envie de partir en métropole. On n’est pas dans un stock, mais dans un flux permanent. On va essayer d’augmenter les reconduites. Je ne peux pas donner de détails, mais je suis en train de mettre la main sur le robinet en amont. On travaille à ce que le flux se tarisse à l’arrivée. J’ai deux amonts, la Tanzanie et Madagascar. Ça ne relève pas de la communication publique, mais on a des résultats qui sont positifs.

F.I. : Où en sont « le rideau de fer » maritime et la réparation des radars ?

F.-X.B. : Les radars ont été réparés, celui du nord et celui du sud. On a en projet l’installation de systèmes permanents statiques avec des radars complémentaires beaucoup plus performants. On va récupérer des barges du conseil départemental de Mayotte, on va les arrimer. Il y aura au-dessus des systèmes de radars sous formes de ballons statiques. Je précise qu’elles seront gardées en permanence. On va pouvoir avoir des systèmes de balayage qui seront beaucoup plus performants et plus anticipatifs. Il y aura une barge au nord et au sud. Deuxièmement, il y aura le ponton de Mtsamboro. Ça veut dire qu’on aura une permanence des intercepteurs sur Mtsamboro. Au lieu de mettre 45 minutes depuis Petite-Terre pour intercepter, on mettra entre cinq et dix minutes. Ensuite, on a tout le dispositif sur de la technologie nouvelle, avec des moyens de détection et d’identification beaucoup plus performants. Une fois qu’on aura choisi les moyens en question proposés par les industriels, on pourra commencer à lancer les marchés. Sur un bateau de la Marine nationale qui croise dans le Canal du Mozambique, ce n’est pas de mon ressort, ça dépend du préfet de La Réunion et du secrétariat général à la mer. Je ne fais aucun commentaire sur l’efficacité de cette présence.

F.I. : On a appris récemment qu’il n’y avait toujours pas de terrain trouvé pour la deuxième prison, la mission étant pourtant dévolue au préfet de Mayotte depuis mars 2022.

F.-X.B. : Vous savez que le problème du foncier est récurrent à Mayotte. On finira par trouver. Il y a des pistes de réflexion. On n’est pas dans la panade.

F.I. : Le gouvernement a fait une croix sur une piste longue en Petite-Terre. A quand celle de Bouyouni ?

F.-X.B. : La décision de Patrice Vergriete (N.D.L.R. ministre délégué aux Transports) est double. Les études sur le maintien en Petite-Terre constituent un risque sismique et de submersion marine sur la piste elle-même. Ensuite, on verra la décision politique pour une alternative. Je sais que les élus de Petite-Terre sont vent debout. Mais à un moment, il faudra se poser la question de qui paye.

F.I. : Donc si vous parlez de décision politique, ce n’est pas acté pour Bouyouni ?

F.-X.B. : Il y a des études sommaires qui ont été effectuées. Le choix de Bouyouni a été fait parce que c’est le seul endroit où on peut avoir une piste et un aéroport nouveau. Les études sur Petite-Terre montrent qu’il reste dix ans avant d’avoir des risques réels, parce que l’île s’enfonce. Les deux secousses de mardi soir le montrent. Dans dix ou douze ans, il faut donc qu’on ait une solution de remplacement. Il revient à l’autorité politique de dire quand, où et combien.

F.I. : Ce mercredi, la Chambre régionale des comptes a publié son rapport sur Chirongui, rappelant l’instabilité politique. La préfecture a joué un temps le rôle d’arbitre, mais on n’a pas vu d’évolution.

F.-X.B. : Effectivement, Sabry Hani (N.D.L.R. secrétaire général de la préfecture) est intervenu à ma demande. J’ai vu à plusieurs reprises le maire de Chirongui (Bihaki Daouda) qui m’expliquait qu’il réussissait à faire passer un certain nombre des délibérations. La question est la suivante, si les services municipaux principaux et essentiels fonctionnent et qu’on arrive à faire fonctionner la commune de cette façon-là, je n’ai rien à dire. Si, en revanche, la commune n’y arrive pas, le préfet s’y intéressera de nouveau. Mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas.

F.I. : Le président de la République semble avoir des difficultés à trouver un Premier ministre. Vous n’avez pas postulé par hasard ?

F.-X.B. : (Il sourit) Non, je suis très bien à Mayotte. Je n’ai pas envie de partir tout de suite.

« Quand quelque chose ne va pas, il faut prendre acte »

« On a un ordre public qui est reconnu comme étant plutôt calme »
Le nouveau directeur territorial de la police nationale à Mayotte, Patrick Longuet, ici au premier plan.

En plein milieu de l’opération Mayotte place nette, Hervé Derache a été évincé du poste de directeur territorial de la police nationale. Arrivé à la fin 2023, l’ancien directeur interdépartemental de la police aux frontières de Calais s’est retrouvé sur la sellette avec l’arrivée du nouveau préfet, qui le connaissait bien puisque François-Xavier Bieuville a été sous-préfet à Dunkerque (Nord). « Quand quelque chose ne va pas, il faut prendre acte et prendre des décisions qui permettent de progresser », estime ce dernier, avant de louer l’arrivée de Patrick Longuet à la tête de la police mahoraise. « Il fait un très bon boulot. Il vient de Marseille et est donc très expérimenté. Il a démontré ces derniers jours sa capacité opérationnelle et son engagement personnel », ne tarit pas d’éloges le préfet. Selon lui, avec le général Lucien Barth côté gendarmes, il dispose de chefs de sécurité de « très bon niveau ».