« Offrons à Mayotte un avenir à la hauteur de la République française »

Chef de l’exécutif au Département de Mayotte, Ben Issa Ousseni s’associe à Madi Madi Souf, président de l’association des maires de Mayotte, dans une tribune pour rappeler leurs attentes alors que l’opération Wuambushu est en cours. Ils demandent un discours plus ferme de l’État contre l’Union des Comores, l’égalité sociale avec l’Hexagone et la fin des titres de séjours « territorialisés » qui bloquent les personnes en situation irrégulière sur le sol mahorais.  

« Nous, élus de Mayotte, alertons depuis des années sur la situation de pourrissement que vit notre département. La pression démographique liée à l’immigration s’accroît, les services publics se dégradent, et l’insécurité explose. En septembre 2022, nous lancions déjà un appel au secours, avec une opération « île morte », pour dénoncer une insécurité hors de contrôle. L’opération « Wuambushu », déclenchée par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, nous a donné l’espoir d’avoir été entendus. Rétablir la sécurité, éradiquer les bidonvilles, lutter contre l’immigration clandestine sont trois objectifs que nous soutenons. Il s’agit de reprendre le contrôle de notre destin et de recouvrer la paix à Mayotte. Malheureusement, malgré les renforts importants des forces de l’ordre et l’arrestation de dangereux criminels, l’évolution des événements nous fait craindre le pire.

En réaction à l’opération « Wuambushu », l’Union des Comores renâcle au retour de ses ressortissants en situation irrégulière. Un bras de fer diplomatique s’est engagé, dont l’issue est incertaine. Sur le volet de la lutte contre les bidonvilles, des recours en justice ont freiné les démolitions, et des difficultés demeurent du fait des capacités réduites de relogement et d’hébergement du territoire. Sur le volet de l’insécurité, les violences physiques sont toujours massives et les tensions sont vives. Les Mahorais subissent encore des violences extrêmes, comme des attaques de bandes de délinquants cagoulés et armés de machettes. Certains élus, parmi eux des maires, sont aussi pris pour cible.

Face à ces difficultés, nous sommes attentifs aux réactions du gouvernement. Dans une récente déclaration, Jean-François Carenco, ministre délégué aux outre-mer, a annoncé que l’opération « Wuambushu » pourrait prendre fin d’ici à deux ou trois mois avec un retour en métropole des policiers et des gendarmes dépêchés. Ce serait un aveu d’impuissance et un abandon impardonnable de Mayotte. Nous ne pouvons accepter cette issue honteuse, ce gâchis. Nous savons que nos problèmes ne pouvaient être résolus en trois mois. Mais le niveau de tension actuel nous alerte. Tout peut dégénérer rapidement si l’action de l’Etat à Mayotte vire au retrait tactique. Une action politique doit être redéfinie en lien avec les élus locaux que nous sommes. Et, pour être efficace, le courage d’agir devra résolument s’inscrire dans la durée.

« Que cesse le chantage de l’Union des Comores »

A nos yeux, le Quai d’Orsay [siège du ministère des Affaires étrangères] devra revoir sa position sur Mayotte et enfin oser affirmer officiellement la supériorité du principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes dans le droit international. C’est par ce principe que le choix de la France s’est exprimé à Mayotte. Mayotte française, ce n’est pas une domination néocoloniale qui perdure, c’est au contraire l’expression démocratique des Mahoraises et des Mahorais qui ont fait le choix de la liberté au sein de la nation française.

En réponse à nos compatriotes les plus sceptiques devant ce choix, nous rappellerons ces mots de l’historien Fustel de Coulanges [1830-1889] : « Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. » Le cœur des Mahorais est libre, et il est Français. A notre diplomatie d’en faire un argument pour que cesse le chantage de l’Union des Comores. Solder ce contentieux est indispensable pour espérer un jour une coopération assainie. Nous n’avons que trop tardé.

Aujourd’hui, la situation explosive de Mayotte n’est pas une fatalité liée à notre proximité géographique avec des voisins pauvres. L’impasse dans laquelle nous sommes s’explique par des décennies d’indécision et d’absence de volonté claire, qui ont laissé grossir les difficultés. Pour nous en sortir, il faut faire un choix au plus haut niveau de l’État : celui d’une solidarité et d’une égalité républicaines sans faille à l’égard de Mayotte. Il nous faut pérenniser les renforts de forces de l’ordre pour venir à bout de l’insécurité et rétablir enfin la paix civile. Il nous faut affirmer l’autorité judiciaire avec la création d’une cour d’appel à Mamoudzou, un centre éducatif fermé et un nouveau centre pénitentiaire. L’impunité doit cesser. Il nous faut une véritable égalité sociale. Nous ne sommes qu’à moitié Français en matière de prestations sociales. Cette discrimination est d’autant plus manifeste qu’à Mayotte tout coûte plus cher qu’en métropole.

Ils demandent la fin des titres de séjours « territorialisés »

Enfin, il nous faut plus de solidarité de la nation face à la pression migratoire hors norme que nous subissons. Alors que nos services publics sont saturés, alors que l’eau potable nous manque de façon dramatique, alors que nous battons des records de chômage, l’État bloque, dans notre département, des étrangers régularisés, en délivrant des titres de séjours dits « territorialisés ». En privant ces étrangers en situation régulière de la possibilité de circuler en France hors de Mayotte, l’État nous sacrifie, et c’est l’aveu d’un égoïsme coupable. Comment juger, de la métropole, les réactions d’exaspération qui peuvent se manifester ici sans regarder ces années d’abandon et de discrimination qui ont transformé notre paradis en terre de violence et de peur ?

Nous aimons Mayotte et nous aimons la France. Nous sommes riches d’un patrimoine multiculturel unique, riches des talents de notre jeunesse, riches aussi d’un patrimoine naturel et d’une ouverture dans cet espace économique stratégique qu’est le canal du Mozambique. Arrêtons le gâchis, faisons le choix du courage pour relever Mayotte et renforcer la France. Offrons, enfin, à Mayotte un avenir à la hauteur de la République française. »

Madi Madi Souf, président de l’association des maires de Mayotte, et Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte

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