Nouveau gouvernement : Gérald Darmanin et Jean-François Carenco à l’Outre-mer

Le deuxième gouvernement d’Élisabeth Borne est désormais connu. Gérald Darmanin devient ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et l’ancien préfet Jean-François Carenco son ministre délégué.

C’est par un communiqué de presse de l’Élysée diffusé lundi en fin de matinée, peu avant 11h, que la composition attendue du nouveau gouvernement a été rendue publique. Le deuxième gouvernement d’Élisabeth Borne nommé par le président de la République comporte 42 membres, avec quelques changements par rapport à l’équipe précédente et de nouveaux ministres.

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Jean-François Carenco, nouveau ministre délégué aux Outre-mer.

Au nombre de ces changements, l’un des premiers intéresse directement Mayotte. Le numéro trois du gouvernement, Gérald Darmanin, voit en effet ses attributions élargies, devenant ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. C’est un nouveau venu issu de la haute fonction publique, Jean-François Carenco, qui prend les fonctions de ministre délégué chargé des Outre-mer.

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), promotion Michel de L’Hospital (1979), Jean-François Carenco a débuté sa carrière comme magistrat, conseiller de tribunal administratif. Après un passage en collectivité territoriale au district de Montpellier de 1983 à 1988, il a rejoint la préfectorale, d’abord en Outre-mer en qualité de secrétaire général adjoint pour les affaires économiques puis secrétaire général du haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, de 1988 à 1991, à une époque importante pour ce territoire au lendemain des accords de Matignon, ensuite comme secrétaire général de la préfecture des Yvelines de 1991 à 1996, puis préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon (1996-1997), du Tarn-et-Garonne (1997-1999), de Guadeloupe (1999-2002) et de Haute-Savoie (2002-2004). Il devient alors en 2004 directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, puis ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement dans le gouvernement de Villepin. À nouveau préfet, cette fois de Région en Seine-Maritime et Haute-Normandie en 2006, il retrouve Jean-Louis Borloo dès 2007, devenant conseiller spécial du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi. Suit un nouvel aller-retour entre préfectorale et cabinet ministériel : préfet de Haute-Garonne et de la région Midi-Pyrénées de 2007 à 2008, Jean-François Carenco redevient directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo devenu ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer jusqu’au départ de Jean-Louis Borloo du gouvernent Fillon en 2010. Jean-François Carenco est alors nommé préfet du Rhône et de la région Rhône-Alpes, fonctions qu’il occupera jusqu’en 2015 avant d’accéder au sommet du corps préfectoral, promu en 2015 préfet de la région Île-de-France. Il était, depuis 2017, président de la Commission de régulation de l’énergie.

C’est donc un haut fonctionnaire expérimenté, connaissant bien tous les rouages de l’État, qui va prendre en charge, au sein de ce nouveau gouvernement, le difficile portefeuille de l’Outre-mer. Succédant à l’éphémère Yaël Braun-Pivet, désormais détentrice du plus bref passage rue Oudinot (un mois et quatre jours) et devenue, mardi dernier, présidente de l’Assemblée nationale, et de manière directe à la première ministre Élisabeth Borne qui assurait l’intérim et avait récupéré le portefeuille des Outre-mer à la suite de la démission de la première le 25 mai dernier. Ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec lui louent “sa rigueur, sa diplomatie, sa fermeté républicaine et son sens de l’État”, selon les mots d’un ancien député et ancien ministre lyonnais. Le responsable du Parti socialiste de Guadeloupe, Olivier Nicolas, reconnaît en lui un “très bon connaisseur de nos territoires”, même s’il déplore la relégation avec la nomination d’un ministre délégué. C’est aussi l’avis du député LR de Mayotte Mansour Kamardine, pour lequel le “niveau d’expérience du nouveau ministre est un bon signal” pour les territoires ultramarins. “Il connaît par cœur le fonctionnement de l’État, les leviers pour débloquer les dossiers et les rouages pour les faire avancer”, estime l’ancien maire de Sada.

Relégation et “mépris

Depuis l’annonce du nouveau gouvernement, les critiques pleuvent de la part des oppositions qui dénoncent le fait que les Outre-mer ne seraient plus qu’un ministère délégué, une “relégation” qui témoignerait d’un “mépris du gouvernement à l’égard des territoires ultramarins”, selon la députée de la Réunion Karine Lebon, élue Nupes et siégeant au groupe communiste au Palais Bourbon. Même son de cloche chez la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen, pour laquelle la composition du gouvernement reviendrait à “punir nos compatriotes ultramarins d’avoir mal voté” – pour elle faut-il comprendre. Même son de cloche chez l’ancien ministre des Outre-mer et sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel, pour lequel la nomination de Jean-François Carenco, qu’il juge cependant “tout à fait capé pour être ministre”, serait une “régression” et s’apparenterait à une “punition électorale”. “Nos territoires ultramarins méritent (…) mieux que d’être considérés comme une France de seconde zone, des territoires secondaires sous tutelle”, a renchéri la députée, ex-LR et désormais membre du groupe LIOT, de la Réunion Nathalie Bassire.

Plus fortes encore sont les critiques quelque peu débridées des députés indépendantistes de Polynésie. Ainsi Moetai Brotherson, élu Nupes qui siège au groupe communiste Gauche démocrate et républicaine, regrette-t-il d’avoir un “inconnu” comme ministre. “Même s’il a été préfet à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Guadeloupe”, le nouveau ministre délégué “ne connaît ni la Polynésie ni la Nouvelle-Calédonie”, a-t-il déclaré sur France Info. De manière assez étrange d’ailleurs puisqu’à suivre celui-ci, il faudrait que toute personne nommée à l’Outre-mer ait fait le tour des territoires ultramarins dans ses fonctions antérieures, à moins qu’il ne s’agisse dans l’esprit du député des îles Sous-le-vent que de la seule connaissance préalable des dossiers polynésiens. Preuve surtout que ce parlementaire d’extrême gauche connaît assez peu ses dossiers et est nettement plus porté vers l’opposition systématique, puisque le nouveau ministre Jean-François Carenco a passé trois années au haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie. Le même Moetai Brotherson s’est alarmé du mauvais présage que constituerait cette nomination : “il faut croire que les Outre-mer sont un trouble public à l’ordre républicain.” Une critique partagée par son jeune collègue indépendantiste Tematai Le Gayic, autre élu Nupes et qui a déjà fait parler de lui en exigeant la semaine dernière que “la République française quitte la Polynésie” (sic). Ce dernier n’hésite pas à fustiger le rattachement des Outre-mer à l’Intérieur, estimant que l’on va désormais gérer les crises Outre-mer en envoyant le GIGN. Ou quand la critique vire au simplisme, apanage fréquent des idéologues sectaires.

Les parlementaires de Mayotte sont eux plus pragmatiques. “Nous revenons à la pratique du ministère délégué, courante durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy”, rappelle le sénateur (Renaissance) Thani Mohamed Soilihi. “Quelle que soit la formule, ministère de plein exercice, ministère délégué ou secrétariat d’État, ce qui importe finalement aux Ultramarins est de se sentir représentés, entendus et soutenus”, estime-t-il. Même s’il avoue s’interroger sur “la pertinence de maintenir un ministère chargé de l’ensemble de territoires dont les particularités sont censées en faire un point commun, tout en n’y incluant pas la Corse et n’attribuant à ces territoires que 9% des crédits nécessaires à leurs politiques publiques”. “Que le ministère des Outre-mer soit sous la tutelle du ministre de l’Intérieur n’est pas un problème, ajoute pour sa part Mansour Kamardine, même s’il aurait préféré, avoue-t-il, un “rattachement à la première ministre ou même directement au président de la République” – une hypothèse inconstitutionnelle, tempère un professeur de droit. “Ce qui importe le plus, selon lui, est la marge de manœuvre dont disposera les ministres au sein du gouvernement”.

Gérald Darmanin a lui-même tenu à répondre à ces flèches lancées par les oppositions parlementaires, lors de la prise de fonctions des deux ministres, lundi après-midi, au ministère des Outre-mer. “Pour le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer ainsi voulu par le président de la République et la première ministre, il y a désormais deux ministres pour s’occuper de nos compatriotes ultramarins”, justifie Gérald Darmanin. “S’il y a bien un intérêt que le ministère des Outre-mer soit rattaché au ministère de l’Intérieur avec son autonomie, son indépendance propre, Jean-François Carenco va trouver auprès du ministère de l’Intérieur un poids politique, un poids budgétaire pour défendre le ministère et chacun des territoires ultramarins. Il y a également des questions institutionnelles, on pense à la Nouvelle-Calédonie dont il appartient d’écrire une nouvelle page de son histoire, mais aussi des questions de sécurité et d’immigration qui se posent dans certains territoires ultramarins”, ajoute-t-il avec une allusion à peine voilée à la Guyane et au département de Mayotte.

Il n’est pas sûr que de leur côté les Mahorais voient d’un mauvais œil le rattachement des Outre-mer à l’Intérieur, alors que l’immigration clandestine et la délinquance sont des problèmes que tous considèrent comme prioritaires à Mayotte. Le rapport rendu public par la Cour des comptes jeudi dernier (notre édition de vendredi) le rappelait d’ailleurs avec force. Quant à la relégation des Outre-mer, il est permis de voir autrement les choses, comme le note un maire mahorais rencontré ce lundi. C’est désormais le numéro 3 du gouvernement qui a la charge des Outre-mer, en plus de l’Intérieur mais aussi des collectivités territoriales et de l’immigration, avec à ses côtés un ministre délégué spécifiquement délégué aux Outre-mer. Un aspect que souligne le sénateur Thani Mohamed Soilihi. “Le ministère de l’Intérieur étant celui qui représente les collectivités territoriales, que les Outre-mer soient en son sein ne peut pas être négatif. Étant également chargé de la sécurité et de l’immigration, le département de Mayotte compte énormément sur l’action directe et déterminée du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer pour l’aider à lutter efficacement contre les fléaux de l’insécurité et de l’immigration clandestine.” Une opinion que partage le maire LR de Mamoudzou Ambdilwahedou Soumaïla qui, rappelant que la commune dont il est l’édile a pu bénéficier d’une aide substantielle d’un million d’euros de la part de Gérald Darmanin en vue de financer l’installation en cours de systèmes de vidéosurveillance supplémentaires, se félicite d’avoir “un interlocuteur face à l’enjeu que représente la sécurité sur notre territoire, et face à l’enjeu que constitue le développement économique et social de Mayotte”.

On imagine que Gérald Darmanin aura à cœur de répondre aux attentes de la population mahoraise et de ses élus qu’il avait rencontrés lors de sa visite à la fin du mois d’août dernier. L’arrivée récente de renforts de police est notoirement insuffisante, ainsi que l’ensemble des candidats aux élections législatives de juin dernier l’a relevé. Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer s’était aussi engagé, lors de son déplacement ministériel, à augmenter les moyens de la lutte contre l’immigration clandestine, avec des renforts maritimes et une surveillance aérienne dès cette année. La concrétisation de ces promesses sera attendue par les Mahorais et nul doute que les députés de Mayotte, Estelle Youssouffa et Mansour Kamardine, sauront les lui rappeler à l’Assemblée nationale, tout comme les sénateurs Thani Mohamed Soilihi et Hassani Abdallah (MDM) au Palais du Luxembourg.

“À Mayotte tous les dossiers sont prioritaires”

Lors de la passation de pouvoir intervenue lundi en début d’après-midi place Beauvau, peu avant la tenue du premier conseil des ministres, le nouveau ministre délégué a estimé que “l’Outre-mer (devait) être un endroit où s’invente la France de demain”. Et de vouloir faire des Outre-mer “le fer de lance de la République”. Vaste programme. Les deux nouveaux ministres, tout comme l’ensemble du gouvernement, ont donc du pain sur la planche.

 

De manière immédiate et s’agissant de notre territoire, Jean-François Carenco a dû trouver sur son nouveau bureau de la rue Oudinot le rapport de la Cour des comptes sur le développement de Mayotte, les magistrats financiers estimant avec sévérité que l’État et le département ont failli à leurs missions sur des thèmes majeurs qui minent la vie quotidienne de la population de notre île. Il aura aussi à se pencher très rapidement, à l’occasion du projet de loi sur le pouvoir d’achat, sur le sujet de la vie chère, préoccupation de toutes les populations ultramarines qui sont confrontées à des prix exorbitants au regard de leurs revenus, ou encore sur la nouvelle vague de Covid qui a déjà gagné les Antilles. Surtout c’est pour les Mahorais la marche vers l’égalité réelle qui est un sujet prioritaire. Même si en réalité, comme le résume un élu départemental, “la situation de Mayotte est telle que tous les dossiers sont ici prioritaires”.

À Mayotte on surveillera l’attention que portera le nouveau ministre délégué au territoire. Alors qu’Ericka Bareigts, nommée ministre des Outre-mer fin août 2016, avait réservé son premier déplacement au 101ème département, et qu’Annick Girardin l’avait imitée en 2017, Sébastien Lecornu, nommé ministre des Outre-mer début juillet 2020 au sein du gouvernement Castex, avait pour sa part attendu près de quatorze mois avant de mettre les pieds sur le sol mahorais. L’annonce faite par Gérald Darmanin et Jean-François Carenco, dès leur prise de fonctions lundi au ministère des Outre-mer, d’une tournée de tous les territoires ultramarins d’ici la fin de l’été, le premier déplacement étant prévu ce jeudi à l’île de La Réunion, a été de nature à rassurer l’ensemble des élus mahorais. Si le nouveau ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a précisé, mardi dans la matinale de BFMTV, qu’il se rendrait avec son ministre délégué en Nouvelle-Calédonie le 26 juillet prochain, les dates des autres visites ministérielles ne sont pas encore fixées.

L’autre dossier majeur, toujours sensible, est celui du projet de “loi Mayotte”. Sa gestion par l’ancien ministre Sébastien Lecornu fut fortement critiquée à Mayotte, jugée “calamiteuse” par un vice-président de l’assemblée territoriale, le conseil départemental ayant, on le sait, rejeté le projet à l’unanimité. Là encore les élus du 101ème département attendent plus de concertation et une meilleure prise en compte des revendications des Mahorais. Ainsi Ambdilwahedou Soumaïla souhaite-t-il l’instauration d’une “relation partenariale avec les élus du territoire”.  Pour le député Mansour Kamardine, “on a trop laissé Paris dire quelles étaient les solutions à envisager. Le temps est venu pour Paris d’écouter les Outre-mer”. Un souhait partagé par de nombreux élus dont bien peu ont souhaité s’exprimer, préférant pour l’instant voir les orientations qui seront prises par le nouveau gouvernement en faveur de Mayotte.

Répondant par anticipation à ces exigences, le nouveau ministre délégué aux Outre-mer Jean-François Carenco a indiqué lundi, lors de sa prise de fonctions rue Oudinot avec Gérald Darmanin, la liste très longue des sujets qui seront au cœur de l’action des deux ministres : pouvoir d’achat, égalité absolue des droits, environnement, services publics, immigration, enjeux institutionnels et sanitaires, sécurité. En précisant, “toutes ces questions doivent être traitées dans des échanges nourris avec les élus, les syndicats, les associations, l’ensemble des corps intermédiaires”. “Notre engagement avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer est d’être aux côtés de nos compatriotes (ultramarins) pour les aider à faire émerger les réponses à ces défis”, a assuré le nouveau venu au gouvernement, insistant sur la nécessité de conduire “une politique de consensus, de dialogue et d’action”.

Dire qu’à Mayotte les attentes sont immenses, ne surprendra personne. Comme le résume Kira Bacar Adacolo, responsable du nouvel observatoire mahorais des politiques publiques, “la population mahoraise ne veut pas seulement du gouvernement des déclarations d’amour, elle attend, dans les politiques mises en œuvre, des preuves d’amour”. Au nouveau gouvernement d’en donner sans attendre.

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