Au sixième jour de manifestation contre l’insécurité, nombre de commerçants ont rejoint le mouvement, en baissant le rideau. La journée a été marquée par des blocages routiers, un fonctionnement au ralenti des barges et un défilé de grande ampleur. Des élus, dont le député Mansour Kamardine, ont participé à la marche. La grève est reconduite ce mercredi.
Et de six jours. La grève illimitée contre l’insécurité, qui a débuté il y a tout juste une semaine à Mayotte, s’est poursuivie ce mardi, à Mamoudzou et ses environs. La mobilisation a démarré dès le début de la matinée. Partie de Petite-Terre, la barge de 7h30 n’a pas pu accoster au quai de la Colas, où une première action était menée par des manifestants. L’embarcation a été redirigée vers l’amphidrome. Ce sera le cas de toutes les barges, au moins une grande partie de la journée. Elles ont fonctionné au ralenti. En cause, des encombrants qui ont été déposés sur les plateformes d’abordage, rendant impossible la rotation des bateaux à ce niveau. Les forces de l’ordre ont déployé un important dispositif vers l’amphidrome, l’autre lieu d’embarcation, afin d’empêcher l’arrêt complet du service public. Les forces de l’ordre filtraient les passagers autorisés à embarquer, en milieu de matinée, pour éviter que des manifestants ne se retrouvent à bord des barges.
Comme vendredi et lundi, le mouvement social s’est accompagné du blocage du centre névralgique de Mamoudzou. Le rond-point de la Barge a été tenu par les manifestants plus d’une heure, dans la matinée. Un blocage qui s’est traduit par le dépôt de cailloux et d’objets le long d’un axe secondaire, pour empêcher tout véhicule de le franchir. Une table d’occasion trônait au milieu de la route, rapidement transformée en instrument de percussion.
Cette ambiance bon enfant a caractérisé cette sixième journée de mobilisation, loin des incidents rencontrés ces derniers jours. Vendredi, trois individus ont été placés en garde à vue et déférés, après que les forces de l’ordre ont essuyé coups et caillassages.
Opération « île morte »
On retiendra de ce mardi l’entrée dans le mouvement des commerçants. Dès le début de la matinée, la plupart des boutiques étaient fermées, rue du Commerce et dans les environs. Un soutien inconditionnel au mouvement ? Il est permis d’en douter, selon un chef d’entreprise, qui témoigne anonymement. « Les manifestants sont passés hier [lundi] pour me donner des tracts sur l’opération île morte. Ils m’ont dit que j’avais intérêt à fermer mon établissement, sinon ils le fermeraient eux-mêmes. » L’homme a refusé de céder à cette pression qu’il évoque.
A Kawéni, plusieurs établissements avaient également décidé d’ouvrir leurs portes. Mais face à l’incitation à la fermeture exercée par de nombreux manifestants, qui ont défilé jusqu’au tribunal de grande instance, beaucoup ont fini par baisser leurs grilles, au moins le temps du défilé.
Un défilé qui est parti du centre de Mamoudzou aux environs de 11h. Dans les rangs, plus d’un millier de manifestants, selon la police. C’est près de trois fois plus que le nombre de participants au mouvement recensés la veille. Un peu plus tôt, les forces de l’ordre ont tenté sans succès d’arrêter le cortège, avant le rond-point SFR, pour obtenir des précisions sur le parcours prévu puis a cédé une fois les informations obtenues. La marche s’est déroulée sans heurts. Les forces de l’ordre étaient présentes tout au long du parcours.
« Entendre cette colère »
Parmi la foule, le député de la 2ème circonscription de Mayotte, Mansour Kamardine, et le maire de Sada, Anchya Bamana. Le parlementaire n’a pas hésité à mouiller la chemise, en invitant une poignée de manifestants au calme, alors qu’ils haussaient le ton sur les employés d’une boutique ouverte. « Je voulais dire à mes compatriotes mahorais que les forces de l’ordre ne sont pas nos adversaires, ce sont nos alliés objectifs », explique Mansour Kamardine. « Quand ils sont là pour assurer notre liberté et notre sécurité, ce sont nos alliés et il faut les considérer comme tels », appuie encore le député. « Ce que je veux dire à l’Etat, c’est qu’il faut entendre cette colère. (…) Aujourd’hui, Mayotte est devenue une grande maison d’arrêt. Les honnêtes gens sont parqués (…) et les délinquants sont en liberté, parfois avec des décisions de justice ou même des décisions administratives qui sont prises et qui sont manifestement incomprises parce que complètement décalées des réalités et des faits », assène encore l’élu qui demande un renforcement des moyens, la création d’un CDI (Compagnie départementale d’intervention), de deux commissariats de police à Koungou et Dzaoudzi, le repositionnement de la PAF au Nord et au Sud, bref « un reparamétrage du plan de sécurité du territoire », explique Mansour Kamardine, poursuivant sa marche.
Le mouvement s’est concentré hier sur Mamoudzou et ses environs. La gendarmerie a indiqué en milieu d’après-midi, mardi, n’avoir constaté ni blocage, ni incident en lien avec l’actuel mouvement social dans le reste de l’île. La grève est reconduite ce mercredi, a confirmé Maoulida Momed, le porte-parole du Collectif des citoyens de Mayotte. « La grève continue tant qu’on n’est pas entendus au ministère », a-t-il encore déclaré.
En parallèle, à 14h30, une réunion entre l’intersyndicale et des élus du Conseil départemental devait avoir lieu mais a été bousculée par une manifestation spontanée d’une trentaine de personnes ayant mis feu à une poubelle entre l’Agence régionale de santé et la Direction des Affaires culturelles, en haut du service des migrations et de l’intégration de la Préfecture. L’intersyndicale a toutefois échangé en interne pour mettre au clair une plateforme revendicative et adresser une lettre au préfet de Mayotte, a-t-elle indiqué.
Le préfet sort de son devoir de réserve
A l’approche de l’élection législative partielle, il est censé s’astreindre à un devoir de réserve. Le préfet de Mayotte, Frédéric Veau, s’est finalement exprimé mardi matin à la radio sur le mouvement social en cours, chez nos confrères de Mayotte la Première. « Il y a un malaise, un mal-vivre au sein de la société mahoraise. [Le] climat d’insécurité, c’est une situation qui est réelle », a déclaré le représentant de l’Etat. « La sécurité, ça n’est pas que des statistiques, mais la statistique, c’est le thermomètre. On a en 2017 une baisse de 9 % alors qu’il y a deux ans, on a eu une augmentation de 15 %. C’est quand même un changement important. Mais derrière les statistiques, il y a des situations humaines qui peuvent être dramatiques […] Nous devons absolument nous mobiliser pour lutter contre des violences qui sont importantes et répétitives. » Le préfet a salué « depuis 2016 et le Plan sécurité un effort extrêmement important sur la présence des forces de l’ordre […] Il est vrai qu’on ne peut pas être partout et en tout moment. Mais en tout cas, on a cette volonté d’être sur le terrain, de prévenir lorsqu’il y a des infractions. »
Et d’ajouter : « Manifester est un droit constitutionnel. Mais il y a des limites. C’est les entraves à la circulation publique et c’est la violence. Il y a quand même eu deux épisodes le 20 février et le 23 février où les tensions sont montées. Je rappelle que le 23 février le directeur départemental de la sécurité publique et son adjoint ont été personnellement visés par des actions de personnes incontrôlées […] Si on bascule dans la violence, c’est quelque chose qu’on ne peut pas tolérer. On manifeste contre la violence. On ne peut pas répondre par la violence. »
Alors que parmi les manifestants, beaucoup jugent la politique migratoire trop laxiste à Mayotte, le préfet a rappelé que « la lutte contre l’immigration clandestine, c’est 20 000 personnes qui sont reconduites tous les ans. Le chiffre national, c’est autour de 25 000. Donc on fait à Mayotte ici presque autant que le reste de la France […] Il y a un chiffre que je trouve très parlant, [c’est] l’écart de revenu par habitant entre Mayotte et les Comores. Il est de 1 à 12 ou 13. Tant qu’on reste dans ce rapport-là, il y aura toujours une incitation. D’où l’importance de travailler sur la coopération et sur l’aide au développement des Comores. Ce que demandent les Comoriens, c’est de la santé, de l’éducation, de l’activité. »
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