Estelle Youssouffa, à l’origine de la pétition pour « sauver le 101ème département » qui débouche jeudi sur une manifestation dans les rues de Mamoudzou évoque un « engagement citoyen. Mayotte est une île française et doit le rester ». Portrait.
En à peine 15 jours, elle est devenue une figure centrale des mouvements sociaux en cours. Le 25 avril, la consultante en affaires internationales Estelle Youssouffa fait une apparition remarquée dans l’émission « Kala oi dala » de Mayotte La 1ère. Elle y évoque « un projet qui est proposé par le Quai d’Orsay pour construire une communauté de l’archipel, avec une co-souveraineté comorienne et française à Mayotte, avec un émissaire comorien qui serait présent à Mayotte pour gouverner aux côtés d’un représentant français ».
Installée à Paris, Estelle Youssouffa, 39 ans, est « revenue il y a quinze jours à Mayotte pour alerter » la population, après avoir obtenu ces informations de sources fiables à Paris, précise-t-elle. « L’horizon, c’est 2020 – 2025. C’est demain. Il ne faut pas penser que c’est une hypothèse éloignée », affirme-t-elle.
L’émission « Kala oi dala » a « fait éclater le scandale. Le lendemain, tout le monde en a parlé et m’a sollicitée. » Dans la foulée, Estelle Youssouffa rencontre notamment l’intersyndicale et le collectif à l’origine de la grève générale. « J’ai souhaité, quand on m’a demandé ce qu’on pouvait faire, mettre en place la pétition et la manifestation ». Ainsi, le mardi 1er mai est diffusée la pétition « Il faut sauver le 101e département français ! » sur la plateforme change.org. Une semaine plus tard, la pétition enregistre 7 411 signatures (décompte à 14h45, mardi).
Le Quai d’Orsay « influencé »
« Ce n’est pas un engagement partisan. Je n’en ai jamais pris. Là, c’est un engagement citoyen. Mayotte est une île française et doit le rester (…) L’objet n’est pas d’être leader de quoi que ce soit », martèle celle qui « née en métropole. Mon père est Mahorais. Je suis Mahoraise. J’ai vécu à Mayotte quand j’étais enfant et adolescente. » Elle a notamment été en cours avec Saïd Hachim, membre CFDT de l’intersyndicale et l’un des porte-parole du mouvement contre l’insécurité. Après le baccalauréat, Estelle Youssouffa intègre l’IUT de journalisme de Tours puis part au Canada étudier les sciences politiques et les relations internationales. Elle rejoint ensuite des rédactions audiovisuelles reconnues où elle fait « du grand reportage, de l’investigation et de la présentation » : LCI, TV5 Monde, France 2, BFMTV et I-Télé et fait un crochet par l’Angleterre où elle travaille pour Al Jazeera, un média qatari. « De moins en moins journaliste » depuis trois ans, cette trilingue férue de voyages travaille comme consultante auprès de « grandes entreprises ».
Jusqu’à présent, celle qui revient à Mayotte régulièrement ne s’était exprimée publiquement que « sur la question de la diversité dans les médias ». La donne a changé car « la situation l’exige (…) Mayotte est en retard dans la compréhension de ce qui est en train de se jouer (…) Mayotte était mobilisée sur les questions de développement. À Paris, elles sont perçues comme un problème. Pour certains hauts fonctionnaires, développer Mayotte, c’est jeter de l’argent par les fenêtres car un jour elle sera Comorienne (…) Il y a une ligne stratégique : laisser sous-développée Mayotte pour un jour la donner aux Comores (…) comme si on était des animaux », s’agace Estelle Youssouffa. « On est tous en train de pédaler sur des sujets très importants mais annexes » pour lutter contre l’insécurité et développer l’île, déclare-t-elle. « Les Comoriens ont réussi à influencer le Quai d’Orsay, c’est ahurissant », ajoute-t-elle.
« Ce qui transparaît dans la presse parisienne, c’est qu’il y a quand même des dissensions au sein du gouvernement. Si on n’arrive pas à faire entendre Mayotte à Paris, cette ligne de fond [la proposition suspectée par Estelle Youssouffa du ministère des Affaires étrangères, NDLR] va perdurer (…) Le combat de nos aïeuls a été que Mayotte reste française. Pour nos parents, c’était la départementalisation. Nous, on pensait que ça serait le développement alors que notre combat sera que Mayotte reste Française. C’est un électrochoc, une trahison impensable », déplore-t-elle.
Estelle Youssouffa appelle dans sa pétition à abroger les accords de coopération entre la France et l’Union des Comores. « On ne peut pas collaborer avec quelqu’un qui veut nous annexer (…) Pour les Comores, on n’est pas un territoire français (…) À partir du moment où les Comores abandonnent toute revendication territoriale de Mayotte, la France peut collaborer très volontiers avec eux ». Mais actuellement, « les Comores envoient leurs populations les plus pauvres coloniser Mayotte », lâche Estelle Youssouffa. « On est en train de changer la structure démographique de Mayotte pour acculer les Mahorais et faire accepter une cogestion avec les Comoriens. C’est une trahison (…) La feuille de route [suspendue en septembre, qui permettrait la délivrance de visas gratuits et que Moroni souhaite relancer NDLR] est l’un des outils pour aboutir à la communauté de l’archipel », analyse-t-elle.
« J’ai Mayotte à cœur »
La prise de position de la consultante en affaires internationales ne laisse pas indifférents les élus mahorais. Le député Mansour Kamardine (LR), invité le même soir qu’elle dans l’émission « Kala oi dala », se dit en plateau « à 200% avec l’analyse de Madame Youssouffa ». Dans nos colonnes, le sénateur Thani Mohamed Soilihi indique être « étonné qu’une journaliste reconnue mais dont on n’a jamais lu quelque chose sur Mayotte, vienne quelques jours et devienne immédiatement une référence alors qu’elle est également consultante pour Al Jazeera, chaîne dont on n’a pas inventé plus pro-comorien ! Je ne comprends pas, avec tout le respect que nous lui devons, que subitement, quelqu’un qui est de passage vienne nous dire : +Moi, j’ai vu un plan, je sais des choses que vous ignorez+. Mais on est où, là ? Dans un film ? ». « La théorie du complot, c’est trop facile », réagit la principale intéressée. « J’ai Mayotte à cœur et Mayotte française. »
« Les tractations ont lieu en catimini. Si la population ne se fait pas entendre, Paris pourrait penser qu’on est passivement d’accord, [que c’est] un feu vert pour continuer », prévient-elle. « Les élus ont visiblement préféré croire que la départementalisation nous protégeait. On a tous cru que c’était la fin de cette insécurité statutaire (…) C’est à la population d’agir ».
Avec une suite à la manifestation de jeudi ? « Cela va dépendre de la réponse de Paris. Si Paris pense qu’il peut laisser le problème de côté, ça va vite pourrir de manière très puante. Ce n’est pas un sujet qui se négocie », conclut-elle. Estelle Youssouffa sera de retour à Mayotte jeudi matin pour participer au défilé qui partira de la place de la République aux environs de 8h.
Interrogé au sujet de cette Communauté de l’archipel, le ministère français des Affaires étrangères n’a pas donné suite à notre sollicitation.
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