Loi Mayotte : « Nous sommes tenus de programmer l’île d’ici les trente prochaines années »

Conseillère départementale du canton de Dzaoudzi-Labattoir, Maymounati Moussa Ahamadi a activement participé à l’élaboration des 120 propositions qui ont été remises au gouvernement. Elle les défend dans une interview accordée à Flash Infos, à quelques jours du retour très attendu de la part du gouvernement.

Flash Infos : Comment avez-vous établi ces propositions ?

Maymounati Moussa Ahamadi : Le comité interministériel de l’outremer (Ciom), en juillet, a donné l’occasion pour Mayotte de parler de la contribution du territoire. Elle servira à l’élaboration de la loi qui est faite par le gouvernement et pas par le Département de Mayotte, je le rappelle. Dans ce qui a été fait, l’idée était de reprendre ce qui a été mis en place avec le préfet Jean-François Colombet au mois de mai 2021 avec la concertation publique. On a repris les thématiques et ce que voulaient déjà à cette époque les Mahorais. Ce qu’on a mis en plus, c’est par rapport à l’actualité. On a eu depuis l’opération Wuambushu, une crise de l’eau plus qu’excessive et une insécurité monstrueuse. On a également un territoire où le développement est ralenti avec plein de projets structurants qui n’y sont pas.

F.I. : On a vu qu’un travail de concertation a eu lieu.

M.M.A. : Nous sommes tenus de programmer Mayotte d’ici les trente prochaines années. Et les idées viennent du cœur de la population. J’ai entendu des vertes et des pas mûres pour dire que ce qui est fait n’est pas forcément bien. Je rappelle que toutes les institutions y ont participé. Il y a tous les élus locaux, tous les parlementaires, les collectivités, les collectifs et l’association des anciens élus. Tout le monde a été invité à participer.

F.I. : En 2021, les Mahorais avaient participé à la concertation, mais l’année d’après, les élus du conseil départemental avaient émis un avis défavorable, estimant ne pas avoir été assez écoutés. Comment éviter le même schéma ?

M.M.A. : Il y a la temporalité qui va être définie. A Mayotte, on a déjà une cellule technique composée d’élus départementaux, de techniciens du Département et d’un cabinet d’avocats. Il est important aussi d’intégrer les questions d’actualité. Par exemple, Mayotte n’organisera pas les Jeux des Iles de l’océan Indien en 2027. Très bien, on demande maintenant à intégrer la Commission de l’océan Indien en tant que département français. C’est un travail d’équipe à faire avec les parlementaires. J’espère que cela va engager Mayotte dans une phase de développement accéléré.

F.I. : En quoi est-ce important de défendre ce travail préparatoire ?

M.M.A. : Il faut se rappeler que la dernière loi programme pour Mayotte date de 1987. Ensuite, on a eu des contrats de convergence, pas mal de choses, puis les fonds européens. Mais il n’y a pas eu une programmation territoriale. Notre génération a de la chance d’avoir un document entre nos mains pour engager Mayotte dans les trente prochaines années. On programme l’avenir des hommes et des femmes de ce territoire, les futures infrastructures, l’emploi, l’économie, la formation, l’agriculture. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie alors que nous sommes asphyxiés par tant de problématiques, cela veut dire qu’on n’a pas compris notre rôle d’élu. Je salue d’ailleurs Ben Issa Ousseni (N.D.L.R. le président du conseil départemental) d’avoir fait l’effort de dire qu’il n’y a ni opposition ni majorité pour ce projet de territoire. Le président de notre groupe d’opposition, Elyassir Manroufou, m’a donc désigné pour défendre ce projet.

F.I. : On parle de programmation, mais ce qui ressort du texte, c’est davantage du rattrapage.

M.M.A. : Si on regarde la thématique sur la compensation des transferts de compétences, oui. On parle ainsi de la dotation globale de fonctionnement. Ce n’est pas une politique de rattrapage, mais je dirais de clarification. Ce sont des montants qui sont dus et doivent augmenter en fonction de la population. Il y a des points, certes, où l’on demande des remises à niveau. Il y a d’autres points où il faut qu’on arrête de se dire qu’il faut agir dans un, deux ou trois ans. A un moment, il faut des actions immédiates, à moyen et à long terme permettant de faire évoluer Mayotte dans un développement accéléré.

F.I. : Qu’est-ce qui vous gêne dans les premières critiques ?

M.M.A. : On a fait du tapage, on a parlé de toilettage institutionnel pour faire peur à la population, alors que ça n’a rien à voir avec un toilettage. C’est plutôt vers une équité sociale et économique vers quoi on devrait aller en tant que département.

F.I. : Il y a beaucoup de choses proposées et certaines ne seront jamais dans une loi Mayotte. On peut penser au conditionnement de la scolarité des élèves de nationalité étrangère qui va à l’encontre du droit à l’éducation.

M.M.A. : Vous avez raison, mais comme les maires sont asphyxiés, on le demande. Peut-être qu’en mettant cela, ça va permettre à l’État de réfléchir à une option annexe. J’avais proposé à Sébastien Lecornu (N.D.L.R. ex-ministre de l’Outre-mer) de créer un réseau associatif annexé à l’Éducation nationale avec des personnes qui ont le Bafa (N.D.L.R. brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) qui peuvent s’occuper les enfants non scolarisés, notamment les plus petits. Au lieu de rester chez eux et perdre un an, ils pourront rentrer l’année suivante avec des acquis.

On a aussi la suppression du droit du sol. On sait très bien que c’est anticonstitutionnel, mais on le dit. Ils verront ce qu’ils veulent le faire. On ne se met pas de barrières sur ce que l’on veut.

F.I. : En janvier 2022, il y avait des reproches sur le manque de calendrier ou de chiffres pour les propositions gouvernementales. On n’en voit pas plus dans ce texte, pourquoi ?

M.M.A. : C’est à l’État de nous dire. Il y a 120 mesures, vous pensez réellement qu’on peut toutes les chiffrer ? Comme l’Evasan, vous pensez qu’on peut connaître le coût pour ceux qui font un diagnostic hors Mayotte (N.D.L.R. proposition numéro 54). La Première ministre va nous dire en termes de budget : « nous pouvons vous donner autant ». On verra en fonction de cela.

Mais là, c’est se griller dès la phase de démarrage. Si on demande 400 millions d’euros et qu’ils voulaient nous donner un milliard. On se doit de ne pas être dans l’affront, mais la discussion.

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