Mécontents de la première copie du projet de loi-programme, les collectifs mahorais demandent qu’elle soit revue avant tout débat parlementaire. Ce lundi, ils insistent sur trois choses, la suppression du titre de séjour territorialisé, la construction d’une piste longue à Pamandzi et le retrait de l’article 20 qui doit faciliter l’expropriation « pour cause d’utilité publique ».
Que veulent les collectifs ?
Réunis ce lundi, devant le bureau des étrangers de la préfecture de Mayotte qu’ils bloquent régulièrement, les membres de plusieurs collectifs du territoire ont fait part de leur désaccord avec le projet de loi-programme pour la refondation de Mayotte, qui doit être présenté au Sénat à la mi-mai. « Ce projet va engager Mayotte, sa population, nos enfants pendant plusieurs générations. Il ne faut pas que les élus mahorais se contentent d’une copie aussi vide, sachant qu’on sort d’un ramadan difficile et de plusieurs crises comme celles de l’eau et Chido », défend Safina Soula, la présidente du collectif des citoyens de Mayotte 2018. Alors que Manuel Valls, le ministre de l’Outremer, sera présent à Mayotte, ces mardi et mercredi, les collectifs souhaitent trois modifications nécessaires à leurs yeux.
Il y a d’abord la suppression du titre de séjour territorialisé, une demande plusieurs fois répétée pour réduire la pression démographique liée à l’immigration clandestine. « Nous sommes discriminés depuis plusieurs années. Aujourd’hui, la seule façon pour l’État de se faire pardonner auprès des Mahorais est d’insérer cette suppression dans la loi », prévient la militante mahoraise. Autre revendication portée ce lundi, il y a la création d’une piste longue à Pamandzi. Ali Djaroudi, président de l’Autam (Association d’usagers des transports aériens à Mayotte), estime que l’alternative de Bouyouni est « un leurre » pour ne pas réaliser ce projet pour lequel Emmanuel Macron s’était pourtant engagé en 2019. Enfin, il y a l’article 20 qui doit faciliter les expropriations « pour cause d’utilité publique » et que les participants à la conférence de presse veulent voir retiré.
Pourquoi l’article 20 déplaît tant ?
C’est une disposition qui a été déjà mise sur la table lors de la présentation du projet de loi d’urgence pour Mayotte. Initialement, l’article 10 comprenait, en effet, « des adaptations ou dérogations aux règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique, notamment en matière d’identification et d’indemnisation préalable des propriétaires des emprises devant faire l’objet d’une expropriation ». En février, Manuel Valls avait préféré retirer ce texte, jugeant que l’article avait été « mal compris et que sa formulation en ordonnance n’a pas aidé à l’établissement de la confiance avec la population ». A Mayotte, plusieurs voix dont celles des collectifs, s’étaient élevées contre cet article, l’accusant de vouloir déposséder les Mahorais de leurs terres pour y faire de l’habitat provisoire.
Sauf que le gouvernement, inquiet que l’établissement public ne puisse pas disposer d’outils suffisants pour réaliser ses projets, a décidé de remettre la mesure dans le nouveau texte. Ainsi, l’article 20 est pratiquement similaire à sa version précédente. S’il n’est plus question d’ordonnance, le gouvernement confirme que la procédure d’expropriation dans le cadre de déclaration d’utilité publique (DUP) pourrait être enclenché si un accord de vente n’est pas trouvé avec des propriétaires.
Que se passera-t-il s’ils n’obtiennent pas gain de cause ?
S’ils se disent « fatigués » des blocages, notamment après le peu de résultats obtenus en 2018 ou suite aux barrages de janvier et février 2024, ils n’excluent pas d’y recourir à nouveau. « Si la suppression du titre de séjour territorialisé ne figure pas dans le texte, nous, on va bloquer », avertit Dhinouraini Boina. Se présentant comme représentant de la société civile, il va plus loin : « Il y aura « karivendzé » [« on n’en veut pas »] si l’État veut passer en force et refuse nos trois revendications ». Et cela pourrait arriver vite, puisque les collectifs veulent ces modifications rapidement. « On ne peut pas attendre les débats parlementaires pour réagir. Parce que là, ça sera trop tard », fait remarquer Ali Djaroudi.
De quoi attendre du débat parlementaire justement ?
Les participants à la conférence de presse considèrent qu’il y a pratiquement un consensus des quatre parlementaires (les députées Estelle Youssouffa et Anchya Bamana, ainsi que les sénateurs Saïd Omar Oili et Salama Ramia) sur les trois points évoqués. Ils se méfient, en revanche, des groupes politiques. « On veut envoyer un message à tous ces parlementaires qui viennent nous voir, faire semblant de nous écouter et voter contre nous », justifie Safina Soula. Moutouin Soufiyan rappelle que la droite a refusé au Sénat que la suppression du titre de séjour territorialisé soit intégrée à la nouvelle restriction du droit du sol à Mayotte. « Gérald Darmanin [N.D.L.R. ancien ministre de l’Intérieur et de l’Outremer, passé depuis à la justice] avait promis que si le droit du sol était modifié, on aurait cette suppression. On n’a rien eu en contrepartie », peste le représentant du Codim (Collectif de défense des intérêts de Mayotte).
Les collectifs tiennent donc à ne pas être dupés une nouvelle fois, rappelant qu’au bout d’un mois de mouvement des Forces vives, ils avaient accepté de « tendre la main » en échange de promesses non réalisées à ce jour.
De l’attente aussi envers Emmanuel Macron
Les autres points sur lesquels les collectifs sont vigilants sont la reconstruction de Mayotte post-Chido qui peine à avancer et l’intégration de Mayotte à la commission de l’océan Indien. Concernant ce dernier, ils attendent beaucoup du président de la République qui devrait être sur le territoire mahorais avant sa participation au sommet de la COI dans deux semaines. Ils aimeraient qu’Emmanuel Macron s’engage à l’intégration de Mayotte dans la commission, quitte à remettre en cause la place de la France dans cette organisation dont elle est pourtant la principale financeuse.
Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.