Des maires, des directeurs généraux de services de communes et d’établissements publics, une grande partie des décideurs de Mayotte sont actuellement à Paris pour assister au 106ème congrès des maires de France et des présidents d’intercommunalités. Ce mardi, Madi Madi Souf, maire de Pamandzi et président de l’association des maires mahorais, et Ibrahim Aboubacar, ex-député et actuel directeur du syndicat Les Eaux de Mayotte, sont intervenus, pour expliquer les difficultés de notre île et les solutions préconisées pour les résoudre. Estelle Youssouffa, députée de la première circonscription de Mayotte, a également pu prendre la parole (voir encadré).
Comment les maires de Mayotte réussissent à faire face à la crise migratoire, la crise des barrages, la crise hydrique, au choléra, aux autres crises économiques et sociales qui s’enchainent ? C’est l’une des questions de la journaliste Céline Bardy, rédactrice en chef déléguée à Ouest-France, à l’occasion du 106ème Congrès des maires de France qui se tient cette semaine à Paris. « Mayotte, département le plus pauvre de France à côté de celui de la Seine-Saint-Denis, est confrontée à de multiple crises, immigration, santé, eau, et j’en passe. Celles-ci ont débuté en 2011 avec la crise de la vie chère qui a valu au territoire plus de quarante jours de blocage ayant de graves répercussions sur une économie locale déjà fragile. Comme si cela ne suffisait pas, nous avons eu droit à une crise de quarante jours il y a de cela huit mois, entre janvier et février 2024 », reconnaît Madi Madi Souf.
Aux autres maires de France présents dans la salle, le premier magistrat de la commune de Pamandzi a rappelé qu’en 2022, une autre crise d’insécurité avait obligé les dix-sept maires mahorais à se rendre dans la capitale française pour obtenir l’écoute du Sénat et de l’Assemblée nationale. Un déplacement qui selon l’élu mahorais a eu pour effet le déclanchement de l’opération Wuambushu et le déploiement d’importantes forces de l’ordre en 2023 dans le département pour lutter contre l’immigration clandestine qui impacte énormément Mayotte. « La crise née de l’insuffisance d’eau a fait que des écoles et des hôpitaux bondés ne pouvaient plus fonctionner normalement. Pour pouvoir voir un docteur, il fallait se lever à 4 heures et aller faire la queue devant un dispensaire. Cela démontre que parfois, face au laxisme des autorités en France, il faut se révolter pour être entendu. Or, en amont, nous pouvons éviter d’en arriver à [cette extrémité] en écoutant et en essayant de trouver des solutions à moyen terme », a indiqué le président de l’AMM, constatant au passage une légère accalmie, qui ne signifie guère un retour définitif à la normale.
Autre constat dressé par le maire de Pamandzi, l’existence d’un contrôle anti-migratoire sur l’île mais qui ne satisfait pas les populations locales. Inverser la tendance dans ce dossier de l’insécurité impose, selon lui, une grande collaboration entre toutes les forces sécuritaires en présence sur le territoire, gendarmerie, police et police municipale. Il en veut pour preuve les résultats, certes encore mitigés, mais obtenus à travers une conjugaison des synergies en Petite-Terre située en zone gendarmerie. « Mais cela ne suffira pas, vous le savez, à l’approche des jeux olympiques de Paris 2024, tous les escadrons de gendarmerie dépêchés à Mayotte pour assurer la protection de la population ont été rapatriées dans l’Hexagone », rappelle-t-il. Le président l’association des maires de Mayotte réclame aux hautes autorités de l’État le retour de ces forces dans le 101ème département français. Une doléance qu’il a su relayer auprès du nouveau chef du gouvernement, Michel Barnier, qu’il a rencontré dans la soirée de lundi à Matignon et à qui il a exposé son plan d’une plus grande collaboration entre gendarmes, policiers nationaux et policiers municipaux dans la lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine à Mayotte.
Une sortie de la crise de l’eau dans deux ans ?
Autre grande préoccupation des Mahorais abordée au cours de ce 106ème congrès, le sujet de l’eau, qui est encore très loin de connaître une issue satisfaisante pour les consommateurs. Une crise de l’eau qu’Ibrahim Aboubacar explique dans son intervention comme la conséquence d’une croissance démographique interne et migratoire extrêmement soutenue, laquelle justifie les difficultés du syndicat Les Eaux de Mayotte (anciennement Sieam) à produire suffisamment d’eau sur le territoire actuellement. « Lorsque je parle d’eau, je parle de l’eau distribuée à la population pour la consommation humaine. La problématique de l’eau agricole par exemple n’est quasiment pas du tout abordée. » Au directeur général des services du syndicat de rajouter qu’à « cette situation générale d’insuffisance d’infrastructures qui concerne la production, le stockage et la distribution s’ajoute une sécheresse exceptionnelle, cela devient une catastrophe ! ». Mayotte a connu une sécheresse exceptionnelle en 2017 qui a impacté le sud et une deuxième en 2023 qui a aggravé la situation et privé la population d’eau jusqu’à 54 heures par semaine (deux jours ouvrés sur sept). Il a rappelé qu’à l’heure où l’on parle, l’eau est distribuée deux jours sur trois et que ses services surveillent avec inquiétude les évolutions météorologiques. Une météo qui annoncerait une situation normale selon cet ancien député de Mayotte, qui demeure une source d’inquiétude pour les Mahorais en ces temps de kashkazis (saison des pluies) tardives.
Un problème majeur qui appelle à être résolu à travers trois canaux, les forages, une nouvelle retenue collinaire et le dessalement d’eau de mer. « Les deux premières solutions sont totalement dépendantes de la pluviométrie, donc c’est une situation de fragilité structurelle qui le met le territoire en tension de manière à ce que nous puissions définir une stratégie qui sécurise en parvenant à une capacité de production de +20 % par rapport à la demande », a relevé Ibrahim Aboubacar, lors de son intervention très remarquée.
Il précise qu’un délai minimal de deux ans sera nécessaire avant que les différents projets avancés (usine de dessalement d’Ironi Bé, les nouveaux forages) ne permettent de sortir enfin de la crise de l’eau et de ses conséquences douloureuses pour les habitants de l’île.
« Nous avons été laissés de côté »
Invitée par David Lisnard, le président des maires de France, Estelle Youssouffa a pu également s’exprimer au cours des débats organisés dans le cadre du 106ème Congrès des maires de France. La députée de la première circonscription de Mayotte a estimé que les outre-mer sont en marge de la République. « Quand on voit notre pays qui est en grande difficulté avec énormément de tensions politiques, une crise qui s’installe au niveau de l’exécutif, qui s’est manifestée par les urnes en juin et qui maintenant une crise budgétaire qui est extrêmement grave et qui impose des choix, pour nous les ultramarins, nous avons déjà subi ces choix et nous avons été laissés de côté », déplore-t-elle. La parlementaire mahoraise a fustigé le manque d’investissement chronique de la part de l’État, les coupes budgétaires – qu’elle a qualifié de « scélérates » – décidées rue Oudinot (siège du ministère des Outre-mer) sans que personne ne soit au courant et qu’on découvre des mois après sont la conséquence des difficultés traversées par les territoires ultramarins. « Les fractures sont profondes et très graves », a souligné Estelle Youssouffa. Pour elle, ces crises politiques et sociales que connaissent les outre-mer ont des racines profondes avec une colère légitime par ce que le pacte républicain est rompu.
Journaliste politique & économique