L’après Chido et Dikeledi : entre épreuves à surmonter et craintes

En l’espace d’un mois, la population de Mayotte a vécu successivement le passage, le 14 décembre 2024, d’un cyclone dévastateur dénommé « Chido », qui au-delà des puissances déchainées des vents, des dégâts sur la végétation, les habitats et les écosystèmes, a entrainé au minimum 39 décès et plus de 6.000 blessés, suivi le 12 janvier 2025, d’une forte tempête tropicale appelée Dikeledi, accompagné des fortes pluies. Cette eau qui est source de vie est devenue en quelques heures, source de danger par ses crues et ses inondations. Heureusement et contrairement à Chido, aucun décès n’est à déplorer. L’eau a toujours été responsable de nombreuses crises à Mayotte, soit par manque de ressource en eau ou par l’incapacité des infrastructures en eau à satisfaire les besoins de la population dans les différentes crises vécues : 1997, 2017, 2023 et 2024. En ce premier tiers du mois de janvier 2025, cette eau en furie a emporté tout sur son passage et notamment dans le Sud de l’île.

S’il faut remonter l’histoire de ce territoire, en dehors, des épidémies récurrentes de variole à la fin du 19 ème siècle qui ont touché Mayotte en 1875, 1886 et surtout celle de 1898 qui a fait 2.300 victimes et qui a rayé de la carte le village de Caroni, et des naufrages des (kwassa – kwassa), présentant ainsi le lagon comme l’un des plus grands cimetières de la région. Les cyclones font partie les fléaux qui ont le plus marqués les Mahorais. J’en veux comme exemple Kamisy en1984 et FELIKSA 1985. Ils peuvent de façon soudaine ou prévisible, transformer l’image paradisiaque et la richesse de la nature terrestre et maritime de Mayotte en supplice, en désolation et en désespoir.

Une vie quotidienne désarticulée

Chido avec des rafales de vent de plus de 200 km/h, a eu d’importantes répercussions sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Il a démoli des nombreuses structures bâties privées (commerces), publiques (écoles, hôpital), des logements et surtout de nombreux bidonvilles. Et ce n’est pas la fin du phénomène qui a permis un fonctionnement normal, mais générant au contraire une dégradation continuelle des services. Il a compliqué jusqu’à ce jour, les approvisionnements en eau, en électricité, en téléphonie, en voies de communication et surtout en nourriture. La question aujourd’hui posée aux Mahorais et aux autorités politiques et administratives de l’île est de savoir : où trouver du manioc, du fruit à pain, des songes et de la banane pour ce mois de Ramadan qui se profile devant nous ? Alors que le régime alimentaire pendant ce mois sacré est essentiellement orienté vers la consommation de ces fruits et légumes accompagnés de poissons, de volailles et de viandes bovines, dans les temps de restaurations succédant aux périodes journalières de jeûnes qui rythment le temps du Ramadan.

Chido a complexifié les déplacements à cause des quantités astronomiques des déchets des bâtiments effondrés, des toitures arrachées, des arbres déracinés, des ordures ménagères et des cadavres d’animaux en décomposition, sources de puanteur insoutenable et de risques sanitaires. Dikeledi, quant à lui, a détruit certaines routes en les rendant ainsi impratiquables.

La santé a été particulièrement impactée par l’ampleur de Chido.L’hôpital de Mayotte, unique établissement hospitalier de l’île, a été endommagé, d’où cet engagement pris par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de sa visite à Mayotte, les 19 et 20 décembre 2024, de mettre en place dans l’urgence un hôpital de campagne.

Les difficultés constatées pour s’approvisionner surtout en eau, ont éprouvé physiquement et moralement les communautés présentes sur l’île. Ces dernières sont quotidiennement préoccupées par la recherche de l’eau. Pour exemple, les corvées quotidiennes, notamment par moi-même qui devait parcourir du 15 au 25 décembre, des centaines des mètres par jour et deux fois matin et soir, des jerricanes à la main, aux puits de Passamaïnty Cavani à la recherche d’eau même non potable pour les besoins d’hygiène et des installations sanitaires, illustrent parfaitement ces difficultés. Il fallait aller à la recherche de l’eau vers des points d’eau (puits, rivières, rampes de robinets). Les quantités ramenées restaient très limitées et souvent insuffisantes. D’où les longues marches, des pertes de temps et d’énergie des personnes qui consacraient environ (10 %) de leur temps à s’approvisionner (en eau).

Tous ces dysfonctionnements ont eu certainement un impact direct et/ou indirect sur la santé de la population. Et si une épidémie de plus grande ampleur comme celle du Chikungunya de 2006 ou de la Covid-19 de 2020 ou du choléra de 2024 survenait en même moment, les investigations et la gestion auraient été difficiles.

Un environnement complétement défiguré

Dans un territoire comme Mayotte, où le sous-développement économique et les inégalités sociales sont patentes, la richesse de la nature, terrestre (faune et flore) ou maritime (mangrove, espèces et coraux) constitue : un atout pour le développement économique et social, pour l’essor du tourisme, un laboratoire pour la recherche scientifique, un outil essentiel pour la formation et une réserve pour la création d’emplois.

Encore faut-il que cette richesse naturelle soit préréservée dans un milieu, une île et un lagon particulièrement fragiles. Et Chido comme Dikeledi sont venus impacter fortement Mayotte à différents niveaux, notamment en affectant les écosystèmes et la biodiversité marine et terrestre, l’agriculture, l’alimentation, l’approvisionnement en eau (quantité et qualité), en fragilisant les populations sur le plan économique et social (alimentation, logement…), en augmentant les risques liés à certaines maladies à transmission vectorielle, étroitement dépendantes de la salubrité publique et des conditions particulièrement favorables à l’émergence de maladies à transmission vectorielle notamment, par le développement et l’abondance des gîtes larvaires des moustiques vecteurs des maladies.

Ces risques sont majorés du fait, d’une part, du retard important d’équipement en infrastructures d’assainissement des eaux usées, d’accès à l’eau potable, du fait de l’habitat insalubre notamment dans la plupart de bidonvilles et d’une collecte et d’un traitement des déchets insuffisants.

Augmentation d’actes anti-sociaux

Même s’il a été très difficile de convaincre certaines personnes d’évacuer leurs habitations situées souvent dans une zone caractérisée par une forte pente où les secours pouvaient difficilement accéder, et concernée par l’urbanisme illégal, à rejoindre les centres d’hébergements mis en place par les collectivités territoriales, un semblant de générosité et de renforcement du tissu social a existé et a permis de surmonter les deux phénomènes. Ces derniers avaient fait disparaître les préoccupations divergentes quotidiennes en faveur d’un consensus à se protéger. La question de nouveau posée ici est de comprendre, pourquoi les occupants des territoires dangereux se sont-ils acharnés à y retourner vivre dès le lendemain du passage de Chido ? Peut-on expliquer cette problématique par le fatalisme, le contrôle de l’environnement social etc.. ?

En revanche dès la mise en place des secours et surtout en ce qui concerne les distributions d’eau et de nourriture, le naturel est revenu au galop. Les désaccords habituels connus sur le territoire entre les deux principales communautés (nationaux et étrangers notamment en situation irrégulière) ont fait leur apparition dès la mise en place des secours.

Et les plus anti-sociaux sont que certaines personnes déclenchent des gestes destructeurs tels que les actes de vandalisme, de pillage et de braquage sur une population déjà sinistrée et impuissante. Ainsi pour illustrer cette assertion, alors que moi-même, je tentais de remonter difficilement les dégâts matériels de son domicile et psychologiques causés par Chido, ma famille a été agressée lundi 6 janvier 2025, à midi, par 3 individus très menaçants, cagoulés, armés de machettes, couteaux, marteaux et venus pour piller notre domicile. Ils ont tout emporté ou presque. Au-delà de ces pertes matérielles indéniables, le traumatisme psychologique de la population mahoraise et de ma famille en particulier, est actuellement amplifié par ces actes de prédation. Il est urgent d’y remédier !

Salim MOUHOUTAR

Auteur et conférencier

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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