La motion de censure, quelle conséquence ?

Alors que l’Assemblée nationale a voté une motion de censure, ce mercredi soir, Thomas M’saïdié, maître de conférences HDR à l’établissement dénommé « Université de Mayotte » explique les répercussions au niveau national et pour Mayotte.

Flash Infos : Quelle différence il y a entre la motion de censure et la dissolution ?

Thomas M’saïdié : La dissolution est un pouvoir propre du président de la République issu de l’article 12 de la Constitution lui permettant de mettre fin au mandat des députés avant l’échéance de cinq ans. L’exercice de ce pouvoir est totalement libre et dépend donc de la seule volonté du président, puisqu’il n’est pas soumis à un contreseing ministériel. Il est simplement tenu de consulter préalablement le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cette prérogative a été récemment mise en œuvre par Emmanuel Macron, le 9 juin 2024, et a provoqué de nouvelles élections qui se sont tenues les 30 juin et 7 juillet 2024.

La motion de censure est un instrument prévu à l’article 49 de la Constitution permettant au Parlement de contrôler l’action du gouvernement. Son adoption par la majorité des députés a pour conséquence de renverser le gouvernement. Cela n’est arrivé qu’une seule fois sous la Ve République en 1962, lorsque les députés, majoritairement opposés à la réforme entreprise par de Gaulle visant à instaurer au titre de l’article 11 de la Constitution l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, avaient décidé de renverser le Gouvernement Pompidou. Pourtant, cet instrument de contrôle a été utilisé 113 fois depuis la mise en place de la Ve République, alors que l’Assemblée nationale a été dissoute 6 fois : deux fois par le Général De Gaulle, en 1962 et en 1968, deux fois par Mitterrand, en 1981 et en 1988, une fois par Chirac en 1997 et une fois par Macron en 2024, comme il a été dit.

Plus simplement, dans le premier cas, il s’agit d’une prérogative reconnue au président et dans le second cas, il s’agit d’une prérogative reconnue à l’Assemblée nationale. Ce sont donc deux prérogatives différentes.

F.I. : Comment la motion de censure est-elle mise en œuvre ?

T.M. : Il existe deux types de motion de censure : une motion de censure spontanée et une motion de censure provoquée. La motion de censure « spontanée » est encadrée par les dispositions de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution. Elle est l’œuvre des députés eux-mêmes et permet à ces derniers de mettre en cause la responsabilité du gouvernement. Cependant, elle requiert la signature d’au moins 58 députés (un dixième au moins des députés), étant précisé que le nombre de signatures par député est limité à trois au cours d’une même session ordinaire et à une au cours d’une même session extraordinaire. Son adoption nécessite la majorité des députés (soit 288 députés) et ne peut intervenir que 48 heures après son dépôt.

La motion de censure est dite « provoquée » lorsque le Premier ministre engage, devant l’Assemblée nationale, la responsabilité de son gouvernement sur son programme ou sur un texte. C’est le fameux article 49 alinéa 3 qui en encadre l’exercice. C’est précisément ce qu’a fait le Premier Ministre Michel Barnier en engageant la responsabilité de son gouvernement sur l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le lundi 2 décembre 2024. Cette procédure permet de faire adopter le texte en question sans débat, à moins que 58 députés au moins ne déposent une motion de censure dans les 24 heures suivant l’engagement de la responsabilité gouvernementale par le Premier ministre. Pareillement, le vote de la motion de censure intervient 48 heures après son dépôt.

F.I. : L’adoption de la motion de censure peut-elle provoquer la démission du Président de la République ?

T.M. : Il est vrai qu’en ce temps de crise institutionnelle l’appel à la démission du président de la République, Emmanuel Macron, lancé par plusieurs personnalités politiques peut laisser croire que l’adoption de la motion de censure est avant tout une sanction du choix du Président, mais la Constitution de la Ve République est très claire : l’adoption d’une motion n’entraîne pas la démission du Président, mais seulement la démission du Premier ministre et de son gouvernement.

Seuls deux cas de figure peuvent conduire à la destitution du président de la République : d’une part, « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », il appartient à la Haute cour présidée par le président de l’Assemblée nationale de prononcer sa destitution et, d’autre part, s’il se rend coupable de crime contre l’humanité, de crime de guère et de génocide, il peut dès lors relever la Cour pénale internationale.

F.I. : Quelles conséquences pour le secrétaire d’État Thani Mohamed Soilihi ?

T.M. : Il est vrai que la nomination de Thani Mohamed Soilihi au gouvernement est historique pour notre île, et mérite de ce fait d’être saluée, néanmoins cela ne le préserve pas pour autant des aléas du régime parlementaire. En effet, le Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux étant membre du gouvernement, l’adoption de la motion de censure entraînera nécessairement la démission de tout le gouvernement, y compris Thani Mohamed Soilihi.

Cependant, il n’est pas exclu qu’il fasse de nouveau partie du gouvernement qui sera constitué à la suite de cette adoption historique de la motion de censure.

F.I. : Quelles sont les conséquences de la motion de censure sur le projet de loi Mayotte ?

T.M. : La motion de censure ne vise qu’un texte particulier sur l’adoption duquel le Premier ministre engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité de son gouvernement. Partant, la motion de censure en tant que telle n’aura aucune incidence sur le projet de loi Mayotte. Mais il est indéniable que le renversement du gouvernement aura une incidence sur les projets de texte en cours d’examen ; ce qui n’est pas le cas du projet de loi Mayotte, qui demeure encore mystérieux puisqu’à ce jour personne n’a eu connaissance de son contenu.

Cependant cette incidence doit être minorée dès lors que, contrairement à la dissolution qui provoque l’abandon du travail entrepris par l’Assemblée nationale, rien n’empêche le nouveau gouvernement en place de s’approprier les projets des textes du gouvernement renversé. Cette hypothèse risque de s’appliquer aux projets de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale, même s’ils seront amendés. Plus clairement, le projet de loi Mayotte sera simplement retardé, mais pas enterré.

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