La gauche mahoraise sous une seule bannière ?

Omar Simba sur les traces de son maître à penser Jean-Luc Mélenchon ? Quoi qu’il en soit, il fait sa rentrée politique cette semaine avec un appel à l’adresse des mouvements locaux s’inspirant de la gauche nationale en vue de constituer une grande formation sociale capable de bâtir un nouveau projet social sur l’île et regagner le terrain perdu au profit de la droite lors des deux derniers scrutins (présidentiel et législative) de cette année.

Flash Info : Omar Simba, vous êtes le premier à faire votre rentrée politique cet été. À cette occasion, vous lancez un appel à la construction d’une nouvelle force de gauche unifiée sur le territoire, pouvez-vous nous en dire plus ?

Omar Simba : En effet, c’est un message que j’ai adressé aussitôt après l’élection présidentielle, il m’a paru opportun de lancer un appel à tous les mouvements politiques se réclamant de la gauche pour nous rencontrer et impulser une vraie force politique de gauche sur le territoire. Force est de constater ces derniers temps un manque réel de ce côté-là. Nous observons une très forte droitisation de la politique à Mayotte, au point de consacrer une dominance de l’extrême droite à la dernière présidentielle, au 1er comme au 2ème tour. Les résultats des législatives nous ont aussi donné deux élus que je qualifie de droite puisque Mansour Kamardine est un représentant du parti Les Républicains et Estelle Youssouffa, sur certains thèmes, a mené campagne sur un ton plus que de droite. Il nous faut donc un mouvement qui puisse porter une vision de gauche sur des sujets récurrents que nous entendons ici et là dans certaines manifestations et discours sur Mayotte. C’est en particulier le cas en ce qui concerne l’égalité sociale, l’égalité de droits, la lutte contre la pauvreté, très criante dans cette île, etc. Il nous faut des hommes et des femmes dévoués pour porter ces combats, les faire aboutir concrètement dans notre société et faire avancer notre département.

FI : Question importante : la gauche a-t-elle réellement existée dans l’opinion mahoraise ?   

O.S. : Oui, bien sûr ! À une époque, il y a eu ici un parti communiste rénové (PCR) et un parti Socialiste (PS). Il y a actuellement un parti social mahorais (PSM), un mouvement des radicaux de gauche (MRG). Des sympathisants sont là pour défendre les idéaux de la gauche. Mon idée est donc que nous puissions nous retrouver ensemble et construire une maison commune, à l’instar de ce qu’a fait la NUPES (nouvelle union populaire écologique et sociale) à l’échelle nationale, le regroupement des principaux partis de gauche autour d’un projet politique commun. Nous avons vu le résultat très intéressant obtenu !

FI : Il y a tout de même un paradoxe dans ce que vous nous dites là, lorsqu’on sait que la départementalisation en Outre-mer fut une œuvre de forces de gauche, alors qu’ici c’est plutôt la droite qui en est porteuse et la met progressivement en place, comment justifiez-vous cela ?

O.S. : Je ne partage pas trop cette affirmation selon laquelle la départementalisation de Mayotte est une œuvre exclusive de la droite. Je rappelle que si effectivement elle s’est produite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il y a eu cependant au préalable un long travail fondamental réalisé par le gouvernement de Lionel Jospin. Il ne faut donc pas oublier tous ces apports qui ont conduit vers la consultation référendaire organisée sous Sarkozy en 2009. C’est donc la gauche qui a scellé les accords ayant conduit Mayotte au statut de DOM (département d’Outre-mer), il faut lui reconnaître tout ce qu’elle a fait pour notre île. Ici, les gens ont toujours tendance à dire que cette île n’avance que lorsque la droite est pouvoir, alors que c’est faux ! La droite est au pouvoir en France depuis Nicolas Sarkozy et pourtant, Mayotte n’avance pas au rythme souhaité par ses habitants et pire encore, nous constatons même un certain recul depuis quelques années. En dehors de cette seule départementalisation que tout le monde s’accorde à dire que c’est une coquille vide, j’aimerais bien que l’on me dresse un bilan de ce que cette droite a réalisé pour ce territoire. Ce serait peut-être l’objet d’un autre débat qui pourrait être intéressant.

FI : Si coquille vide il y a, cela sous-entend qu’il y a un large espace à remplir. Alors quel serait le projet de cette future union des forces locales de gauche pour combler ce vide ?

O.S. : Vous savez, il appartient avant tout à l’ensemble des Mahoraises et des Mahorais et non seulement aux composants de cette future force de gauche que nous voulons créer de contribuer à combler ce vide. Il sera d’autant plus facile à le combler dans la mesure où nos concitoyens ont déjà déterminé ses contours, à savoir davantage de droit commun, d’égalité sociale, d’égalité de droits et de développement économique. Il n’est pas nécessaire de sortir de l’ENA (école nationale d’administration) pour connaître les revendications légitimes de nos populations. Ce qui reste, c’est une réelle volonté politique de nos gouvernants actuels d’accéder à ces demandes mahoraises. C’est aussi simple que ça !

FI : Le propre de la politique et de la démocratie consiste à se battre en permanence pour arriver à des résultats. Dans le cas présent, quels seraient pour vous les contours de ce combat et de ce projet politique ?    

O.S. : Mayotte ne fait que combattre depuis l’époque du TOM des Comores (territoire d’Outre- mer), à commencer par le simple droit d’exister en tant que tel dans notre environnement régional immédiat. Nous n’avons jamais cessé de combattre quand même semble-t-il, nos cris ne sont pas toujours entendus par les décideurs. Il est certain que nous aurions eu plus d’écoute de la part d’un gouvernement NUPES si nos camarades étaient au pouvoir puisque l’idée de Jean-Luc Mélenchon était d’apporter l’égalité partout sur l’ensemble du territoire français, en Hexagone comme dans les Outre-mer. Par conséquent, je dirais que ce combat pour notre île ne doit pas s’arrêter qu’à Mamoudzou. Il nous faut véhiculer nos doléances partout où c’est nécessaire, nous devons avoir de bons alliés à Paris pour amplifier le travail réalisé localement. Nous pouvons déplorer le fait que les alliés dont dispose Mayotte aujourd’hui à Paris ne soient pas d’une grande aide. Seuls les relais locaux des partis LR et La Renaissance pourront dire aux Mahorais s’ils disposent de sérieux alliés au sein de grands cercles de décisions parisiens, je ne peux pas répondre à leur place. En revanche, je pense que nous devons absolument avoir de bons alliés à notre écoute qui iront au charbon avec nous et pour moi, ce sont les élus de la NUPES !

FI : Pour être concret, une appartenance à la mouvance NUPES apportera quoi de plus à Mayotte ?

O.S. : Si nous lisons bien le projet politique présenté par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et la forme retravaillée pour les législatives, nous nous apercevons que Mayotte se retrouve pleinement dedans. Il est question d’égalité sociale, d’éducation, de développement économique et de développement durable, d’exploitation de la mer, ainsi de suite. Tout ce en quoi aspire Mayotte est dans ce projet, ce qui pour moi aurait pu impulser un vrai développement ici dans notre territoire. Tout a été pensé, il n’y avait pas besoin de rajouter grand-chose. Ce qui est appréciable dans ce mouvement politique, c’est que les projets sont bâtis de façon communautaire avec un apport de chaque composant de la mouvance. Il s’agit donc à mes yeux d’un projet qui ressemble aux Mahorais et qui rassemblerait sûrement les Mahorais.

FI : D’aucuns observent que la France n’a jamais confié sa gouvernance à des extrêmes, quels soient de gauche ou droite. Ne serait-ce pas inconsidéré de vouloir arrimer le développement de Mayotte à long terme sur une logique comme celle de la Nupes ?    

O.S. : Je ne vois pas en quoi la Nupes peut être qualifiée de force d’extrême gauche, pas plus d’ailleurs que la France insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon. Je rappelle que la Nupes rassemble notamment le parti socialiste, Europe Écologie-Les verts, le parti communiste français. Si je devais vous suivre, cela équivaudrait à penser que toute force n’appartenant pas à la mouvance présidentielle est à qualifier d’extrémiste, c’est un point de vue que je ne partage absolument pas. Cette force comporte dew personnes suffisamment intelligentes pour prétendre à gouverner la France.

FI : Comment voyez-vous l’avenir économique de Mayotte ? Comment faire pour inverser la tendance négative de ces vingt dernières années ?   

O.S. : Les besoins de Mayotte en matière de développement économique sont effectivement énormes car il n’y a pas de réels investissements consentis depuis plusieurs décennies. Il faut investir énormément sur de grands chantiers publics pour relancer l’activité économique et non pas se contenter de quelques rares constructions scolaires ou rénovations ici et là, ce qui n’est pas grand-chose. Ce qu’il nous faut sur ce territoire, ce sont de grands et ambitieux chantiers comme La Réunion sait en avoir, de sorte que quand l’un se termine, l’autre démarre. C’est de cette façon que nous arriverons à impulser un vrai développement économique. La construction de la piste longue de l’aéroport est évoquée depuis de nombreuses années, ce serait assurément un grand chantier, mais démarrera-t-il vraiment un jour ? Je n’en sais rien… Il n’y a pas de nouvelles routes à proprement parler : quand est-ce que nous effectuerons le contournement de Mamoudzou ? Ailleurs, nous en comptons déjà plusieurs ! Comment voulez-vous lancer un développement économique sérieux dans un pays où il vous faut passer cinq heures pour parcourir 15 kilomètres ? Soyons sérieux ! Il y a beaucoup de choses à accomplir, et elles peuvent-être réalisées à court terme. Mais comment faire pour éviter à un entrepreneur de ne pas perdre tout son temps sur la route ? Force est de constater aujourd’hui que nous ne sommes pas dans une logique de grands travaux, mais encore dans des minuscules investissements publics pour ne pas dire des miettes. Ce n’est pas comme ça que nous allons pouvoir développer l’ile.

FI : Qu’est-ce qui bloque cette doctrine de grands travaux à Mayotte selon vous ?

O.S. : Je ne pense pas que le problème provienne du manque d’ingénierie comme nous nous plaisons souvent à l’avancer localement. L’ingénierie, ce n’est rien d’autre que de la compétence, lorsque tu ne l’as pas, il te suffit de l’acheter ailleurs. À présent que nous sommes dans un vaste marché européen, rien ne nous interdit de l’importer, y compris en dehors de la métropole, puisque nous arrivons à le faire avec les médecins. Je reste convaincu que la réalité est une absence de volonté politique au niveau de ceux qui gouvernent la France pour développer Mayotte. Il faut arrêter de répéter à tue-tête qu’il faut des Mahorais pour développer l’île. Il faut des investissements lourds, privés et publics, pour impulser un vrai développement économique.

FI : Y a-t-il suffisamment de niches et de projets pour asseoir véritablement un développement cohérent de Mayotte dans le long terme ?

O.S. : Bien entendu ! Il y a matière pour entreprendre un vrai développement économique sur cette île. J’ai cité tout à l’heure l’aéroport et la piste longue, les routes de contournement de l’île, mais il y a aussi tout ce qui est lié à l’économie bleue à développer à partir de la mer, etc. Les projets ne manquent pas : il faut juste s’accorder sur le principe de les lancer et planifier leur réalisation dans un espace de 15 à 30 ans. C’est de cette façon que nous procédons ailleurs, alors pourquoi ne saurions-nous pas faire de même ?

FI : L’actualité nous ramène sur un problème récurrent : celui de la jeunesse en générale et de la délinquance juvénile en particulier. Qu’est-ce qui peut-être fait pour mieux encadrer cette jeunesse et corriger au plus vite cette dérive à la violence pour en faire une force positive au service du développement que vous évoquez ?

O.S. : Vous avez raison, la jeunesse de Mayotte comme de tout territoire devrait constituer une force et des opportunités de développement contrairement à ce qui se passe en ce moment chez nous où nos jeunes font peur, parce qu’ils ont été délaissés durant de nombreuses années, n’ont pas été éduqués ou pas assez… Ils se retrouvent dans les rues, et pour certains depuis très très jeune, ils n’ont rien connu d’autre que cette rue. Il est impératif d’investir conséquemment dans la formation pour les sortir de la rue, parce-que celle-ci n’éduque pas et ne forme pas, sans quoi il n’y aura pas de paix sociale dans l’île. Nous réclamons sans cesse davantage de forces de l’ordre pour faire face à cette délinquance, c’est une bonne chose car la violence atteint des niveaux inacceptables, mais ce ne sera jamais suffisant pour régler le problème. Les solutions viendront aussi de ces investissements massifs dans l’éducation et la formation. C’est ainsi qu’il sera possible à cette jeunesse de constituer une vraie force de développement structurée et non l’inverse.

FI : Pour finir, que préconise la gauche mahoraise en matière de relations et de coopération avec nos voisins immédiats, après le bruit consécutif à cette affaire de jumelage entre Mamoudzou et des communes comoriennes ?

O.S. : Ce qui est sûr et certain c’est qu’il est clair dans l’esprit de chaque Mahorais que notre territoire est une partie intégrante de la République française et de l’Union européenne. Aucun doute à ce sujet dans nos têtes ! Après, que ce choix ne soit pas accepté de l’autre côté de l’archipel, c’est une autre chose. Ils ont la liberté d’accepter ou de refuser. Aujourd’hui, c’est d’abord ici, chez nous, en France, que l’État doit être clair avec ses ressortissants du département de Mayotte et affirmer là où c’est nécessaire leur appartenance à la nation française. Je peux comprendre nos concitoyens qui estiment que la seule départementalisation ne suffit pas ! Notre pays doit plus souvent monter au créneau auprès des instances internationales, telles que l’Organisation des Nations Unies) pour le clamer haut et fort et défendre son territoire. J’ai l’intime sentiment que ce qu’elle fait est insuffisant. Je trouve ridicule qu’au niveau local nous en arrivions à nous chamailler sur ce sujet, parce que du côté de nos voisins un tel a dit ceci ou cela. Notre défense incombe à l’État français et c’est à lui de défendre sa souveraineté sur Mayotte auprès de l’ONU ou de toute autre entité. C’est l’une des plus grandes puissances de ce monde : sa voix porte et compte, et ce n’est pas rien. Ensuite si des relations politiques s’avèrent compliquées entre nous et nos voisins, ce n’est pas cela qui doit nous arrêter de dénicher d’autres formes de coopération. À chaque fois que nous aurons la certitude de tirer profit d’un aspect donné de coopération entre les deux parties, nous devons nous y engager et essayer de parvenir à quelque chose. Il y a plein de domaines, autres que la politique, dans lesquels le besoin de coopération est réel entre nous pour améliorer le quotidien des populations. Que je sache, l’Union des Comores n’est pas habitée que par des politiciens, il y a également des habitants qui ont des besoins énormes de part de d’autre de l’archipel pour que nous réussissions à mettre en place un vrai projet de co-développement au bénéfice de nos populations respectives.

Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.

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