Lundi matin, la préfecture a délogé sans violence les manifestants qui bloquaient depuis fin juillet le service des migrations et de l’intégration. Se sentant « humiliés », ils ont déclaré réfléchir à une riposte. Ousséni Balahachi a appelé « à la mobilisation de la population mahoraise, afin de lutter pour la sauvegarde de leur (sic) territoire ». Dans la soirée, le préfet a tenu une conférence de presse pour expliquer sa décision.
Un air de déjà-vu. Lundi matin, vers 8h, les manifestants chassés tôt dans la nuit du service des migrations devant lequel ils veillaient nuit et jour depuis fin juillet, formaient une chaîne face au cordon de gendarmerie sanctuarisant la zone. Parmi les « mamans », des leaders des différents collectifs et de l’intersyndicale, tels que Safina du Collectif des associations, Soufiane du Codim, le secrétaire départemental de la CFDT Ousséni Balahachi ou encore Faouzia Cordjee. Ils ont été délogés sans violence par deux pelotons de gendarmerie mobile, a confirmé Soufiane qui, présent sur les lieux, a demandé aux manifestantes de ne pas résister, échaudé notamment, a-t-il avoué, par le procès de Balahachi la semaine dernière.
« Les Mahorais pensent que la France a trahi Mayotte », hurle une femme aux gendarmes, d’apparence impassible. « On ne va pas se laisser faire, on va riposter d’une façon ou d’une autre », gronde Safina qui s’étonne que durant le long sit-in aucun médecin ne soit venu à la rencontre des « mamans » alors « qu’ils réclament la réouverture du service pour les Comoriens malades ». Soufiane, du Codim, regrette que les forces de l’ordre désertent « dès 17h » la place, laissant les manifestants seuls la nuit, « sans sécurité ».
Le spectre des décasages
Une autre femme, du Collectif des citoyens, est moins mesurée : « Ces gens-là, les étrangers, on va les faire sortir de chez nous (…) avec la force de nos bras », tempête-t-elle, évoquant explicitement les décasages. « Encore hier, mon frère a été agressé (…) La dernière fois, c’était en sortant de l’école et les policiers ont refusé de prendre notre plainte », témoigne-t-elle, liant directement cet évènement personnel de délinquance à l’immigration clandestine. Cette manifestante estime que l’action matinale de la préfecture est « une déclaration de guerre ». « Ils ont leurs armes, on a les nôtres. À la guerre, comme à la guerre ! », prévient-elle. Dans la matinée, Balahachi a appelé, par voie de sms, la population mahoraise à la mobilisation auprès des manifestantes délogées « afin de lutter pour la sauvegarde de leur (sic) territoire ». Toute la journée, les manifestants, peu nombreux, sont restés place Mariage, après en avoir bloqué les rues en disposant au travers de la route des poubelles de la Cadema.
Des voix dissonantes
Place Mariage ce lundi matin, des badauds assistent à la scène, dont une étudiante mahoraise, atterrée : « Je trouve que ce que font ces manifestants est injuste », déclare-t-elle, évoquant le cas de ses camarades étrangers qui ne peuvent poursuivre leurs études en raison de la fermeture de ce service public. « On n’ose pas dire qu’on n’est pas d’accord mais c’est le cas ». La jeune femme évoque encore les pertes d’emplois liés à ce blocage, l’économie qui en pâtit, et conclut : « Ils disent que ce sont les Comoriens qui coulent l’île mais ce sont eux, les Mahorais, qui détruisent tout ». Une autre femme, d’une quarantaine d’années, avance un autre argument, également économique, du manque à gagner de la non-régularisation des étrangers : « Ils savent combien ça rapporte, l’argent des titres de séjour ? Moi, j’aimerais bien avoir la caisse pour moi ! », s’amuse-t-elle.
« Situations humaines inextricables »
Fin septembre, le défenseur des droits, Jacques Toubon, avait qualifié la situation « d’alarmante » et demandé instamment « au ministre de l’Intérieur ainsi qu’au préfet de Mayotte de l’informer des mesures envisagées pour mettre un terme » à ces « atteintes aux droits » générées par la fermeture aussi longue d’un service public sur le territoire français. Cette demande « urgente » est intervenue un mois après que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, en visite sur le 101ème département français, a également formulé des inquiétudes similaires.
Ce désaccord ministériel, puis l’intervention du Défenseur des droits, ont-ils motivé l’action de la préfecture ? « La situation n’était plus tenable », avec des « situations humaines inextricables ». C’est pourquoi « j’ai décidé de mettre un terme au blocage », a déclaré le préfet Dominique Sorain lors d’une conférence de presse qu’il a tenue lundi soir, évoquant encore « des raisons juridiques, de principe et humaines ». Le préfet a rappelé qu’il comprenait « le mouvement d’inquiétude des Mahorais par rapport à l’immigration clandestine, (…) un des facteurs de déstabilisation parmi les plus importants du territoire de Mayotte ». Mais, « contraire aux règles de fonctionnement de la République », ce blocage ne permettait pas, en outre, de refuser les dossiers de personnes n’ayant pas vocation à rester sur le territoire. Une « situation pas bonne à terme », selon le préfet.
Il a également longuement détaillé les moyens mis en œuvre dans la lutte contre l’immigration clandestine dont les effectifs renforcés de la gendarmerie et de la police et notamment de celle aux frontières (PAF) – les 40 personnels supplémentaires de la PAF, les 7 agents supplémentaires du groupe d’appui opérationnel (GAO) – mais également l’instauration du groupe d’enquête et de lutte contre l’immigration clandestine (GELIC), la pérennisation du troisième escadron de gendarmes mobiles, l’arrivée de deux nouveaux intercepteurs nautiques en novembre, etc.
1 500 contentieux
Pourquoi alors n’avoir pas agi avant ? « Parce que j’ai recherché le dialogue. Nous sortons d’un conflit très important à Mayotte. (…) J’ai recherché le dialogue jusqu’au bout », a martelé le représentant de l’État mais aucune « issue consentie » n’a été trouvée et même s’il faudra « continuer le dialogue ». Ainsi, « jeudi vraisemblablement », le service des migrations et de l’intégration rouvrira « partiellement » et traitera les cas prioritaires, notamment ceux concernant la santé, l’emploi ou le regroupement familial. Pour les étudiants étrangers, « on verra au cas par cas ». « On ne recevra pas au guichet » mais sur rendez-vous, a averti le préfet, et les nouvelles demandes ne seront, de fait, pas étudiées. « Des milliers de dossiers » sont déjà en souffrance et l’État fait face à 1 500 contentieux « qu’on va perdre », a admis Dominique Sorain, avouant que 50 avaient été déjà perdus, occasionnant des frais d’astreinte d’une soixantaine d’euros par jour par dossier.
En outre, le préfet a admis que des reconduites avaient bien lieu mais que « pour l’instant, il n’y a pas d’accord global » avec les Comores. Il a refusé de s’exprimer davantage sur le sujet afin de ne pas brouiller « le travail diplomatique en cours ».
Interrogé sur d’éventuelles représailles suite à l’action de lundi matin, le préfet a déclaré « [compter] beaucoup sur le dialogue et la raison » et a fermement rappelé que les décasages n’étaient « pas tolérables ».
Deux heures après la conférence de presse du préfet, le Collectif des citoyens et l’intersyndicale ont réagi par voie de communiqué : « Nous restons mobilisés : jamais nous nous laisserons intimider et jamais nous ne cesserons de rappeler à l’État ses obligations et ses devoirs à Mayotte. »
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