La question des fonds européens est sensible à Mayotte, la Commission européenne ayant décidé de suspendre les paiements depuis l’an dernier. Structure mise en place pour résoudre les problèmes, le GIP L’Europe à Mayotte se démène pour redresser la barre, mais ce sera sans doute sans son directeur dont le préfet de Mayotte ne veut plus*.
Le directeur du GIP L’Europe à Mayotte accuse le coup, mais ne souhaite pas s’exprimer. « Je veux juste qu’on arrête de salir mon nom », nous prévient-il. A la tête de cette structure composée à moitié d’agents du Département et pour l’autre des services préfectoraux, Ali Soula avait pour objectif d’éviter les manquements du territoire sur la gestion des fonds européens. Dévolue au secrétariat aux affaires régionales (Sgar), celle-ci s’est montrée insuffisante sur la programmation 2014-2020. L’enveloppe mahoraise a été très peu consommée et la Commission européenne a décidé de mettre fin aux paiements pour Mayotte en juillet 2022.
La création du GIP L’Europe à Mayotte et sa direction confiée à l’inspecteur des finances Ali Soula devait mettre fin à cela. Et les premiers résultats de la structure semblaient la conforter. « D’ici quelques mois, si tout va bien, les paiements pourront reprendre », notait avec optimisme Mario Gerhartl, DG Régio de la Commission européenne, il y a une douzaine de jours.
Sauf que voilà, la mission du directeur continuera sans doute sans lui. Le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, l’a appelé pour lui signifier qu’il mettait « fin à sa disposition »*, estimant auprès des autres membres du comité de suivi « qu’il n’a plus confiance en lui ». Selon nos informations, il lui est reproché l’embauche d’un neveu avec un bon salaire à la clé. Cependant, en interne, le problème s’avère plus profond. Le secrétariat aux affaires générales reproche au directeur « son ingérence », nous a-t-on dit. Toutefois, le conseil d’administration du GIP, qui devait avoir lieu ce lundi et entériner le départ du directeur, n’a pas pu se tenir. Composant la moitié du CA, les quatre conseillers départementaux ont, en effet, refusé de siéger en soutien au directeur. Une action qui pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau, le préfet ayant maintenant la main pour évincer Ali Soula sans leur aval.
Femmes leaders et syndicats au créneau
Cette décision unilatérale fait déjà des remous. Les femmes leaders ont manifesté, ce mardi matin, devant les locaux de la préfecture, à Mamoudzou. « Est-ce qu’ils ont des preuves ? Ali Soula, c’est quelqu’un qui connaît son travail. (…) S’ils disent qu’il a vraiment détourné des fonds, qu’ils aillent au tribunal », a vitupéré Saandati Abdou, la présidente du collectif des femmes leaders, auprès de nos confrères de Mayotte la 1ère.
Au GIP Mayotte, les salariés ont pris fait et cause pour leur patron. La CFDT et la CGT ont écrit un droit de réponse, ce dimanche, après la publication d’un article remettant en cause le travail de la structure. « Il s’agit d’erreurs initialement présentes dans les dossiers instruits par le pôle affaires européennes du Sgar avant 2021, année de création du GIP », font-ils valoir.
Ils défendent leur bilan en 2022 avec 136 porteurs de projets accompagnés, 127 millions d’euros programmés et 31 millions réellement versés. Pire, ils dénoncent des relations plus que tendues avec le Sgar. « Aujourd’hui, les tensions et la pression que nous subissons de l’Autorité de Gestion ne sont plus tenables. Face à des agents qui refusent de travailler à Tsingoni, l’Autorité de Gestion répond à la direction du GIP, qui a dénoncé cela : « si tu contrains « untel » à venir travailler à Tsingoni, je dissous le GIP ». N’est-ce pas là un soutien flagrant à l’insubordination ? et que dire du favoritisme ! Nous dénonçons fortement ceci ».
Ils regrettent « un choix totalement arbitraire » dans le traitement des dossiers et des interventions dans leur gestion administrative « sans l’aval des responsables ni de la direction ». Concernant des dossiers Interreg pour 5,5 millions d’euros « que Mayotte risque de perdre », le GIP explique qu’ils ont été produits à temps, mais que « l’Autorité de gestion a donné l’ordre aux Finances publiques de ne pas les traiter ». « Le problème n’est pas le directeur du GIP, mais plutôt l’autorité de gestion qui répète les mêmes erreurs reprochées dans le passé », font remarquer les syndicats.
En tout cas, l’ambiance générale n’incite pas à la confiance. Ali Soula se dit prêt à partir, arguant « qu’il ne peut plus travailler avec [son] autorité de gestion ».
*Contactée, la préfecture de Mayotte n’a pu nous répondre, ce mardi soir.