Dans un référé publié le 14 septembre, la juridiction passe au crible les dépenses de cabinet des deux derniers ministres de la rue Oudinot, Annick Girardin et Sébastien Lecornu. Certaines maladresses doivent être corrigées pour des questions d’économies mais aussi d’exemplarité.
À près de 4.500 euros l’heure à bord de l’avion du gouvernement, on comprend un peu mieux pourquoi Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin ont fait le trajet jusqu’à Mayotte par le vol commercial Air Austral, le 28 août dernier. Dans une publication du 14 septembre, la Cour des comptes, qui a décortiqué les dépenses de cabinet des ministres des Outre-mer, entre 2017 et 2020, constate “des risques particuliers en termes d’image, d’économie et d’exemplarité”. Au total, rien que pour le volet aérien, 1.7 million d’euros ont été dépensés pour les 61 voyages officiels des deux ministres successifs (Annick Girardin puis Sébastien Lecornu), auxquels s’ajoutent 120.000 euros pour quatre voyages spéciaux à bord de l’escadron de transport, d’entraînement et de calibration (ETEC) de l’armée de l’air. Or, deux de ces voyages auraient pu être effectués avec des compagnies aériennes classiques, note le rapport.
“Début de remise en ordre”
Bien sûr, “cette fréquence et ce niveau de dépenses sont une spécificité du ministère des Outre-mer, dont le champ couvre 12 territoires dispersés sur le globe”, concèdent les magistrats. Mais ces frais aériens ne sont pas les seuls sur lesquels le cabinet pourrait réduire la voilure. Primes de fin d’année qui ne disent pas leur nom, amendes pour des infractions de circulation commises par les chauffeurs du cabinet, ou encore la mauvaise comptabilité pour les frais de bouche de la “popote” – la cantine des conseillers -, sont passés au crible dans ce rapport de sept pages adressé à l’actuel locataire de la rue Oudinot. Et si la Cour observe “une meilleure prise en compte de ces risques” et “un début de remise en ordre” depuis le changement de ministre en juillet 2020, les efforts de maîtrise accrue doivent être poursuivis, “à l’exemple des pratiques observées par la présidence de la République”.
La carte bleue passe de main en main
Outre le niveau des dépenses, qui reste relativement “limité”, pour la plupart des postes observés, ce sont surtout leur nature qui sont susceptibles de porter préjudice au ministère. Exemple avec les délégations de signatures “peu encadrées” ayant conduit à la “confusion des responsabilités et la dilution des contrôles”. Sur la base d’un échantillon d’une centaine de dépenses, le Cour a ainsi relevé quelques irrégularités, dont des amendes des chauffeurs du cabinet. Même manque de suivi pour les frais de bouche, qui ont représentés 15.800 euros par mois en moyenne pour une équipe de 10 puis 15 conseillers entre 2017 et 2020 : “la possibilité de se restaurer sur place, en principe réservée aux seuls membres du cabinet (…) a été fortement élargie à d’autres personnels du ministère, malgré le coût de revient élevé par repas”, avertit la Cour.
L’administration centrale, ce parent pauvre
La juridiction financière mentionne aussi les effectifs du cabinet du ministre, au nombre de 56 agents, qui représentent “quasiment la moitié de l’effectif de la direction générale des Outre-mer”. L’administration centrale compte, elle, 137 agents. De quoi “affaiblir la capacité de cette direction” à l’heure où elle doit piloter plusieurs plans stratégiques, comme le Plan logement Outre-mer, le Plan de relance Outre-mer, le Livre bleu Outre-mer. Un déséquilibre déjà pointé du doigt par un référé en 2016, mais qui n’a pas donné de suite, déplore la Cour. À noter qu’Emmanuel Macron avait fait de la rigidité de la haute administration un cheval de bataille lors de sa campagne en 2017, le président souhaitant accroître la marge de manœuvre des cabinets face aux hauts fonctionnaires, souvent accusés de ralentir la mise en place des réformes.
Autre inégalité de traitement : les rémunérations. Passées de 2.99 millions d’euros à 3.76 millions d’euros en l’espace de quatre ans, celles-ci se révèlent assez disparates et dépendent « davantage des profils des personnes, de leur affectation précédente, de leur statut, que de l’importance des fonctions qu’ils exercent au sein du cabinet”, signalent aussi les sages. Par ailleurs, une indemnité de sujétion particulière (ISP) exceptionnelle est versée systématiquement aux fonctionnaires du bureau du cabinet. Une “prime de fin d’année” déguisée dont leurs collègues de la direction générale ne bénéficient pas. Par ailleurs, certaines déclarations d’intérêts et de patrimoine à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) manquent à l’appel… quand des doubles destinés directement au supérieur hiérarchique prennent tout bonnement la poussière, “non ouverts et sans avoir été consultés”, dans un coffre du cabinet. Oubli volontaire ou simple maladresse ? Reste que le risque de conflit d’intérêts existe bel et bien. Pour conclure ce référé, la Cour des comptes formule donc cinq recommandations, de la meilleure répartition des crédits à la détermination objective des rémunérations en passant par un référentiel commun rassemblant les normes relatives aux dépenses du cabinet. Espérons que ces bons conseils ne finissent pas leur course au fond du tiroir…