La fin du chemin de croix de Thierry Suquet

Annoncé au conseil des ministres, ce mercredi 14 février, le départ de Thierry Suquet marque la fin d’une histoire mouvementée avec Mayotte. Entre mouvements sociaux, crise de l’eau et insécurité, le Nordiste a vécu deux ans et demi à gérer l’urgence depuis son arrivée, le 12 juillet 2021. Retour sur six séquences marquantes pour celui qui devient préfet du Vaucluse, le 4 mars.

L’incendie de la mairie de Koungou

Dans la nuit du lundi 27 au mardi 28 septembre 2021, l’hôtel de ville de Koungou avait été incendié volontairement en marge du décasage de Carobolé. « On voit bien qu’on dérange. Car avec ces opérations de décasage, nous luttons aussi contre la délinquance et l’immigration clandestine. La riposte se fait donc par ces guerres de territoires, de la part des délinquants », avait réagi le préfet, qui entendait poursuivre le calendrier des destructions. « La seule chose que cette situation renforce, c’est ma détermination. » L’ancien préfet délégué pour la défense et la sécurité en région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé plusieurs opérations de décasages chaque année et n’hésitait pas à exhorter les maires mahorais à monter des dossiers pour les réaliser. Au début de l’opération Wuambushu, en avril 2023, il faisait état de « 2.000 habitats insalubres démolis dans l’île » en deux ans.

Le blocage du village de M’tsapéré

Le département est bloqué depuis trois semaines et demie maintenant par les habitants excédés par l’insécurité. Mais il y a deux ans, un mouvement similaire avait vu le jour et s’était concentré sur le village de M’tsapéré, en raison d’une série de faits divers qui ont marqué les habitants. L’un d’eux avait été tué d’un coup de machette à la tête alors qu’il revenait d’un terrain qui lui appartenait. Il avait trouvé la mort devant nos locaux, à Cavani. Omar, un agriculteur de M’tsapéré, avait alors commencé à monter des barrages au milieu du village. Les riverains l’avaient rejoint et bloqué les axes pendant une semaine, jouant parfois au jeu du chat et la souris pour s’installer sur la rocade. « Toutes les personnes liées aux cinq meurtres de ce début d’année sont en prison. Concernant les délinquants, on doit régler ce problème tous ensemble. Il faut mobiliser les renseignements, nous dire qui et déposer plainte. Les parents doivent aussi être mis devant leurs responsabilités », avait martelé le préfet, dans une scène étrange près de la rocade aux côtés des forces de l’ordre, alors que les habitants qui souhaitaient le rencontrer étaient réunis 500 mètres plus loin, dans le centre du village.

L’opération Wuambushu

Rare moment où le préfet a reçu le soutien des collectifs, l’opération Wuambushu a marqué l’année 2023 à Mayotte. Las, le premier jour a dû être incroyablement long pour le préfet. Sa conférence de presse, à Tsoundzou 1, a vu l’irruption et la colère de madame Magoma, une habitante de Kwalé dont la maison a été ravagée, le week-end précédent. « Vous n’avez pas été capable de nous protéger ! » avait-elle lancé, furieuse. Le préfet avait laissé le commandant de la gendarmerie de Mayotte, Olivier Capelle, et la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize, tenter de calmer la riveraine. Au même moment, les avocats venus pour défendre les habitants de Talus 2 à Majicavo-Koropa avaient obtenu un délai supplémentaire auprès du tribunal judiciaire, tandis qu’Anjouan bloquait les navires transportant leurs ressortissants expulsés. Ensuite, le déploiement d’un important contingent de forces de l’ordre avait permis de rétablir rapidement la circulation, mais sans jamais avoir un impact significatif sur l’insécurité de l’île. Ce dimanche, le ministre de l’Intérieur et des Outremers, Gérald Darmanin, défend toujours l’opération (il veut lancer un deuxième acte), les résultats étant pourtant en deçà des attentes. L’arrestation (dont une partie avant ladite opération) de 60 individus présentés comme « chefs de bande » n’a pas réduit le nombre de faits de délinquance, les 700 décasages sont loin des « 1.250 » évoqués en juin dernier pour l’année 2023 et les expulsions se sont avérées un peu moins nombreuses que les années précédentes, avec 25.000 étrangers en situation irrégulière reconduits à la frontière en 2023.

Le projet contesté de l’îlot Mtsamboro

Le 18 mai 2022, une réunion publique avait dû se terminer dans la précipitation et la cacophonie, à M’tsamboro. Celle-ci portait sur l’aménagement de l’îlot de M’tsamboro. Les agriculteurs de l’endroit étaient en colère craignant de voir disparaître leurs champs. « Il n’en est pas question. La vocation première de l’îlot ne changera pas », leur a rétorqué le préfet Thierry Suquet, au cours d’une nouvelle réunion, le mercredi 22 juin 2022. Le projet, qui comportera un ponton pour les forces de l’ordre, des farés, des sentiers de randonnée, suscitait alors l’inquiétude. Le préfet a tenté de calmer de trouver les choses tout en prônant un retour à la culture d’agrumes, plutôt que des bananiers.

La crise de l’eau

C’est un crash qui était prévisible. Pourtant déjà marqué par des sécheresses précédentes et à cause d’un manque d’investissements dans de nouvelles infrastructures, le territoire connaît une crise de l’eau depuis plus d’un an maintenant. Faute de pluies suffisantes au début de l’année 2023, les retenues collinaires et les rivières ont connu des niveaux inquiétants, entrainant des restrictions et des tours d’eau particulièrement drastiques. « On a besoin de la mobilisation de tous », répétait le préfet obligé d’instaurer de nombreuses restrictions d’usage. En juillet, Gilles Cantal a été nommé préfet en charge de l’eau auprès du préfet de Mayotte, pour l’aider et surtout préparer le pire. Car le couperet est tombé, le 4 septembre, avec les 48 heures de coupures portées rapidement à 54. Avant de partir, Thierry Suquet travaillait en collaboration avec Christophe Lotigié, un autre préfet de l’eau. Ce dernier va conclure sa mission dans deux semaines, il sera remplacé par un expert de haut-niveau chargé de suivre la question de l’eau sur le long terme.

Le blocage de l’île par les collectifs

Dernier évènement en date, le camp de migrants de Cavani a marqué une fin compliquée de son histoire dans l’archipel mahorais. Alors que le problème des migrants d’Afrique continentale se cantonnait au quartier Massimoni, à Cavani, il s’est déplacé il y a quelques mois et a grossi à vue d’œil sur le stade de Cavani, provoquant l’exaspération des riverains. Sommé par le ministre de l’Intérieur et des Outremers de démanteler ce camp, Thierry Suquet pensait acheter la paix sociale en procédant à l’opération qui devait durer « deux mois » initialement. Sauf que les collectifs, qui demandent un démantèlement « immédiat », ont décidé de ne pas se limiter à cela, mais en ont profité pour porter d’autres revendications. Confronté, le préfet de Mayotte a alors décidé de changer de ton en demandant la levée des barrages, puis en faisant appel aux gendarmes et policiers pour le faire. Depuis, le mouvement s’est durci et Thierry Suquet se faisait discret, conscient que les collectifs voulaient un nouvel interlocuteur.

François-Xavier Bieuville arrive à Mayotte

Avant sa nomination à Mayotte et son arrivée le 24 février, François-Xavier Bieuville a acquis une solide expérience en Outremer. Il a précédemment occupé la fonction de secrétaire général adjoint du haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie de 2005 à 2007. Il a également été un bref moment conseiller technique au cabinet d’Yves Jégo, le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer de 2008 à 2009. Il a été ensuite directeur général de l’Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité (Ladom), puis de la Fondation du Patrimoine. Intégré au corps préfectoral, il est sous-préfet dans le département du Nord depuis 2021, à Douai, puis à Dunkerque.

Son arrivée à la tête de la préfecture de Mayotte promet d’être chargée entre la crise de l’eau (il sera assisté sur cette mission d’un expert de haut-niveau qui remplacera le préfet actuel Christophe Lotigié) et surtout le mouvement social qui paralyse l’île depuis trois semaines et demie.

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