Mouhamed « Mozer » Abdou veut la même sécurité sociale qu’en métropole

Ancien infirmier des hôpitaux publics de Mayotte, avant d’intégrer l’éducation nationale pour y exercer la même profession, Mouhamed « Mozer » Abdou est lui aussi de la partie pour les élections législatives de cette année.  Il n’est pas un inconnu pour les électeurs de la deuxième circonscription de Mayotte puisqu’il était déjà candidat il y a cinq ans.

Flash Infos : Puisque vous travailler dans le monde médical, nous allons démarrer cet entretien sous l’angle de la santé, quelle est votre appréciation sur l’offre de soins à Mayotte ?

Mouhamed Abdou : La vision que j’ai de l’offre de soins aujourd’hui à Mayotte est peu reluisante. Il y a quelques années, nous avions ici des dispensaires disséminés dans différents endroits et communes de l’île. Ils ont été fermés pour être remplacés par des centres de référence, à Mramadoudou, Kahani et un autre dans le nord. Cette fermeture de s’est accompagnée d’une réduction de personnel, notamment le nombre de médecins alors que notre territoire est classé désert médical et que notre population augmente de manière exponentielle. Ce choix fait par les autorités compétentes était une erreur, mais on a volontairement décidé de brader la santé des Mahorais pour des questions économiques. Je suis également très critique sur les soins psychiatriques, les quelques centres médicaux psychologiques existants dans certains secteurs ne disposent d’aucun médecin, ce sont des infirmiers qui prennent en charge les malades. Preuve que la situation est catastrophique, les Mahorais sont obligés de partir se faire soigner en métropole et à La Réunion, il y a donc urgence à mettre la question de l’offre de soins sur la table afin de trouver des solutions rapides et efficaces. Prenez par exemple le centre de référence de Kahani où l’on apprend que certains agents et syndicats sont montés au créneau après avoir appris de leur direction la fermeture prochaine de cet établissement, et le transfert du personnel vers le site Martial Henry en Petite-Terre. Tout cela démontre si besoin est, l’état réel de l’hôpital à Mayotte où l’on pratique une médecine de guerre alors que ce n’est pas ce qu’attend notre population.

F.I. : L’actualité dramatique ces derniers jours à Koungou nous amène sur le problème de l’immigration clandestine dans notre île, quelle est votre opinion sur cette question ? Et quelles sont  vos éventuelles propositions pour sortir de l’impasse où nous nous trouvons actuellement ?

M.A. : Pour moi, le problème de l’immigration à Mayotte est à traiter de façon globale, il faut voir les choses à la base et s’interroger sur les causes véritables de ce phénomène. Certaines personnes avancent même l’idée que l’on a atteint des sommets inégalés depuis que nous sommes devenus un département d’Outre-mer. La plupart du temps, cette immigration est à la base de nature sociale, et on ne saurait l’évoquer sans parler de la diplomatie française et comorienne. Seulement vous constaterez qu’à chaque fois qu’il y a des soucis à Mayotte au sujet de l’immigration clandestine, la diplomatie comorienne répond aux abonnés absents. J’estime donc que tant que ces deux entités ne discuteront pas de façon franche et sérieuse sur cet épineux problème, on aura beau gesticuler et mettre en place des dizaines de « plans Chikandra », il n’en sortira aucune solution. Dans notre programme, mon colistier Inoussa Ahamadi et moi-même proposons qu’il y ait un peu plus de fermeté sur ce sujet du côté français à l’égard des autorités comoriennes. En effet, nous estimons à juste titre que la France dispose de quantité de leviers, entre autres monétaire, pour contraindre Moroni à assumer ses responsabilités pour éviter tous ces drames que l’on ne compte plus dans le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte. Une coopération existe bien entre nos deux pays, y compris sur le plan sanitaire. Il faut savoir que pendant que des milliers de femmes risquent leurs vies tous les jours pour venir accoucher sur le sol mahorais, des hôpitaux sont construits aux Comores. Mais ces établissements demeurent vides faute de personnel compétent, alors pourquoi ne pas aller plus loin sur cette coopération sanitaire en y mettant un peu plus de moyens afin de fixer ces populations dans leur pays. Nous pouvons envoyer du personnel sur place en renfort de nos homologues comoriens, pris en charge par l’Etat français. Il existe bien des écoles françaises aux Comores, à Madagascar et ailleurs, pourquoi il n’existerait pas un hôpital français dans l’archipel qui formerait du personnel médical comorien dans le but de prendre en charge, à terme, leur système de santé.

Il y a aussi cette question de titres de séjours délivrés par la préfecture de Mayotte qui ne sont valables que sur notre territoire, cela n’est absolument pas normal ! Il faut que les futurs parlementaires que nous aspirons à devenir très prochainement se mobilisent pour que cette procédure soit changée pour que ces documents produits localement aient une portée nationale et européenne sur l’ensemble de « l’espace Schengen » afin de permettre aux immigrés qui veulent partir vers l’extérieur de pouvoir le faire librement. Nous demandons également que Paris autorise l’ouverture rapide de consulats comorien et malgache ici-même en vue d’une prise en charge administrative et autre de leurs ressortissants respectifs, comme cela se fait pour les ressortissants français qui séjournent dans ces deux pays. Cela aura également le mérite de signifier clairement la souveraineté française dans notre département.

F.I. : Le pouvoir d’achat des Mahorais, comme de tous les Français d’ailleurs, se trouve au centre de cette campagne des législatives 2022, quelle est votre recette pour alléger le coût de la vie sur notre territoire ?

M.A. : Savez-vous qu’au regard des standards français et européens, ce sont 80 % des habitants de cette île qui vivent sous le seuil de pauvreté. Mayotte est le seul territoire de la République où le taux d’accompagnement social est le plus faible. A mes yeux, la première chose à faire pour un parlementaire mahorais, c’est de se battre pour que les lois applicables en France dans le domaine social le soit aussi à Mayotte, notamment tous les textes de droit commun régissant la sécurité sociale. De cette façon, il sera possible d’accompagner toutes les catégories de la société, personnes actives comme les chômeurs, les retraités ou les personnes isolées et en précarité, dans des conditions dignes d’un pays européen comme la France. Il faut déplafonner les cotisations sociales pour permettre aux personnes ayant travaillé plus de 40 ans de percevoir une autre retraite de 150 euros par mois. Le président de la République a annoncé une retraite supérieure à 1.000 euros pour les Français, cela doit être valable également valable à Mayotte. Il n’y aucune raison justifiant l’existence d’une sécurité sociale différente de celle des autres départements français sur ce territoire.  Deuxième chose, nous sommes le seul département où les monopoles constituent la norme dans plusieurs secteurs, cela est valable pour le carburant mais pour d’autres choses encore. Il faut que cela cesse si nous voulons réellement permettre à la population de mieux vivre sur ce territoire et de s’y retrouver à la fin du mois. Il faut davantage de concurrence dans le domaine de l’alimentaire, on s’aperçoit notamment qu’il n’y a aucun contrôle exercé sur le dispositif du « bouclier qualité prix ». Compte tenu de la crise actuelle, les élus doivent se mobiliser pour obtenir du gouvernement le blocage des prix sur certaines denrées car il n’et pas normal que les Mahorais, en plus d’être les Français les moins dotés, aient à payer plus cher que les autres ces produits de première nécessité. Pour aller plus loin, nous préconisons dans notre programme que l’on puisse accentuer la coopération entre Mayotte et Madagascar pour lever les diverses barrières qui empêchent l’importation de produits alimentaires de consommation courante.

F.I. : Dans votre programme, vous présentez l’économie comme la source principale de l’immigration et des principaux problèmes du territoire, mais également comme la meilleure solution pour les régler. Pourriez-vous être plus explicite sur ce point ?

M.A. : Au risque de me répéter, les dispositifs qui permettront à Mayotte de trouver sa voie et résoudre les défis qui se posent à elle aujourd’hui existent à l’échelle nationale et dans les textes de loi. Il faut simplement se battre pour les faire étendre à notre territoire. Parmi les pistes les plus sérieuses, il y a le dispositif de la zone franche globale qui permettra à beaucoup d’entreprises de venir s’y installer, y créer des emplois et de la richesse à moindre coût. En payant moins de charges, celles-ci auront la possibilité de se développer rapidement et d’embaucher dans plusieurs secteurs tel que le tourisme, le bâtiment et bien d’autres. C’est une piste sérieuse car le potentiel est énorme.

Nous sommes très nombreux à voyager et à constater qu’un pays se développe lorsque ses citoyens circulent. Ce n’est pas le cas à Mayotte, on est coincé, on n’est pas productif, on ne dort pas, etc… Un constat que j’ai fait, les textes applicables à Mayotte en matière de voirie, de 1841 à 2017 étaient ceux de Madagascar française, face à cela on est en droit de se demander si nos parlementaires ne se trompent pas réellement de combat en nous vendant ici des rêves inaccessibles. Tout projet routier peut être mis en place dans le département, seulement ils sont soumis à des règles contraignantes, donc la priorité pour nous en tant que parlementaires sera de faire amender les procédures pour réduire les délais des travaux et éviter de devoir attendre quinze à vingt ans avant qu’un projet ne voit le jour. C’est extrêmement important pour la mise en place de la zone franche globale que nous appelons tous de nos vœux, c’est aussi le cas de cette piste longue dont on nous parle depuis tant d’années. C’est aux parlementaires qu’il revient de mettre une pression maximale sur les administrations compétentes pour qu’il aboutisse. Seulement voilà, une fois élus, nous avons coutume de tourner le dos à nos populations alors qu’elles constituent un levier important lorsqu’il s’agit de faire pression sur les instances gouvernementales. On assiste depuis de nombreuses années à une politique de division menée depuis Paris visant à opposer les Mahorais à leurs élus, ce qui aboutit à freiner nombre d’initiatives. C’est pour cela que nous entendons y remédier en associant régulièrement, et au maximum, nos concitoyens à nos travaux.

F.I. : Quelles sont vos projets les plus significatifs en matière d’environnement ?

M.A. : En matière de défense de l’environnement, nous préconisons un grand développement du solaire. C’est une énergie propre que nous avons la chance de pouvoir exploiter à très grande échelle tout au long de l’année quasiment sans interruption. Il s’agit là d’un projet à connotation économique, sociale et environnemental à la fois, avec un impact certain et palpable sur la réduction du coût de la vie.  En effet, notre objectif premier vise à faire équiper toutes les toitures de Mayotte de panneaux photovoltaïques afin de permettre aux ménages mahorais de mettre quelques centaines d’euros de côté chaque mois, réduire le montant de leurs factures d’électricité et, par la même occasion, réduire le niveau de notre empreinte carbone. Dans cette optique, nous demanderons à ce qu’Electricité de Mayotte (EDM) intègre le réseau national d’Electricité de France (EDF) comme partout ailleurs Outre-mer, afin de permettre à la population de bénéficier des mêmes avantages qu’en métropole. Vous ne le savez peut-être pas, mais il y a maintenant une loi qui interdit les coupures d’électricité en métropole, comme cela se fait pour l’eau dans l’île depuis peu. Le statut spécifique d’EDM ne permet pas aux Mahorais de bénéficier des avantages découlant de cette loi. Aussi, nous allons nous battre pour que l’égalité avec les autres départements soit réelle sur ce sujet.

F.I. : Vous affichez une grande préoccupation en matière de production d’eau et d’électricité propre, qu’est-ce qui motive un tel engouement de votre part ?

M.A. : Lorsque j’entends parler de coupures et de manque d’eau à Mayotte, cela me frustre et me met en colère. C’est un territoire situé en plein milieu de l’océan, avec un risque de subir un « tsunami » un jour, alors comment peut-on, sans gêne, expliquer aux Mahorais qu’ils manquent d’eau ? La vérité, c’est que nous faisons face à un problème de production d’eau et non de disponibilité de la ressource. Si vous lisez notre programme, vous verrez que nous faisons mention d’une consommation moyenne journalière de 300 litres par ménage. Le jour où la SMAE (Société mahoraise d’assainissement et d’eau) nous coupe l’eau, elle doit se voir infliger le remboursement à chaque foyer l’équivalent financière de 300 litres d’eau par jour et par ménage. Cela doit être une mesure imposée par le Syndicat des eaux dans le cahier des charges du gestionnaire du réseau d’eau potable à Mayotte. Vous verrez comment elle va réagir immédiatement, je peux vous garantir qu’elle se mettra rapidement en situation de garantir à la population la production d’une quantité suffisante de cette ressource. Nous disposons d’une structure de désalinisation d’eau en Petite-Terre dont l’exploitation a été confiée au groupe Vinci. Mais, là aussi, l’exploitant n’étant pas soumis à un résultat précis, il fait ce qu’il veut et c’est à la population d’en subir les conséquences. Personne n’est derrière ces structures pour vérifier qu’elles remplissent réellement leurs engagements contractuels en termes de production. Il importe donc que les élus soient régulièrement sur le terrain pour s’assurer que les choses fonctionnement normalement. Nos écoles sont souvent fermées et nos enfants renvoyés à la maison parce qu’il n’y a pas d’eau pour les sanitaires ou d’électricité pour l’éclairage des classes. Il faut y mettre un terme et mener une politique publique en la matière. Les bâtiments doivent être équipés de panneaux photovoltaïques et de réservoirs d’eau de très grande capacité pour au moins une semaine de consommation. Cela nous permettra d’assurer une scolarité continue de nos enfants.

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