Ancien vice-président du Conseil départemental de Mayotte dans la mandature 2015-2021, originaire de Gnambadao (commune de Bandrélé), Issa Issa Abdou est aussi de la partie pour les législatives de cette année. Il fait partie de la dizaine de candidats qui briguent le fauteuil du député de la 2ème circonscription. Economiste de formation, l’ancien DGS de la commune de Sada durant 15 ans se lance dans cette campagne avec un programme basé sur 10 engagements en faveurs des Mahoraises et Mahorais. Immigration clandestine, zones franches d’activité, préfecture de région, minimas sociaux, centre hospitalier universitaire (CHU), autant de sujets qu’il aborde dans l’entretien ci-après, avec en prime une notion juridique nouvelle, le concept de « la défense excusable »…
Flash Infos : L’immigration clandestine est au cœur des préoccupations majeures de notre territoire que chaque candidat à ces élections relaie à sa manière, quelle est votre approche de cette problématique ?
Issa Issa Abdou : Personnellement, je distingue l’immigration tout court de l’immigration clandestine ! De la première, on en a besoin comme tout autre pays en développement, la seconde, est porteuse d’insécurité et les conséquences sont dramatiques. Je suis de ceux qui font le lien entre les deux, les chiffres sont là pour le démontrer, connus de tous, et c’est même un préfet, délégué du gouvernement à Mayotte, Monsieur Jean-François Colombet qui les a rendus public et reconnu cette vérité. Il nous faut donc soigner ce mal par sa racine, la question de nos frontières et de la diplomatie avec les Comores est importante mais l’insécurité dans cette île ne se résume pas qu’à l’immigration clandestine. Il faudra tout de même apporter des réponses puisque le lien est évident. Aux grands maux les grands remèdes, il faut prendre le problème dans sa globalité, à savoir, un volet maritime avec la création d’une brigade « ad hoc », quelque chose de nouveau avec une direction dédiée sous la coordination d’un sous-préfet chargé de la surveillance de nos côtes.
En termes de moyens terrestres, il faut aider les communes à se doter de moyens de vidéosurveillance et à mieux former leurs services de police lesquels sont à mon sens le premier maillon de la chaine de lutte contre l’immigration clandestine, à s’éclairer davantage pour amoindrir la délinquance nocturne. Ne pas impliquer les communes dans ce dossier est une faute même si habituellement nous nous accordons sur le fait que la surveillance de nos frontières et de nos côtes relève avant tout du régalien. L’Etat c’est nous tous, donc il va falloir imaginer des conventions avec l’ensemble de communes mahoraises pour obtenir une police de proximité qui assure, notamment, la surveillance de nos plages, etc… Il y a aussi un nécessaire renforcement des forces de police et de gendarmerie existantes, mission relevant des compétences du préfet, mais que le député que je serai aura à défendre au niveau de l’Assemblée nationale. Elles méritent vraiment d’être soutenues pour obtenir tous les moyens dont elles ont besoin pour faire face à la délinquance sur ce territoire.
Pour être complet sur ce volet terrestre, il faudra également en finir avec les titres de séjour territorialisés « Made in Mayotte » car libérer ce territoire c’est aussi permettre à ces personnes qui sont en conformité avec les règles d’aller ailleurs s’ils le souhaitent. La solidarité nationale doit jouer lorsqu’un territoire est débordé même si « la circulaire Taubira » de 2013 n’est pas applicable ici.
FI : Pensez-vous réellement que de telles mesures suffisent à réprimer une délinquance chronique et à ramener la quiétude sur l’île sans renforcement des instruments juridiques ou sociaux existants ?
I.I.A : Effectivement, il y a aussi un aspect juridique à apporter dans les réponses contre la délinquance à Mayotte parce qu’un délinquant connu mais non puni, in fine, ça ne sert à rien. Sur plan du juridique, il y a une mesure qui me tient à cœur, et que j’appelle moi le « la défense excusable ». Ce serait une façon de permettre à la victime d’une agression violente de se défendre sans être poursuivi. Autrement dit le contraire de ce qui se passe aujourd’hui sur l’île où certaines personnes, en plus de se faire agresser, se retrouvent devant des tribunaux pour s’être défendues ou pour avoir défendu leurs biens. Bien sûr, la démarche doit être suffisamment canalisée pour éviter toute dérive, entre autres, parce que la notion de légitime défense ne s’applique pas aux biens.
F.I. : Restons sur cette question de la délinquance, n’avez-vous pas l’impression qu’en réalité, la source principale de cette violence juvénile est une démission des pouvoirs publics devant des enjeux importants, et que l’humain a été délaissé dans le développement de Mayotte au profit des infrastructures ? N’a-t-on pas perdu de vue le fait que le jeune d’aujourd’hui sera le responsable de demain ?
I.I.A : Vous avez raison. Tout comme il ne faut pas faire un amalgame si le lien est avéré entre des actes de violence et l’immigration clandestine. Il ne faudra pas indexer tous les immigrés clandestins car il y a aussi des enfants mahorais qui sont des sources à problèmes et c’est une réalité de le constater. L’idéal serait de créer des groupements d’intérêt public (GIP) de différentes collectivités locales pour favoriser la prise en charge de nos jeunes à travers des actions de formation et d’insertion, des mesures très précises qui leur permette d’envisager l’avenir autrement que dans cette délinquance et la rue. Il est vrai que la situation actuelle est en partie consécutive à une absence de politiques publiques d’insertion. Tout doit être tenté pour nous permettre d’avancer dans le bon sens sans avoir à répéter les erreurs qui nous ont conduit dans cette situation extrême, en fournissant des éléments d’espérance pour que cette jeunesse-là soit formée. Il en va de l’avenir de Mayotte. Il y a une alternative à la prison, ce sont des maisons d’accueil de jour comme cela se fait déjà pour les enfants à caractère social, et à condition qu’il y ait derrière cette démarche un projet éducatif débouchant sur un projet d’avenir pour le jeune pour se construire. Pendant qu’il sera pris en charge dans ce genre de structure, ce sera un coupeur de route en moins, et toute la société sera gagnante. Et contrairement à ce que j’ai pu entendre ici et là, on ne fait pas ça pour les étrangers mais pour Mayotte, car en mettant cette mesure en pratique c’est la maison d’un tel qui ne sera pas cambriolé et la voiture de tel autre qui ne sera pas caillassée. De la même manière, il faudra que les cadis soient mis à profit pour jouer leur rôle traditionnel de « juge de paix » puisque la loi de 2010 en a fait des médiateurs. Ils jouissent d’un grand respect et d’une grande autorité au sein de la population. Ils connaissent presque tout le monde et peuvent nous être d’un grand secours, notamment pour tout ce qui concerne les litiges liés au foncier. Ce sera aux parlementaires de trouver la forme juridique adéquate à leur donner et les rendre efficaces dans la lutte contre la délinquance en faisant des propositions législatives.
F.I. : Quelle politique économique mettre en place dans cette île pour impulser la relance que tout le monde appelle de ses vœux et retrouver le rythme de développement que nous avons connu précédemment ?
I.I.A : Selon moi, il convient déjà de constater que ce qui n’a pas marché dans ce domaine, c’est l’existence d’une économie à plusieurs vitesses, je pense notamment à la commande publique. Lorsqu’on a des projets de grande envergure tels que le CHU, l’université de plein exercice et son Crous, la préfecture de région, lorsqu’on règle le contournement de Mamoudzou par les hauts, ça libère de l’activité, des emplois, ça réduit le chômage et la pauvreté sur le territoire, ça fait vivre les foyers. L’économie dans mon esprit c’est cela ! Mais il faut de l’ambition et de la volonté pour porter ces projets, il faut également que les collectivités locales aient les moyens de payer à temps les entreprises qu’elles font travailler. Il est anormal que des artisans attendent 3 à 4 mois avant d’être payées alors qu’elles ont livré les travaux commandés. Il faut rendre attractive cette île en la transformant en zone franche et faire appel aux investisseurs pour venir créer de l’activité, inciter aussi les Mahoraises et les Mahorais à créer de l’emploi moyennant des facilités administratives et fiscales. Cela fait un moment que j’ai lancé cette idée, que d’autres reprennent d’ailleurs dans vos colonnes ces derniers temps, pourquoi pas ? Le plus important est que les choses prennent forme en un moment donné pour le bien de tous.
F.I : Vous avez parlé de grands projets ci-dessus, quels sont les projets propres au candidat Issa Issa Abdou ?
IA : Si je suis élu, d’abord il y a le contrat de convergence qu’il faut achever, notamment sur les articles 7 et 8, c’est la loi sur l’égalité réelle qui se termine en juillet 2022. En revanche, il faut faire en sorte que la loi de finances 2023 qui sera votée par la nouvelle Assemblée consacre un effort réel pour Mayotte. De la même manière qu’on avait dit 2,6 milliards d’euros, moi je proposerai qu’on fasse le double. Pourquoi ? Simplement parce que la loi de finances 2022 qui a cours actuellement a démontré une évidence, l’effort budgétaire de l’Etat à Mayotte c’est 3100 € contre 7200 € pour les autres DOM. Vous voyez donc qu’il a un delta à rattraper, ce qui ne peut se faire que par un doublement de cet effort pour qu’on arrive à un peu plus de 3 milliards d’euros au bas mot, qu’il faudra diriger dans le contrat de convergence. Pour bien comprendre, il s’agit ici d’une programmation de projets définis, avec des moyens conséquents pour les réaliser et un engagement clair de l’Etat de les réaliser dans une décennie. Une fois qu’il sera validé au niveau du Parlement, il faudra veiller à ce que les collectivités locales déterminent un plan pluriannuel d’investissements, au même titre que le Département (qui a déjà validé son plan de mandature) et qu’un certain nombre de projets communaux soient insérés dedans. En concomitance, je préparerai la loi de programmation dont je connais les grands axes, qui nous permettra de réaliser le Centre hospitalier universitaire (CHU) en relation avec l’université de pleine exerce et sa faculté de médecine qui nous permettra de former nos futures médecins ici même, du moins une partie de leur cursus, et ainsi contribuer à lutter contre le désert médical que connait Mayotte.
F.I. : Pourquoi la construction d’une préfecture de région est si importante pour vous alors que c’est une décision qui relève, théoriquement, d’une volonté de l’Etat ?
I.I.A : Simplement parce que c’est également dans cette programmation que nous pourrons bâtir une préfecture de Région étant donné que nous sommes à la fois Département et Région d’Outre-mer, et accueillir des préfets déjà expérimentés et non plus des novices juste sortis de l’ENA. Nous avons vu ce que cela a produit de positif avec l’affectation de Dominique Saurain … et d’ailleurs cela permettra de mettre un frein progressif à cette aberration institutionnelle consistant à centraliser certaines missions essentielles à La Réunion. Figurez-vous qu’aujourd’hui presque tout est fait là-bas, nos communes sont devenues juste des boites à lettres pour le traitement et la réalisation des cartes d’identité et des passeports qui se font dans le Département voisin. Cela prolonge bien entendu la durée d’attente et de délivrance de ces documents qui prend parfois des mois. Mais ce n’est pas tout, depuis peu, les salaires des fonctionnaires de l’Etat (agents de la police et la préfecture) sont de plus en plus traités à La Réunion, ça ne peut plus continuer, parce qu’il arrive que les acquis de certains salariés ne soient pas pris en compte, avec des blocages qui peuvent durer plusieurs mois. Mayotte est un plein département et non un sous-département qui dépend de La Réunion. Et comme personne ne dit rien ça monte crescendo et moi je veux lutter contre cela parce que ce n’est pas normal. J’allais oublier de préciser que c’est aussi dans cette optique que le centre hospitalier de Mayotte (CHM) a quitté le groupement hospitalier du territoire (GHT), parce que dans l’esprit du ministère de la santé et de l’Etat à Paris, la Région océan Indien en terme de santé était une seule et même région. Et qui disait ARS OI pour le ministère, c’était plus de 63 millions d’euros pour La Réunion et des miettes pur Mayotte, soit 6 à 7 millions au grand maximum. Il nous fallait donc sortir de là et j’en suis très fier car depuis que nous l’avons fait, le fléchage du budget de l’ARS Mayotte se fait directement au ministère. Mayotte c’est Mayotte, La Réunion se trouve à des milliers de bornes d’ici, nous avons ici nos spécificités propres, notre identité, et ce n’est pas acceptable de faire croire que c’est une même région. Autre aberration du même genre, vous composez certains services d’urgence, vous allez tomber sur un répondeur téléphonique à La Réunion qui vous demande ce qu’on peut faire pour vous etc…. C’est ça un Département d’Outre-mer ? Non bien sûr, en tout cas pas dans mon esprit !
F.I. : Le social est un autre grand enjeu dans cette campagne des législatives 2022, que proposez-vous pour lutter contre la vie chère sur le territoire, en particulier pour les personnes âgées ?
I.I.A : Moi je souhaite faire en sorte que l’alignement des droits sociaux entre Mayotte et les autres départements soit une réalité. Cela fait aussi partie de mes projets prioritaires. Tout le monde en parle mais il n’y a aucune lisibilité pour le moment, le pacte pour la départementalisation parlait de 2036, la convention « Mayotte 2025 » prévoyait cela pour 2025. Entre temps, l’on s’aperçoit que ce n’est pas tenable, parce que nous y sommes presque. Moi je propose un calendrier précis de 10 ans, avec une lisibilité très claire, comme le préconise d’ailleurs la Cours des comptes dans son rapport de 2016. Il faut une trajectoire très claire pour la défense des intérêts de ce territoire et la convergence des droits sociaux. Cela permet de voir l’impact et les conséquences qui en découlent, notamment les cotisations sociales, de manière à pouvoir s’organiser, avec les retraites en urgence. Le Président de la République a parlé de 1100 € pour les retraites, chiche ! C’est un vrai sujet pour Mayotte. Les personnes âgées qui se sont battues pour que Mayotte demeure Française doivent y avoir droit, parce qu’elles méritent de vivre dans la dignité ne serait-ce qu’au nom de la solidarité nationale. Leur situation actuelle est indigne de la République.
Daniel Martial Henry se retire de la course
Parmi les concurrents d’Issa Issa Abdou dans la circonscription du sud, Daniel Martial Henry a décidé de ne pas se présenter finalement. Le président du Modem 976 avait demandé l’investiture de la majorité et était en concurrence avec Boinamani Madi Mari, le représentant d’Agir, une autre formation soutenant Emmanuel Macron. Le plus jeune étant retenu, il était plus compliqué pour Daniel Martial Henry de rentrer en campagne avec l’étiquette de dissident du camp présidentiel.
« Le MoDem étant une force de la majorité présidentielle, et afin de maximiser les chances de voir aboutir un candidat de la mouvance présidentielle, fidèle aux principes et valeurs du « Centre », j’ai décidé de retirer ma candidature aux législatives des 12 et 19 juin 2022 », annonce l’ex-candidat.