Entretien avec Ismaïl Djaza : mettre en place la Région Mayotte sur le plan institutionnel

À seulement 48 heures de la date limite de dépôt de candidatures aux élections législatives 2022, Ismaïla Djaza crée la surprise auprès de ses proches en se jetant lui aussi dans la bataille pour le fauteuil de député. Il apporte un coup de jeunesse dans cette cohorte de 10 prétendants à la défense des intérêts de notre département à Paris. Il prône la mise en place concrète d’une Région Mayotte, la concrétisation des innombrables projets annoncés dans le passé mais qui n’ont toujours pas encore vu le jour, ou encore la création d’un comité de sécurité sur la délinquance et l’immigration clandestine.

Mayotte Hebdo : Votre candidature en a surpris plus d’un compte tenu de votre jeune âge et du fait que vous ne vous êtes jamais intéressé à la politique auparavant. Comment expliquez-vous une telle décision ?

Ismaïla Djaza : Vous avez parfaitement raison, jusque là je n’avais pas d’antécédents politiques et beaucoup de mes proches n’avaient pas connaissance de ma décision. Ce qui m’a poussé vers cette candidature, c’est avant tout mon amour pour Mayotte et ses habitants, les nombreux défis qui attendent d’être relevés tels que l’économie, l’innovation, le social, notamment la mise en place de nouvelles prestations comme le Complément de Libre Choix de Mode de Garde (CMG) qui et une aide destinée aux individus souhaitant faire garder leurs enfants. C’est aussi la conviction que les grands projets structurants que sont le port et la piste longue, le nouvel hôpital, l’université de plein exercice sont des enjeux vitaux pour notre territoire qu’il convient de planifier et réaliser dans les meilleurs délais. C’est également, le besoin de voir se réaliser un jour prochain la tenue des jeux des îles de l’Océan Indien ici à Mayotte, sans contrainte aucune, juste dans un esprit fraternel, convivial et sportif, avec le drapeau français et la Marseillaise, notre hymne national, raisonnant au moment du passage et des victoires de la délégation mahoraise. À ce sujet, je constate que cette fois-ci nous avons du temps et cinq ans pour tout mettre en place, et que nous n’avons absolument aucun droit à l’erreur cette fois-ci.

M.H. : Quel projet politique portez-vous pour ces législatives de 2022 ? Quel en est son socle ?

I.D. : Mon projet politique se veut à la fois ambitieux et pragmatique, il repose sur 8 points essentiels : économie et pouvoir d’achat, innovation, institutions (avec un accompagnement de la mise en place d’une vraie Région ultramarine de Mayotte), insécurité et immigration clandestine, éducation et eau, etc…

M.H. : Pour être concrets Monsieur Djaza, c’est quoi exactement votre projet économique pour cette législature qui s’annonce ?

I.D. : En tant que député de Mayotte, mes efforts se porteront en priorité sur la construction de la piste longue. Désormais, il faudra parler de la nouvelle piste convergente. Voyez-vous, le temps, trop long, passé sur cette piste longue a fait apparaître au grand jour de problèmes nouveaux, les nuisances consécutives à l’usage de la première piste d’aviation. Il faut savoir que les familles vivant aux abords de l’aéroport de Pamandzi connaissent un cauchemar quotidien inhérent aux effets produits par les aéronefs à leur arrivée et décollage, qu’ils soient sonores, environnementaux ou sanitaires. Il y a également le port de Longoni, le 2ème levier du développement économique de l’île. J’entends par là qu’il va falloir revoir la DSP (Délégation de Service Public) en cours, non pas pour l’interrompre mais plutôt faire le point pour savoir avec exactitude ce qui en résulte en termes d’avantages et d’inconvénients. Il va également falloir assainir les relations au sein de cet outil car le nombre élevé de conflits sociaux dans l’année nuit considérablement à son efficacité, de même que la politique de fixation des prix pratiqués sur le port. Cet assainissement est très important car il conditionne le bon fonctionnement et la compétitivité de l’infrastructure.

Mon projet économique c’est également la relocalisation de la zone industrielle de Kawéni, justement vers le port de Longoni. Actuellement elle se trouve englobée dans une zone résidentielle dense qui ne fait pas suffisamment la part aux habitations et les riverains n’arrivent plus à profiter suffisamment de leur ville.

« Je ne partage pas du tout l’idée de transformer l’ensemble de notre île en une zone franche globale »

M.H. : La quasi-totalité de vos concurrents à ce scrutin s’accorde sur la nécessité de transformer Mayotte en une zone franche globale pour favoriser le plein emploi et l’investissement, partagez-vous cette vision ?

I.D. : Pas du tout. À l’inverse de certains de mes challengers, je ne partage pas du tout l’idée de transformer l’ensemble de notre île en une zone franche globale. Avant que nous puissions parvenir à ce stade, je m’inquiète pour ma part des conséquences connexes de cette transformation et leurs impactes sur notre société. En effet, qui dit zones franches d’activités parle forcément de d’exonération de charges patronales et sociales. Donc le risque de voir une telle mesure déviée de son objectif initial est très élevé, ce qui constituera un manque à gagner conséquent pour l’ensemble de la population avec, à la clé, des lendemains qui déchantent. Je plaide donc pour la création de zones franches d’activités dans des endroits choisis, par exemple en raison de leur taux élevé d’insécurité pour justement favoriser la création d’emplois et attirer suffisamment d’investissements pour permettre de financer le développement d’infrastructures et la revitalisation dans ces quartiers. C’est dans ces zones choisies qu’il faudra donner une assise au principe de « l’Excellence » mahoraise profitable à l’ensemble de Mayotte.  

M.H. : Vous avez évoqué la nécessité de mettre en place la Région Mayotte sur le plan institutionnel, pouvez-vous nous apporter un éclaircissement à ce sujet ?

I.D. : Au niveau juridique Mayotte est à la fois un Département d’Outre-mer et une Région même si elle est dotée d’une assemblée unique. Dans la pratique, on constate que l’aspect régional est complètement absent et qu’il peine à s’assoir dans les mentalités. L’absence d’une administration et services propres se fait très fortement sentir, aucun projet à portée régional n’émerge. Résultat, le côté département stagne depuis un moment et l’activité qu’aurait dû générer la Région n’est pas au rendez-vous. Cela est visible tant au niveau de l’économique, que des emplois et des formations. Si je suis élu député je vais m’employer à faire évoluer cette situation pour le plus grand bénéfice des Mahoraises et des Mahorais. En plus de générer de nouveaux gisements d’emplois, la Région Mayotte permettra également de décentraliser la formation professionnelle, avec des pôles dans différents endroits de l’île.

M.H. : L’immigration clandestine est omniprésente dans les débats en raison de l’insécurité inédite qui frappe notre territoire ces dernières années, quel est votre avis sur ce sujet ? Quelles sont vos solutions à vous pour endiguer ce fléau ?

I.D. : Sans détour, je dirai qu’une situation exceptionnelle exige de mesures exceptionnelles. Si j’obtiens la confiance des Mahoraises et des Mahorais à l’issue de ce scrutin, la principale mesure de ma mandature sera de faire voter une loi migratoire. Celle-ci permettra de donner au préfet et aux maires un cadre juridique officiel pour prendre des mesures spécifiques à notre département afin de lutter efficacement contre l’immigration clandestine, en utilisant leurs polices municipales. De même, le préfet pourrait être autorisé à refuser l’attribution de titres de séjours d’exception, simplifier les mesures de reconduites aux frontières, légalement, mais en dehors du champ actuel d’application de la loi.

De la même manière, il faudra permettre à nos forces de police, toutes catégories confondues, de reconquérir l’espace public grignoté par les délinquants pour devenir des polices de proximité qui dialoguent avec nos jeunes, y compris les délinquants juvéniles souvent abandonnés par leurs familles et livrés à eux-mêmes dans la rue. Ceux-ci devraient bénéficier d’un encadrement spécifique dispensé par des éducateurs spécialisés. Bien entendu il faut les distinguer des « vrais délinquants », ceux dont les actes relèvent des compétences des tribunaux, ceux qui jettent des cailloux aux forces de l’ordre, aux bus des transports scolaires et ceux qui agressent les gens avec des armes blanches. Je préconise même la mise en place d’un « Comité de sécurité » qui regroupera certaines autorités dans le but de statuer sur les mesures les plus adéquates qu’il faut prendre à chaque fois que des actes de ce type seront constatés. Il faut en finir avec le sentiment d’impunité qui prévaut chez ces voyous.

M.H. : Passons au social, un autre sujet dominant dans ces législatives 2022, comment envisagez-vous redonner du pouvoir d’achat aux Mahorais ?

I.D. : Je constate que tout est absolument cher à Mayotte, que nous nous trouvions ou pas en période de crise. À l’inverse de la métropole, ici, il n’y a pas une culture de la marque, ce qui fait que quand on entre dans un magasin, on a ce sentiment que les prix des produits sont les mêmes. Pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages locaux, il faut lutter contre les situations de monopole et rehausser le smic horaire. Sur ce dernier point, nous manquons de visibilité depuis de nombreuses années faute d’un calendrier clair de rattrapage vis-à-vis de l’hexagone. Si je suis élu député, l’une de premières mesures que je défendrai sera d’obtenir des autorités compétentes un agenda clair pour redonner de l’espoir aux travailleurs Mahorais. Les retraites dispensées sur le territoire sont tellement modiques qu’il nous faut tirer la sonnette d’alarme car, paradoxalement, les caisses sont excédentaires. Il est donc normal que l’on demande un rehaussement du seuil minimal de retraite et que l’on revoie les paramètres de calcul de la retraite à Mayotte pour les aligner avec ceux de la métropole. Il y a une autre réalité à corriger rapidement, ce sont les personnes qui continuent à travailler après l’âge légal de la retraite. Il importe de leur ouvrir une carrière pour leur éviter de continuer à se faire prélever des cotisations obligatoires sans qu’ils ne puissent, à nouveau, prétendre à des droits. Ce système de carrière est en lien direct avec le smic horaire.

M.H. : Quel est votre opinion sur le niveau et la qualité de l’enseignement dispensé dans notre Département actuellement ?

I.D. : Il faut ouvrir un vrai débat sur l’enseignement à Mayotte, autrement nous n’arriverons pas à relever les défis qui se présentent, notamment, la nécessité de scolariser les enfants dès l’âge de 3 ans. Il est nécessaire de rénover le parc d’écoles primaires existant, dans le cadre d’une vraie politique de long terme et non du coup par coup. L’impact du flux migratoire est réel dans ce domaine, les établissements débordent à tous les niveaux, malgré la mise en place d’un système de rotation. Il y a une obligation légale de scolarisation de tous les enfants présents sur ce territoire jusqu’à l’âge de 16 ans, la loi doit être respectée, mais il faut que nous nous donnions les moyens de le faire en tenant compte des vrais chiffres des personnes présentent dans l’île. Autrement, le résultat sera toujours faussé et le problème jamais résolu de façon pérenne. De passage dans le Département, le Président Emmanuel Macron a promis des classes comptant un maximum de 12 élèves. Nous sommes encore très loin de ce compte avec 30 élèves par classe et le risque de déboucher à un enseignement à plusieurs échelles.

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