Trahisons et incompréhensions au menu de l’élection comme président de Ben Issa Ousseni

À peu de chose près, le conseil départemental aurait pu élire ce 1er juillet sa première femme présidente en la personne de Maymounati Moussa Ahamadi. Mais c’était sans compter le retournement de veste de certains élus dans les dernières heures précédant le scrutin. Finalement, c’est le vice-président en charge des finances sous l’ancienne mandature, Ben Issa Ousseni, qui remporte la victoire 14 voix contre 12. Récit d’une matinée qui rappelle à quel point la politique à Mayotte n’a pas d’égale en France.

« On l’a fait ! La droite reste au pouvoir ! » À la lecture du 26ème et dernier bulletin de vote, Abdoul Kamardine, élu dans le canton de M’Tsamboro, ne peut cacher sa joie à l’annonce de la victoire de Ben Issa Ousseni. L’ancien vice-président en charge des finances sous la mandature de Soibahadine Ibrahim Ramadani succède à son mentor, au nez et à la barbe de Maymounati Moussa Ahamadi. « La démocratie a parlé… », avoue, quelques minutes après le dépouillement, celle qui avait remporté sa place dans l’hémicycle au soir du premier tour sur Dzaoudzi-Labattoir. Si la directrice de la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire la joue fair-play à l’égard de son adversaire, elle analyse tout de même ce résultat final avec une certaine amertume : « Peut-être que Mayotte n’est pas encore prête à avoir une femme à la tête de son territoire. »

En face, la coalition de droite et de centre-droite, porté par 14 voix contre 12 pour l’opposition, exulte. Les scènes de liesse et les embrassades se multiplient. À l’image de Rossette Vitta et Madi Velou qui se ruent vers le nouveau chef de l’exécutif pour lui tomber dans les bras. « C’est une première dans l’histoire de Mayotte depuis l’avènement de la décentralisation que nous avons une majorité cohérente. Au lendemain de cette séance de droit, il va falloir construire le projet de mandature et fixer un cap », récapitule le duo de Zouhourya Mouayad Ben. Le programme territorial annoncé par Les Républicains durant la campagne risque de revenir sur un coin de table, histoire de poser quelques bases pour les six prochaines années.

« Un véritable capharnaüm »

Pourtant, dix heures encore avant le dépouillement, aucune majorité claire et précise ne se dégageait… « Je ne sais pas si nous sommes dans la surprise. En tout cas, l’organisation pour arriver jusque-là a été un véritable capharnaüm », se désole Mansour Kamardine, abasourdi de toujours constater que « les puissances visibles de l’argent s’immiscent dans le jeu démocratique et prennent en otage le conseil départemental ». Et modifient ainsi à leur guise un échiquier politique fébrile tout au long des quatre derniers jours. Dans sa ligne de mire ? Ida Nel, pistée lors de visites domiciliaires nocturnes, qui « a contacté les environnements des conseillers » pour arracher ces derniers des griffes de son groupe. « Je demanderai de nous pencher très sérieusement sur l’intérêt de Mayotte vis-à-vis du port de Longoni. Il en va de l’économie de ce territoire. » Des accusations lourdes de sens qui risquent de faire couler beaucoup d’encre !

Face à ces délations, Elyassir Manroufou défend les agissements du MDM au sujet des retournements de veste qui ont fait pencher la balance. « Certains binômes n’ont pas été soudés et n’ont pas parlé d’une seule et même voix. » Exemple avec Omar Ali et Daoud Saindou Malide qui ont préféré les rangs de la majorité pour devenir respectivement 3ème et 6ème vice-présidents. À l’inverse de Maymounati Moussa Ahamadi et d’Echati Issa. Une « trahison » visible avant même le début du scrutin au regard du plan de table. Toujours selon lui, le coupable se nomme Ambdilwahedou Soumaïla. « Nous trouvons regrettable que le maire de Mamoudzou n’ait pas saisi cette opportunité de travailler avec les trois cantons (les candidats LR ont tous perdu le 2nd tour). Il a préféré faire élire un président issu davantage de sa famille politique, en oubliant la proximité et le choix des électeurs de sa commune. »

 

Boycott au retour de séance

 

Dans ces conditions et avec deux camps bien distincts, comment envisager la suite ? « Nous assumerons la responsabilité d’avoir fait le choix de porter la candidature d’une femme. Mais cela ne nous empêchera pas de travailler. Nous sommes là pour l’intérêt des Mahorais et rien d’autre », assure le vainqueur sur M’Tsapéré et Doujani. Même son de cloche pour la candidate malheureuse du jour. « Ce n’est pas ce qui va m’arrêter et m’empêcher de porter haut et fort les engagements pris auprès de la population de Dzaoudzi-Labattoir. Au contraire, cela me donne la force d’aller voir tout ce que nous pouvons faire pour développer Mayotte et surtout donner de l’espoir », assure la Petite-Terrienne.

Nouveau retournement de situation inattendu à l’issue de la suspension de séance. Pendant cette pause d’une heure, chacun détermine et propose sa liste des membres de la commission permanente. Mais patatra ! Le temps est écoulé et les élus de l’opposition boycottent leur présence. « Ils viennent ou ils ne viennent pas », s’impatiente Ben Issa Ousseni, en se tournant vers quelques agents administratifs de la collectivité. Plus de 15 minutes s’écoulent avant qu’ils ne pointent le bout de leur nez… « Il n’y a que les Mahorais pour faire la politique de la chaise vide », chuchote Bahati Houmadi, suppléante de « Fifi » sur Koungou. Un retard assumé aux conséquences non négligeables ! Avec une seule note en sa possession au bout du temps imparti, le chef de l’exécutif n’a pas d’autre alternative que de constituer le nouveau bureau du Département avec les sept premiers noms de la liste présentée (voir encadré), à savoir Salime Mdéré, Tahamida Ibrahim, Ali Omar, Zouhourya Mouayad Ben, Bibi Chanfi, Daoud Saindou Malide et Madi Vélou.

 

Entre espoir et désespoir

 

Place enfin au premier discours de Ben Issa Ousseni. Au cours de celui-ci, le nouveau responsable de la collectivité rabâche les indispensables défis de la jeunesse, de la formation, de la précarité sociale, du renforcement des soins médicaux de proximité, de l’économie, de l’aménagement. « Pour les relever, nous devons travailler en synergie », prône-t-il. Avant d’insister sur l’utilisation à bon escient du plan de relance, des fonds européens et du contrat de convergence. « Nous voulons un territoire fort qui s’affirme davantage dans la région de l’océan Indien et le canal du Mozambique. Restons unis et solidaires pour conforter Mayotte dans un élan social et économique. »

Des mots forts qui n’attendent que des actes concrets. Mais en ce 1er juillet, reste surtout l’espoir déçu pour certains de voir une femme accéder pour la première fois à la présidence du Département. « La difficulté est que ce n’était pas [Maymounati Moussa Ahamadi] qui était candidate. C’est ça le problème, elle a été mise comme un paravent. Elle était avec nous jusqu’à hier [mercredi 30 juin]. À 14h, elle était première vice-présidente… Quelqu’un l’a arrachée pour la présenter en face et la faire reine. Était-ce vraiment une façon de promouvoir la femme ? », confie et s’interroge Mansour Kamardine. De quoi nourrir de profonds regrets pour la principale concernée. Qui a raison, qui a tort dans tout ce schmilblick ? C’est toute la singularité de la vie politique dans le 101ème département…

 

La répartition des sièges de la commission permanente

 

trahisons-incomprehensions-election-president-ben-issa-ousseniAussitôt après l’élection du président et sous sa présidence, le conseil départemental fixe le nombre des vice-présidents et des autres membres de la commission permanente. Ces derniers sont élus au scrutin de liste. Chaque conseiller départemental peut présenter une liste de candidats, qui doit être composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

Les listes sont déposées auprès du président dans l’heure qui suit la décision du conseil départemental relative à la composition de la commission permanente. Si, à l’expiration de ce délai, une seule liste a été déposée, les différents sièges de la commission permanente sont alors pourvus immédiatement dans l’ordre de la liste et il en est donné lecture par le président. Dans le cas contraire, le conseil départemental procède d’abord à l’élection de la commission permanente, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation sur chaque liste. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus. Si le nombre de candidats figurant sur une liste est inférieur au nombre de sièges qui lui reviennent, le ou les sièges non pourvus sont attribués à la ou aux plus fortes moyennes suivantes.

Après la répartition des sièges de la commission permanente, le conseil départemental procède à l’élection des vice-présidents au scrutin de liste à la majorité absolue, sans panachage ni vote préférentiel. Sur chacune des listes, l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Si, après deux tours de scrutin, aucune liste n’a obtenu la majorité absolue, il est procédé à un troisième tour de scrutin et l’élection a lieu à la majorité relative. En cas d’égalité de suffrages, les candidats de la liste ayant la moyenne d’âge la plus élevée sont élus.

 

Les femmes n’ont pas emboîté le pas de Maymounati

 

trahisons-incomprehensions-election-president-ben-issa-ousseniÀ l’issue du scrutin, Said Omar Oili ne remet aucunement en cause le choix de la désormais opposition d’avoir présenté Maymounati Moussa Ahamadi au poste de présidente du Département. « Le combat de Mayotte a été mené par des femmes, donc nous avons voulu [en] présenter [une] qui a la tête sur les épaules et les compétences », précise le maire de Dzaoudzi-Labattoir. « Les élus n’ont pas voulu rentrer dans l’histoire, c’est dommage… » Celui-ci fustige surtout les autres élues qui ont préféré jouer la carte politique plutôt que de saisir la balle au rebond. « J’avais l’espoir qu’elles auraient une réaction. Certaines ont rejeté cette candidature. Il y a à méditer. » S’il dit n’avoir « ni frustration ni déception », il regrette « cette continuité dans l’incertitude ».

 

Le choix de la continuité pour Soibahadine Ibrahim Ramadani

 

trahisons-incomprehensions-election-president-ben-issa-ousseniSoibahadine Ibrahim Ramadani est un ancien président de Département heureux. Pour lui, l’élection de Ben Issa Ousseni est « le choix de la continuité ». « D’autant plus qu’il a fait pour l’essentiel sa campagne sur le bilan et les projets de cette mandature. » Une manière de légitimer ses réalisations. « Si ce bilan était si mauvais que cela, il aurait dû être victime de dégagisme. Or, les électeurs lui ont renouvelé leur confiance et ses pairs l’ont choisi majoritairement. »
Le désormais retraité de la vie politique a également un œil très averti sur la vision des femmes dans le milieu. « Malgré leurs compétences, les Mahoraises et les Mahorais ne sont pas encore prêts à les placer à la tête des grandes institutions et entreprises. Mais cela ne les déclasse pas. » Avant d’adresser un message à Maymounati Moussa Ahamadi. « Elle fait partie de ces femmes qui ont crevé l’écran pendant la campagne. Nous pouvions penser qu’elle était prédestinée à un avenir au plus haut sommet du Département. Il y a peut-être un moment où il faut enrichir l’expérience, se faire connaître, entretenir des relations encore plus fortes et convaincre les réticences. »

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