A quatre jours du deuxième tour de l’élection présidentielle, Daniel Zaïdani et Thani Mohamed Soilihi ont accepté de répondre à une interview croisée. Le seul conseiller départemental à soutenir Marine Le Pen et le sénateur issu du parti d’Emmanuel Macron défendent deux projets bien distincts.
Flash infos : Vos candidats sont arrivés en tête en premier tour avec une abstention importante pour un scrutin présidentiel (26.3%). Comment mobiliser les électeurs pour le deuxième tour ?
Thani Mohamed Soilihi : Effectivement, nous avons affaire à une abstention importante pour une élection présidentielle, spécialement à Mayotte (59,69 %) où Marine Le Pen arrive en tête. En vue du second tour, nous, la Team Macron, nous mobilisons en nous adressant en priorité aux abstentionnistes en réalisant un important travail d’explication du bilan du président de la République et de son projet sur le terrain.
Daniel Zaïdani : Il y a trois paramètres à prendre en compte. A Mayotte, l’engouement est souvent moindre pour les élections nationales. On a aussi le problème des procurations. Beaucoup de gens sont inscrits uniquement pour continuer à voter aux élections locales, mais elles ne le font pas pour la présidentielle. Enfin, vous l’avez vu dans le travail que nous faisons, nous privilégions le contact direct. Après le meeting de Marine Le Pen en décembre, nous n’en avons pas fait d’autre.
F.I. : Sur quels points justement, ce duel peut-il se décider ?
T.M.S. : Le sérieux et la solidité du projet d’Emmanuel Macron sont les éléments moteurs de notre campagne. Le président a fait ses preuves, malgré une succession inédite de crises majeures : d’abord celle des gilets jaunes, la pandémie du Covid, la guerre en Ukraine. Nonobstant ces circonstances, il s’est engagé pour une Europe solidaire qui nous protège face aux crises, le chômage est au plus bas (7,4 % au national), la France n’a jamais été aussi attractive pour l’investissement international, notre pays a retrouvé un leadership certain au niveau européen et mondial, la pandémie a été convenablement gérée, le pouvoir d’achat des Français a augmenté, les impôts ont diminué pour tous… A Mayotte aussi, quoiqu’en disent ses détracteurs, Emmanuel Macron a un bilan largement positif. En face, le projet de Marine Le Pen est mouvant, peu crédible, non financé, dangereux, inconstitutionnel. Se rendant compte de la fragilité de son projet, elle rétropédale sur nombre de ses promesses, notamment sur la sortie de l’Europe, la tenue de référendums, le voile, la double nationalité…Son manque d’expérience, et son populisme exacerbé ne sont plus à démontrer, soulignant ainsi qu’elle n’a nullement l’étoffe d’une cheffe d’Etat.
D.Z. : En premier lieu, nous considérons qu’Emmanuel Macron a eu la chance de pouvoir exercer pendant cinq ans. Il est même venu ici en 2019 pour faire des promesses. Et on peut dire qu’après trois ans, le compte n’y est pas. Il n’a pas eu les solutions escomptées. Il y a eu un échec total, rien n’a été fait. Même sous François Hollande, il y a eu l’indexation, le revenu de solidarité active (RSA) est passé de 25 à 50 % en l’espace de trois ans. Avec Emmanuel Macron, il n’y a eu aucune augmentation des aides sociales. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la déception des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse. Ils seront moins décidés à aller voter ce dimanche.
F.I. : Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont choisi tous les deux de s’adresser par vidéo aux électeurs mahorais. Quelle est l’importance de Mayotte à leurs yeux ?
T.M.S. : L’importance de Mayotte aux yeux d’Emmanuel Macron est incontestable, le président connaissant et saluant notre attachement atavique et viscéral à la France. Il a manifesté cet intérêt par un investissement et un engagement sans précédent au profit de Mayotte, de par l’augmentation des dotations aux collectivités, sa proximité durant la pandémie à l’occasion de laquelle les Mahorais avons été traités à l’égal de nos concitoyens. La circonstance que les résultats sur l’insécurité et l’immigration, aux origines anciennes, peinent encore à se voir, ne doit pas nous décourager ni nous fourvoyer, la continuation de ces efforts étant seule à même de redresser la situation de façon pérenne. L’intérêt d’Emmanuel Macron et des Macronistes pour Mayotte au quotidien tranche considérablement avec les apparitions de Marine Le Pen à l’occasion des élections européennes et présidentielles seulement.
D.Z. : Marine Le Pen a un attachement particulier pour l’outre-mer. Dans le cadre de son mandat de député, elle a fait plusieurs interventions en évoquant Mayotte. Elle venue présenter en décembre son projet pour Mayotte. Elle l’a fait même avant de donner son programme national. Il est clair et défini. Malgré l’éloignement de la métropole, elle a rappelé l’attachement de Mayotte à la France. En retour, elle est consciente que l’île a besoin de gages.
F.I. : Parlons programme maintenant, plusieurs points sont annoncés de part et d’autre. Mais comment les financer ?
T.M.S. : Les spécialistes affirment que le programme d’Emmanuel Macron est l’un des plus crédibles, avec des financements fléchés. Quant à celui de Marine Le Pen, il contient un chiffrage et dépenses hasardeux et démagogiques avec la baisse de la TVA (12 milliards), la suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans (4 milliards), la nationalisation des autoroutes (50 milliards). Le projet de Marine Le Pen est déficitaire de presque 90 milliards selon l’institut Montaigne. Pour finir de s’en convaincre, il suffit de rappeler les propos suivants du prix Nobel d’économie Jean Tirole : « Le programme de Marine Le Pen est une liste à la Prévert de dépenses supplémentaires, largement sous-estimées à 69 milliards d’euros par an, financées à l’aide de recettes hélas en partie fictive ».
D.Z. : Nous n’avons pas d’argent magique comme Emmanuel Macron. Celui-ci veut financer son programme par l’endettement alors qu’il atteint déjà 600 millions d’euros au cours de son mandat. Il y aura des mesures qui permettront de réduire le déficit de l’Etat, notamment par la suppression d’un certain nombre de choses. Il y aura un une réduction et un contrôle des allocations versées aux étrangers. Concernant la quotepart versée par la France à l’Union européenne, Marine Le Pen veut la réduire. Nous ne touchons que 25 % de ce que nous donnons à l’Europe. Et malgré la baisse de la TVA sur le panier de la ménagère, notre budget s’équilibre à 68 milliards en recettes et en dépenses.
F.I. : A Mayotte, les électeurs attendent des mesures sur les domaines régaliens (immigration, sécurité, justice). Quelles réponses pouvez-vous leur apporter ?
T.M.S. : En la matière, comme précisé plus haut, les efforts durant le quinquennat d’Emmanuel Macron ont été sans précédents : destructions records de bidonvilles et reconduite à la frontière de 100.000 clandestins, augmentation de 40 % des forces de l’ordre avec la création de deux brigades supplémentaires de gendarmerie, adaptation du droit de la nationalité, mise en place d’une brigade de prévention de la délinquance juvénile, d’un centre éducatif renforcé, etc… Ces efforts seront continués et intensifiés par Emmanuel Macron, qui a d’ores et déjà annoncé la construction d’une cité judiciaire. Une lutte plus soutenue devra être menée contre l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers ; un centre éducatif fermé devrait également voir prochainement le jour.
D.Z. : Il y a un projet de loi déjà prévu au niveau de la justice. Il comporte une meilleure représentation des juges. Nous souhaitons également encourager les policiers dans leurs fonctions. Je prends par exemple l’exemple de Petite-Terre, ce week-end (voir par ailleurs). Les gendarmes ne sont pas en nombre et il n’y a pas eu d’interpellations. Il y a sur l’île clairement des donneurs d’ordre qui font défaut. On veut également renforcer les policiers en termes d’effectif. Emmanuel Macron a annoncé que le nombre de forces de l’ordre avait augmenté de 40%. Les policiers eux-mêmes n’ont pas vu cette augmentation.
F.I. : Toujours sur le domaine de l’immigration, les relations avec les Comores dont sont originaires la majorité des migrants sont primordiales. Quelle est la meilleure approche selon vous ?
T.M.S. : La meilleure approche est celle entreprise par Emmanuel Macron : d’abord commencer par la mise en place d’un accord-cadre d’Etat à Etat sur la base duquel des échanges doivent se développer ; faut-il rappeler qu’il s’agit du premier du genre ? Ensuite faire vivre cet accord par l’aide au développement afin de permettre aux Comores de mieux fixer sa population chez elle et en usant de fermeté lorsque ses termes ne sont pas respectés. Là aussi, les résultats viendront avec le temps. La méthode qui consisterait à ignorer le voisinage en entretenant uniquement des rapports de force ne mènerait nulle-part.
D.Z. : Dans les premières actions du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères ira aux Comores pour faire un point sur la situation. Ce qui n’a pas été durant les derniers mandats. Il rappellera que Mayotte, c’est la France, et qu’aucune revendication ne sera tolérée. Les vagues d’immigration doivent cesser et les reconductions acceptées. S’il n’y a pas de collaboration, il y aura des sanctions comme l’arrêt des visas vers la métropole. Ils sont utilisés par les commerçants et les politiques notamment. Je pense également au gel des avoirs comme c’est fait actuellement avec les oligarques russes.
F.I. : Le département est connu pour être le plus jeune de France (60% de la population a moins de 24 ans selon l’Insee). Comment leur assurer un débouché à la sortie d’école ?
T.M.S. : Par la formation et la création d’entreprises et d’emplois. Sur ces trois points, le quinquennat qui vient de s’écouler a été exemplaire, malgré la crise sanitaire. Il convient naturellement de poursuivre dans cette voie, en faisant mieux coïncider les formations aux besoins du territoire. Il faudra également développer l’ingénierie locale afin de plus et mieux réaliser et résolument s’engager dans les domaines de l’environnement et du développement durable.
D.Z. : Marine Le Pen est la seule à proposer des exonérations d’impôts pour les moins de 30 ans. Il s’agit d’une politique volontariste qui va créer des emplois. C’est le cas également avec la retraite à 60 ans. En faisant partir les plus anciens, on permet qu’ils soient remplacés par les jeunes. Concernant l’éducation, il y a une réelle volonté de construire des établissements et de subdiviser les classes en école primaire. Il y a également une nécessité d’améliorer le niveau de français par des heures supplémentaires en primaire, mais aussi aux collèges.
F.I. : La convergence des droits est poursuivie depuis des années. Quand sera-t-elle complète ?
T.M.S. : Le projet départemental avait prévu une convergence des droits à l’horizon 2036. Le récent projet de loi Mayotte avait ramené cette échéance à 2031, au motif qu’une date plus rapprochée entraînerait des conséquences économiques négatives, notamment par l’incapacité des employeurs à l’assumer. Les partenaires sociaux et le Gouvernement devraient entrer en discussion pour trouver une échéance acceptable par tous et en finir avec cette aberration constituée par l’exode de centaines de Mahorais vers d’autres départements où les droits sont meilleurs.
D.Z. : Nous proposons une loi-programme sur quinze ans. Elle doit nous permettre de faire tous les rattrapages nécessaires. Certains mettront que quelques années, mais au plus tard, elle devra se faire dans les quinze ans.
F.I. : La mer est souvent citée comme un atout pour Mayotte, mais peu de choses ont vu le jour. Avez-vous des idées à défendre pour développer le littoral ultramarin ?
T.M.S. : Pour Mayotte, la construction de quais intercommunaux et du transport maritime serait une véritable bouffée d’oxygène pour la circulation au sein du département. La valorisation de nos magnifiques plages également. Une montée en puissance de l’ingénierie et des capacités de nos collectivités, notamment les intercommunalités, est nécessaire pour y parvenir. C’est le cas actuellement, accélérons le mouvement ! Pourquoi ne pas à terme céder la zone des pas géométriques et le foncier du littoral aux collectivités ?
D.Z. : Parmi ses mesures, Marine Le Pen veut relancer l’activité aquacole. Celle-ci a disparu parce qu’elle n’était pas soutenue ni accompagnée par le gouvernement, alors qu’elle créait de la richesse. Il faut tout reprendre à zéro. Concernant l’éolien en mer défendu par Emmanuel Macron, nous nous y opposons. Nous ne voulons pas de ces bâtons dans le lagon.
F.I. : L’environnement est un défi majeur sur un territoire densément peuplé. Comment le préserver ?
T.M.S. : Il s’agit en tous cas d’une impérieuse nécessité et d’une priorité qu’il convient de traiter d’urgence, sous peine de voir notre environnement et notre lagon, en particulier, rapidement se dégrader et mourir. Un plan d’urgence devrait être mis en place par les collectivités avec l’aide de l’Etat, pour sauver notre environnement et sa biodiversité. Cette protection n’aurait que des avantages, en assainissant nos lieux de vie, développant l’attractivité de Mayotte et créant des emplois. L’Europe nous serait aussi d’une grande aide, de par notamment les fonds RUP (destinés aux régions ultrapériphériques). La préservation de l’environnement doit en parallèle faire l’objet d’une éducation et d’une sensibilisation dès le plus jeune âge.
D.Z. : Dans le projet présenté ici, elle s’est engagée à créer une usine d’incinération (N.D.L.R. les déchets sont actuellement enfouis) afin de réduire la production de déchets. Il faut également mieux accompagner les collectivités par rapport à l’organisation du traitement. On parle beaucoup du Sidevam (le syndicat en charge de la collecte), mais celui-ci est mal doté pour ses missions. Le projet est une amélioration de ses finances.
F.I. : Les élus locaux attendent des réponses sur plusieurs grands projets (Piste longue, grand port maritime). Lesquels sont susceptibles de voir rapidement le jour ?
T.M.S. : La réélection d’Emmanuel Macron est le gage que ces grands projets verront le jour le plus rapidement possible. La piste longue, le grand port maritime, le second hôpital, la cité judiciaire, sont des promesses qu’il mettra un point d’honneur à réaliser. Mais cela ne pourra se faire sans le concours étroit des élus locaux. Le projet de loi Mayotte prévoyait notamment de faciliter le recueil de matériaux le temps de la construction de la piste. Un travail en confiance entre les élus d’une part et l’Etat et ses services d’autre part, doit se nouer ; l’importance des parrainages mahorais pour Emmanuel Macron va grandement y contribuer.
D.Z. : Marine Le Pen s’est positionnée pour le projet gazier. Les investissements pour celui-ci seront soutenus. La piste longue est également dans la loi-programme qui doit voir le jour en janvier 2023. La candidate se laisse au moins six mois pour travailler sur cette loi avec toutes les collectivités d’outre-mer.
F.I. : Jean-Luc Mélenchon a terminé deuxième à Mayotte avec 24% des voix, en prévenant « qu’aucune voix irait au RN ». Quel message souhaiteriez-vous passer aux électeurs de gauche dont le choix peut s’avérer déterminant le 24 avril ?
T.M.S. : Le candidat Emmanuel Macron n’a pas écarté la possibilité d’inclure des parties des programmes des autres candidats pour enrichir, et compléter le sien ; il a souvent pris en compte les contributions de la sorte, notamment à l’occasion des débats qu’il a multipliés durant son quinquennat. Au demeurant, Emmanuel Macron a d’ores et déjà pris plusieurs mesures qualifiées de « gauche » (reste à charge zéro, valorisation des retraites des agriculteurs, boulier énergie, baisse des impôts, sans oublier le « quoiqu’il en coûte » au plus fort de la pandémie…). Les électeurs de gauche n’ont par conséquent pas de souci à se faire. En revanche, ils en ont à se faire du côté de Marine Le Pen qui n’a pas hésité à les qualifier de « punks à chiens », « marginaux crasseux », montrant son irrespect envers une partie des Français, qu’elle tente malhonnêtement de séduire maintenant.
D.Z. : Pour moi, le report des voix de Jean-Luc Mélenchon ne peut pas se faire. Le seul et unique argument avancé pour contrer Marine Le Pen est sur le volet du racisme. Je tiens à rappeler que le Rassemblement national est un parti patriote, nationaliste et souverainiste. C’est donc l’équivalent à Mayotte d’un parti départementaliste. Marine Le Pen voit bien que les Mahorais sont attachés comme elle à la France. En lisant son programme, ce que je comprends, c’est qu’elle est la seule aujourd’hui à défendre le pouvoir d’achat, la sécurité et le rattrapage social. Alors que tout le monde est conscient que le programme d’Emmanuel Macron est creux. Il a d’ailleurs pris les idées de Valérie Pécresse et Yannick Jadot. Et dernièrement, il reprend celles de Marine Le Pen concernant le septennat et le vote à la proportionnelle. Il n’a pas de projet structurant.