Ce mercredi soir, avait lieu le traditionnel et extrêmement attendu débat de l’entre-deux tours, opposant les deux candidats à la présidence de la République française pour les cinq prochaines années. Si Emmanuel Macron a attaqué cet exercice tambour battant, se posant en donneur de leçons vis-à-vis d’une Marine Le Pen hébétée, la discussion s’est ensuite équilibrée, ce qui a permis aux deux finalistes d’exposer leurs idées, visions et désaccords.
En cette soirée du mercredi 20 avril 2022, nous étions plus de seize millions de personnes devant un écran. Bien plus que le nombre de voix amassées par les deux personnalités que nous regardions. Emmanuel Macron, candidat de La République en marche et accessoirement président de la République sortant, faisait face pour la deuxième fois en cinq ans à Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national. L’on annonçait un débat plus serré qu’en 2017, marqué par les gesticulations de Mme Le Pen, au point que les finalistes aient dû avoir recours à des sparring-partners. La cordialité des débuts laissait ainsi bien vite place au combat.
D’entrée de jeu, ce dernier est pour le moins déséquilibré. Emmanuel Macron arbore un doute méprisant lorsque Marine Le Pen se qualifie de « porte-parole des Français » et de « présidente du régalien ». Le président sortant sait que son quinquennat souffre de multiples critiques. Il parle donc de ses erreurs, recroquevillé dans son siège. Au fur et à mesure de sa minute trente d’introduction, l’homme se redresse, comme il compte redresser la France et continuer son fameux projet. Ce jeu particulièrement bien rôdé sert le rôle de donneur de leçons que prend M. Macron, se moquant quand Mme Le Pen affirme qu’elle souhaite « restituer aux Français leur argent ». Cette dernière torpille sa prime de 6.000 euros, car, « dans la vraie vie, un propriétaire ou une banque vous demande votre salaire ». Et, alors qu’Emmanuel Macron lui tient tête, en n’ayant pas toujours raison, mais en appuyant son propos, Marine Le Pen ne rétorque pas, laissant apparaître son adversaire comme le meneur du débat, le plus compétent pour la fonction qu’ils briguent tous les deux.
« La France est un pays mondial, pas continental »
Tout cet apparat aura pris place dans la partie réservée au pouvoir d’achat, préoccupation majeure des Français, qui attendent encore des propositions sur les minima sociaux ou les salaires. Quand vient le tour de l’international, inévitablement relégué à la crise ukrainienne, le président sortant lève le voile sur sa stratégie. Sa concurrente a elle aussi un bilan. « Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie », lance-t-il en référence aux prêts de campagne du RN contractés auprès de banques russes. Au jeu de trouver celui étant le plus complice avec Vladimir Poutine, Mme Le Pen rappelle le faste de la réception du président russe à Versailles en 2017. Mais aussi la supposée « préférence étrangère » du pensionnaire de l’Elysée, qu’elle n’hésite pas à taxer de complotiste au sujet de la sortie de l’Union européenne. « Venant de vous, je trouve ça séduisant », rétorque M. Macron, passablement agacé car se battant « pour la changer, cette Europe ». C’est lors de cette séquence internationale que les Français ultramarins auront la seule miette qui leur sera jetée. « La France est un pays mondial, pas continental », y a affirmé la candidate du Rassemblement national. Pour Mayotte, il faudra attendre un autre débat.
Vient ensuite la question des retraites, qu’Emmanuel Macron voudrait repousser à 65 ans, « une injustice absolument insupportable et injustifiée sur le plan budgétaire » pour Marine Le Pen. Titulaire d’une écrasante majorité chez les plus de 60 ans, le candidat en Marche ne se démonte pas, affirmant qu’il faut « travailler plus » pour « financer beaucoup de progrès » et « rembourser la dette ». Son interlocutrice ne se prive donc pas de lui rappeler plusieurs fois qu’elle a augmenté de 600 milliards durant son quinquennat : « Celui qu’on vous avait présenté comme le Mozart de la finance a un bilan économique très mauvais et un bilan social encore pire ». Sur la crise du Covid-19, le « Comment vous auriez fait ? » d’Emmanuel Macron restera une fois de plus sans réponse.
« Votre programme n’a ni queue ni tête »
Alors que minuit approchait sur l’île au lagon, c’est la question de l’environnement qui est abordée. Marine Le Pen se lance immédiatement dans une opération séduction de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon (l’Union populaire), arrivé troisième à quelques voix de la candidate RN. Face caméra, celle-ci déblatère des mesures à la pelle. C’était la donner à Emmanuel Macron pour se faire enterrer, ce dernier lui lançant un acerbe : « Votre programme n’a ni queue ni tête », lors d’une énième leçon du président sortant sur le mix énergétique français. « Je ne suis pas climatosceptique, mais vous êtes climato-hypocrite », contre-attaque Mme Le Pen. Son interlocuteur n’est en effet pas tout blanc, et encore moins vert. Après s’être alerté d’un ton solennel du rapport du GIEC ne nous laissant plus que trois ans pour garder une planète vivable, M. Macron enjoint son adversaire à « ne pas aller trop vite » dans la planification écologique.
Si le thème du numérique cher au candidat LREM voit ce dernier survoler le débat, Marine Le Pen retombe bien sur ses pattes en dénonçant l’ubérisation des emplois et le besoin urgent d’une « couverture parfaite » de la fibre pour mettre en place l’e-médecine. Mais Emmanuel Macron se targue du nombre de start-ups créées durant son quinquennat, et prône « l’ouverture » et « le marché, le marché, le marché ». L’écologie ? C’était il y a cinq minutes.
« La jeunesse française a tellement souffert », introduit la candidate RN sur le thème de l’éducation, proposant la gratuité des trains pendant les heures creuses aux 18-25 ans, les primes d’Etat aux étudiants qui travaillent, et la fin de la réforme du baccalauréat, très décriée. Même quand elle pourrait avoir raison, par exemple lors d’une pique sur l’affaire McKinsey, Marine Le Pen a tort, restant coite face à un Emmanuel Macron insistant quoi qu’il arrive. « Vous ne vivez que de la peur et du ressentiment », déplore-t-il, usant de son attitude un poil arrogante pour déstabiliser la candidate d’extrême-droite, après avoir rappelé que la revalorisation des salaires des enseignants était entamée et qu’elle continuerait.
Séduire la gauche et les abstentionnistes
La salle devient ensuite le terrain de Marine Le Pen pendant trois thèmes, que les rédactions sollicitées ont cru bon de mettre à la suite : la sécurité, la laïcité et l’immigration. L’occasion pour la candidate du Rassemblement national de dire que « l’immigration anarchique aggrave l’insécurité », et de lâcher les mots « barbarie » et « ensauvagement ». Elle qui déclare « aimer » les policiers oppose dangereusement police et justice, deux pôles que le candidat de La République en marche réunit sur la question des féminicides. Mme Le Pen propose ensuite « sa loi sur la lutte contre l’idéologie islamiste », avec notamment l’interdiction du voile sur la voie publique et la fermeture de 570 mosquées aux prêches dits radicaux. « Vous allez créer une guerre civile », lui répond M. Macron, la taxant de « trahison à l’esprit français » sur la laïcité. « J’ai combattu l’islamisme comme un aucun autre avant moi », s’emporte-t-il.
Dernier thème, qui conclura ces trois longues heures de débat, les institutions. Le président de la République sortant n’a jamais eu recours au référendum ? « Cela doit pouvoir être une option », répond-il. Un changement de constitution ? Hors de question pour le pensionnaire de l’Elysée, qui avoue avoir « échoué » sur la proportionnelle. M. Macron promet en outre « une commission transpartisane » qui aurait pour but de proposer des réformes institutionnelles. « Ça s’appelle l’Assemblée nationale, Monsieur Macron, vous feriez mieux de vous reposer dessus un peu plus », attaque Mme Le Pen. Cette dernière souhaite « une renaissance démocratique », en donnant plus de pouvoirs à la chambre basse française, et en instaurant son fameux RIC à partir de 500.000 signatures.
Alors que les yeux des plus vaillants observateurs clignotent, Emmanuel Macron termine son propos en dépeignant le second tour comme « un référendum pour ou contre » l’Europe, l’écologie, la laïcité, la fraternité. Pour Marine Le Pen, qui fait du pied aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon en taclant son adversaire sur la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), il faut lutter « en haut et en bas », contre l’optimisation fiscale et les petits délinquants, et imposer « une identité, des valeurs, des traditions, sans complexes ». Aura-t-elle séduit au-delà de son camp ? Emmanuel Macron n’aura-t-il eu qu’à prendre de haut son adversaire pour s’assurer la victoire ? Les réponses seront dorénavant ce dimanche soir.