À l’occasion des dix ans de la départementalisation, le ministre Sébastien Lecornu a annoncé une consultation express des forces vives, élus, acteurs associatifs et économiques de l’île aux parfums pour une nouvelle loi, avant la fin du quinquennat. Objectif : accélérer l’entrée de Mayotte dans le droit commun, et la convergence des droits pour les Mahorais, toujours lésés par rapport à leurs voisins de La Réunion ou de la métropole. La présidente du MEDEF, Carla Baltus, fait le point sur les propositions de l’organisation patronale.
Flash Infos : Le ministre Sébastien Lecornu veut lancer une consultation des “forces vives” et un projet de loi Mayotte pour le 14 juillet prochain. Quelles propositions le MEDEF Mayotte va-t-il faire ?
Carla Baltus : Au niveau des entreprises, ce qui nous préoccupe au MEDEF concerne surtout l’évolution des charges. L’échéance de 2036 est considérée comme trop tardive aujourd’hui. Sur le principe, nous ne nous opposerons pas à l’évolution de la convergence à Mayotte. Mais je pense qu’il faut faire attention à l’équilibre pour les entreprises. Ce que nous prônons en premier lieu, c’est une étude d’impact concernant l’application du code de sécurité sociale. Nous avons voulu l’application du code du travail en 2018, qui a été faite rapidement, sans préparation suffisante, ce qui a créé beaucoup de frustrations. Certains éléments avaient échappé aux syndicats, qui reviennent dans le débat aujourd’hui : je pense principalement au SMIG, qui évolue mais n’est toujours pas au niveau des attentes ni de ce qui était convenu. Donc une étude d’impact me semble indispensable cette fois-ci, pour voir l’évolution et la capacité des entreprises à supporter la hausse des charges si le calendrier est revu. Ensuite, qui dit augmentation de charges dit aussi augmentation des exonérations, qui ne sont pas non plus au niveau de ce qu’on peut obtenir au niveau national. Nous demanderons à ce que cela soit fait en parallèle. Enfin, l’autre point qui me paraît indispensable, c’est le maintien du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) jusqu’à cette nouvelle date, qui pourrait être approchée. En effet, les seules exonérations ne pourront suffire pour permettre aux entreprises de tenir le coup.
FI : Le ministre a notamment évoqué “l’accélération de la départementalisation afin d’améliorer la vie des Mahoraises et des Mahorais et de converger vers une égalité sociale réelle”. Est-elle vraiment envisageable avant 2036 selon vous ?
C. B. : Nous pouvons avancer le calendrier, mais encore une fois, avec de la visibilité et en accompagnant tout le monde, pour permettre à toutes les entreprises d’être dans les clous et éviter la concurrence déloyale. Car si nous demandons aux entreprises un tel effort sur les charges, peut-être que les grands groupes ou ceux qui viennent de l’extérieur pourront le supporter. Mais pas sûre que les petites entreprises puissent suivre… Le risque, c’est de créer plus de travail au noir, et des inégalités ! Mais encore une fois, cette convergence, nous la comprenons. L’autre partie que je souhaitais aborder, c’est d’ailleurs la convergence des minima sociaux. Celle-ci n’est pas liée à la contribution des entreprises, elle touche au porte-monnaie de l’État et de la collectivité. Aujourd’hui, le RSA est encore pris en charge par l’État mais un jour cela reviendra au Département. Là encore, il faut pouvoir anticiper. Et pour les minima sociaux, il y a urgence ! En effet, nombreux sont les Mahorais qui quittent Mayotte car ils n’ont pas de perspective d’emploi et un RSA inférieur de 50% à ce qui se pratique en métropole. Même chose pour l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées), pour les retraites, ce sont des dispositifs qui doivent rapidement être alignés au niveau national à mon sens. Ce calendrier peut être avancé plus facilement que celui des charges. Ce serait en plus une façon de montrer l’exemple et de créer du pouvoir d’achat !
FI : Que pensez-vous de l’argument de “l’appel d’air” et du renforcement de l’immigration clandestine avec cette convergence sociale ?
C. B. : Je vous citerais un exemple que j’ai déjà donné : la Guyane, qui est censée avoir une frontière encore plus perméable que celle de Mayotte a un RSA à 100%. Cela n’empêche pas les gens de venir. D’autant que ce n’est pas pour cette raison que nous ne pouvons pas avoir malgré tout des dispositions dérogatoires. Nous le voyons pour les allocations familiales, certains assurés qui ont des cartes de séjour doivent justifier de 15 ans de présence régulière quand c’est cinq ans ailleurs. Pour moi, il s’agit d’un faux débat. Ou bien il faudrait livrer les mêmes arguments aux Guyanais ! Non, nous ne devons pas retirer un droit sous ce prétexte-là.
FI : D’une manière générale, comment accueillez-vous cette annonce d’une nouvelle loi pour Mayotte, sachant qu’il y a déjà eu le plan de convergence, ou encore la loi pour l’égalité réelle Outre-mer en 2017 ?
CB : Si nous avons des calendriers, de nouvelles choses concrètes, c’est tant mieux ! Cela a été perçu comme un cadeau pour les Mahorais car nous fêtons les 10 ans de la départementalisation. Il s’en sont passées des choses en dix ans, nous avons vu les effets les plus drastiques, notamment du côté fiscal, et maintenant les Mahorais ont hâte aussi de voir le positif. Pas que les impératifs, mais aussi tous ces droits, et ces minima sociaux que le statut de département a à offrir. Il y a aussi un côté rassurant, qui marque cette appartenance à la République. C’est toujours important d’être rassuré, quand nous voyons que Mayotte est encore et toujours réclamée… Donc cette annonce rassure Mayotte, rassure les élus, et cela montre aussi que Mayotte n’est plus oubliée. C’est un département, et, de plus en plus, un département comme un autre.