Entre département et région, les élus de Mayotte dressent un bilan en demi-teinte

L’événement aurait pu sembler heureux. Pourtant, à l’heure de dresser le bilan des dix premières années du département, plusieurs figures politiques déplorent le manque de moyens de la région, un statut acquis dans le même temps, mais que Mayotte peine encore à exercer.

Alors que le département célèbre sa première décennie, l’heure n’est pas qu’à la fête et aux cotillons pour certains acteurs politiques du territoire. Car dans l’ombre du statut acquis depuis dix ans, plane celui de la région, dont Mayotte, collectivité unique, est censée, depuis lors, exercer les compétences. Une double casquette visiblement trop lourde pour le dernier né des départements français, à en croire ceux qui le représentent. Car aujourd’hui encore, les financements reçus pour servir les missions de la région sont dérisoires face aux défis sociaux auxquels sont confrontés l’île. D’où l’idée d’un toilettage institutionnel portée par le sénateur Thani Mohamed Soilihi.

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Avec le président du conseil départemental notamment, nous avons été nombreux à porter très fort ce projet”, insiste le parlementaire. “Le but que nous recherchons est qu’enfin, ce département-région ait les outils pour jouer pleinement et entièrement son rôle de chef de file de son propre développement. Le département doit donner l’impulsion sur le plan social, la région sur le plan économique. Le volet régional ne fait que de l’accompagnement, on constate que beaucoup d’efforts restent à faire. » Preuve en est, les projets d’infrastructures et de constructions piétinent, notamment sous l’effet d’une réforme foncière antérieure à l’acquisition du nouveau statut, mais qui demeure non aboutie.

Nous avons le statut mais pas les moyens”, résume à son tour, Abdallah Hassani, autre sénateur mahorais. “Les inégalités sociales observées à Mayotte viennent en partie du fait que nous ne pouvons pas exercer les compétences régionales, sans lesquelles Mayotte ne pourra pas se développer.” Interrogé à lui aussi à ce sujet, le député Mansour Kamardine acquiesce : “Il y a un décalage considérable entre les volontés politiques qui ont fait de Mayotte un département et les moyens mobilisés pour rattraper le retard de développement de l’île.

 

Définir une loi de programmation, une priorité

 

departement-region-elus-mayotte-bilan-demi-teinteUne poignée de jours après l’entrée en vigueur de la départementalisation de Mayotte, Daniel Zaïdani est élu conseil général du territoire. Il assiste aux premières loges à sa transformation, qu’il a suivi depuis ses prémices. “Nous nous attendions à voir s’établir à Mayotte, de façon progressive et adaptée aux réalités du territoire, le développement connu en métropole et à La Réunion. En 2001, une loi avait été adoptée pour établir un calendrier de travail sur dix ans”, se souvient-il. “La réalité, c’est que sur les dix dernières années, cette adaptation ne s’est pas faite comme envisagée.” La progressivité, quant à elle, “n’a guère avancé ces dernières années”. Et les exemples ne manquent pas : “En 2012, nous avons instauré le RSA à l’époque où j’étais président. Entre 2012 et 2015, il est passé de 25 à 50% (du montant national, ndlr), mais depuis il n’a pas progressé en dehors de la revalorisation annuelle. Si nous regardons les dernières années, il n’y a plus rien eu de progressif dans aucun domaine : en 2018, on nous avait donné un grand rendez-vous sur le code du travail, année où il devait s’appliquer à Mayotte. Mais ça a finalement été repoussé.

Alors, Daniel Zaïdani préconise une “loi programme”, à l’instar du député Kamardine. “Cela nous permettrait d’avoir des échéances, des rendez-vous, des dotations dans le but de respecter les engagements des uns et des autres entre Paris et Mayotte, parce qu’aujourd’hui, nous sommes trop soumis aux engagements du gouvernement, qui aujourd’hui, ne réagit pas plus qu’il n’agit.” Un point que ne manque pas de détailler le parlementaire : “Toutes les promesses qui ont été faites ont été aussitôt oubliées, la première d’entre elles étant la construction de la piste longue qui devrait être en fonction aujourd’hui, mais qui a été immédiatement oubliée après la départementalisation, puisqu’en 2013, elle a été repoussée à 2050 sans aucune explication”, rappelle Mansour Kamardine. “Je pense aussi à la promesse qui a été faite concernant l’égalité salariale, ou encore les aides sociales qui ne sont pas toutes étendues à Mayotte. Et quand elles le sont, ce n’est qu’à hauteur de 50%. Voilà le bilan que nous pouvons dresser, celui d’un territoire totalement à l’abandon.

Alors, à la veille de cet anniversaire malgré tout historique, 54 députés, issus de sept groupes sur les neufs que compte l’assemblée nationale, ont rédigé une tribune en guise de cadeau, intitulée “Engageons-nous à parachever le processus de départementalisation entamé en 2011”. Immigration, manque d’infrastructures, insécurité grandissante, désert médical et retard dans la mise en place du droit commun, le document balaie un large champ de problématiques. Celles-là même, qui, finalement, sont pointées du doigt depuis dix ans, déjà. Mais pour l’occasion, tous les élus du territoire, ou du moins, ceux qui répondront présents, s’entretiendront avec le ministre des Outre-mer, ce mercredi, afin de dresser un bilan de la dernière décennie à l’échelle de Mayotte.

 

Quel bilan faites-vous de la départementalisation ?

 

Youssrah Mahadali, habitante de Pamandzi de 23 ans

« Malheureusement, je n’en fais pas un constat positif… Pour ma part, on nous a vendu énormément de rêves au moment où on votait, mais entre les attentes et les choses effectuées, il y a quand même un gros fossé. Autant il y a eu des avantages, la départementalisation nous a amené un petit peu le nouvel aéroport, nous a permis d’avoir des infrastructures, ou dans des communes comme Labattoir, des espaces de loisirs, qui se mettent de plus en plus en place. Et finalement, c’est toutes ces aides de l’État et de l’Europe qui sont arrivées avec la départementalisation qui ont permis ça. Je pense aussi aux logements sociaux comme on peut le voir à Mgombani ou à Pamandzi au niveau du stade. Mais encore une fois, tout ceci reste minime face à tout ce qu’il faut faire à Mayotte. On a encore cette sensation “de ne pas être légitime” en France. Nous par exemple, en tant que jeune, quand on arrive en métropole pour les études, il faut qu’on fasse une dizaine de changements au niveau des papiers parce que la sécu n’est pas reconnue à Mayotte, parce qu’ils n’ont pas accès aux impôts de nos parents, etc. C’est plein de choses qui avaient été promises avec la départementalisation comme allant vers l’amélioration, mais en fait, on y est pas du tout. »

 

Ali Abdou Hakim, président du comité régional de basket de Mayotte

« Au niveau juridique, Mayotte est maintenant reconnue dans les ministères et à travers toutes les fédérations. Ce qui nous permet, nous dirigeants des ligues, d’être en relation directe avec les présidents de fédération, sans avoir besoin de passer par des intermédiaires. Ce statut nous permet de faire des demandes selon nos besoins en matière de formation, d’équipements ou d’accompagnement. Il faut noter que des comités existent encore sur le territoire et dépendent des ligues de La Réunion comme le tennis ou l’athlétisme. Mais la situation tend à se développer. La départementalisation a permis à l’État d’investir dans les infrastructures sportives tels que les gymnases, les plateaux couverts ou même la piscine ainsi que d’avoir notre place aux Jeux des Îles et peut-être même de les organiser en 2027. Si Mayotte obtient l’organisation, cela permettra à l’île de s’ouvrir sur sa région mais aussi à travers le monde sportif. Le ministère des sports, à travers les fédérations, facilite l’accès à la pratique du sport. En offrant des choix tels que les compétitions, les loisirs, le sport-santé, les détections des jeunes ou même les intégrations de jeunes dans les centres de formation en métropole. La communication a aussi évolué dans le milieu sportif… mais beaucoup reste à faire. Nous pouvons encore nous améliorer dans le département avec une meilleure organisation et davantage d’accompagnements au niveau des équipements et de la pratique. Nous devons offrir à notre jeunesse les choix pratiques et un peu plus de liberté dans l’expression de jeu afin qu’ils puissent réaliser leurs rêves. Pour finir, je dirais que nous avons le statut de département, mais pas encore tous les outils qui vont avec. En tout cas pour le moment. »

Baban Chelsea Papalahi

« Le processus de la départementalisation s’étend jusqu’en 2036. Il faut encore attendre 15 ans pour avoir tout ce qui compose un département français. »

Charabou Nabaouia

« Je pense que les choses se mettent en place petit à petit, mais les mentalités restent les mêmes. »

Salima Chaambany

« Mayotte avance à petits pas malgré les difficultés rencontrées sur son chemin… Elle est abandonnée par des élus qui oublient que la population lui a donné une mission : œuvrer pour le bien-être de chacun et se battre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Et ça, nous sommes loin du compte avec la politique africaine du ventre ! »

Mad James

« On a endormi la population en insistant sur les avantages et non sur les inconvénients… Jacques Chirac avait vu juste en dotant l’île du statut de collectivité départementale, sans vouloir brûler les étapes. Mais bon, peut-être que cela prendra forme avec le temps. »

Fanny Omr

« 10 ans de cauchemar ! »

Matthieu Poisson

« Ce qui est triste, c’est que la très grande majorité de la population n’a pas lu le pacte de départementalisation et a voté oui, pour ensuite se plaindre de ce qui était écrit noir sur blanc (et en plusieurs langues). La départementalisation est, à mon avis, arrivée trop tôt, Mayotte n’était pas prête. Quand c’était collectivité, il y avait moins de problème. Mayotte est française pour toujours, département ou pas. »

Isabelle Gmyrek

« Je n’ai pas l’impression d’être dans un département français, tant la différence est grande. Les Mahorais n’ont pas les mêmes privilèges économiques et sociaux que les métropolitains. Comment voulez-vous que les Mahorais s’en sortent avec des loyers et des prix à la consommation presque deux fois supérieurs à ceux de métropole et des revenus deux fois inférieurs ? Pouvons-nous envisager aujourd’hui que l’ensemble des Mahorais se soumettent à la digitalisation de leurs démarches administratives et commerciales avec des capacités d’équipements aussi insuffisantes ? Près de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté… Notre volonté de progresser est malheureusement très peu présente, ou bien stoppée par des autorités trop minimalistes ou égocentriques – faites le choix – alors que nous pouvons compter sur une jeunesse porteuse de savoir et de créativité. Bref, j’en passe… Il y a une multitude de freins qui empêchent Mayotte de briller ! »

Riava Cheik Afsar

« Jamais ce territoire, département ou pas, ne brillera tant que le peuple mahorais continuera de prendre l’État comorien pour son ennemi. L’idéologie issue des combats Serrer-la-main / Soroda est en train de s’essouffler, pendant que les ressortissants des Comores se trouvent au cœur des instances décisionnelles de votre collectivité. Rien de consistant ne se construira dans la haine née de la bipolarisation Mayotte-Comores. Aux nouvelles générations d’apaiser les tensions et de se réconcilier pour espérer un développement harmonieux de vos îles. »

Ambdi Gau

« En métropole, beaucoup de régions et de départements ont mis des années avant de devenir ce qu’ils sont maintenant. Regardez La Réunion, elle a mis presque 40 ans pour en arriver là. Après seulement 10 années de départementalisation, nous ne pouvons pas faire le même rattrapage que les autres. Soyons optimistes, voyons les côtés positifs. »

Said Said Alias

« Mayotte n’a de « département » que le nom, elle est toujours une collectivité unique, il ne faut pas se leurrer. Avant 2011, nous n’avions pas les mêmes problèmes, car nous n’avions ni les mêmes demandes ni les mêmes attentes. Aujourd’hui, l’État et le gouvernement doivent vraiment s’engager dans leurs missions à Mayotte, tout comme les élus locaux. »

Patou Martinez Sastre

« Mayotte n’était pas prête ! Pour y avoir vécu 6 ans avant la départementalisation et pour avoir des amis mahorais et comoriens, je trouve la situation actuelle bien triste… Le pouvoir est fautif, mais le peuple aussi ! »

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