Conflits sociaux, projet gazier, immigration : Jean-François Colombet tire sa révérence

Le représentant de l’État s’envolera lundi pour le Doubs, à Besançon, où il doit prendre ses fonctions le 12 juillet en tant que préfet, dans cette région industrielle de Bourgogne Franche-Comté aux enjeux bien différents de Mayotte. Avant de quitter officiellement le territoire, Jean-François Colombet revient pour Flash Infos sur ses deux années à la tête de la préfecture.

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Flash Infos : Arrivé en juillet 2019 à Mayotte, vous aviez déjà une expérience des Outre-mer à La Réunion et en Guadeloupe, mais c’était votre premier poste de préfet. Et en deux ans, presque un record de longévité pour le département, vous avez vécu un an de crise sanitaire, sans compter les nombreux épisodes de violences, les grèves… Un baptême du feu, cette expérience ? Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ?

Jean-François Colombet : Un baptême du feu, non, on ne peut pas dire ça ! Il faut regarder le parcours complet, j’étais secrétaire général de la préfecture de Haute-Garonne, sous-préfet de Toulouse, avec ses 1,49 million d’habitants, directeur de cabinet du préfet en Alsace où j’étais quasiment préfet de police de Strasbourg, dans une ville très touchée par la radicalisation et la délinquance… Donc non, même s’il s’agit de mon premier poste en tant que préfet, dans le corps préfectoral, grâce au compagnonnage, on est formé par ses emplois successifs, on est préparé. Certes, c’est un premier poste difficile, Mayotte. C’est peut-être même le poste le plus difficile de la République. Mais on n’arrive pas là sans connaître les responsabilités. Il est vrai que l’adversité est présente à chaque instant, les défis à relever sont très nombreux et il y a bien sûr une attente très forte et légitime de la population.

Globalement, je dois dire que pendant ces deux années, nous avons maintenu une cohésion sur l’île par rapport aux secousses des années présentes, en 2018, en 2011… J’ai toujours veillé à ce que la convergence n’existe pas entre les violences urbaines et les conflits sociaux. Cela a vraiment été mon point de vigilance, à tel point que je me suis investi personnellement dans la résolution des conflits qui ont marqué ces deux années. Je pense par exemple au conflit des sapeurs-pompiers, vous vous en souvenez sûrement, celui de BDM l’année dernière, ou encore celui des transports scolaires. Y compris jusqu’à la semaine dernière, où il a fallu réagir très vite pour mettre fin aux barrages. Bref, cela a été mon combat le plus sensible, d’éviter que la violence urbaine se mêle aux revendications sociales, qui sont normales en soi.

FI : Le principal fléau de Mayotte, la délinquance, suscite encore énormément d’attentes. On se souvient qu’une déclaration d’Annick Girardin en 2020, alors ministre des Outre-mer, avait provoqué un tollé en affirmant que les faits de délinquances étaient en baisse. Non seulement, ce n’était pas le ressenti de la population, mais le bilan 2020 de la délinquance a plutôt montré le contraire. Après deux ans à Mayotte et malgré les nombreux moyens mis sur la table, comment expliquez-vous qu’on ne parvienne pas à endiguer ce fléau ?

conflits-sociaux-projet-gazier-immigration-jean-francois-colombet-tire-sa-reverenceJ.-F.C. : Cette violence n’est pas nouvelle. Sur les vingt dernières années, le sujet n’a eu de cesse de défrayer la chronique, il suffit de jeter un œil à l’INA pour s’en convaincre. Deuxièmement, Mayotte, je le dis souvent, a connu en dix ou quinze ans des évolutions considérables, telles que la société n’en avait pas connu pendant deux siècles. Comme par exemple, la disparition de l’influence des cadis, ou bien, me disait-on, le fait que le village éduquait les enfants, toujours placés sous le regard des adultes même sans lien de parenté. Ce sont autant de repères qui se sont dispersés, et il faut donc que la société mahoraise se réadapte. Ensuite, faut-il le rappeler, 60% de la population a moins de 25 ans. Avec cette donnée en tête, vous comprenez bien que nous sommes sur un territoire totalement éruptif ! Nous sommes confrontés à Mayotte à quatre défis, et le premier, c’est bien sûr l’éducation. Trop de jeunes encore ne sont pas intégrés dans le système éducatif. Le deuxième sujet, c’est la parentalité. J’ai tenté de m’y atteler en ouvrant des maisons de la famille et de parentalité, pour épauler ces personnes et les aider à suivre leurs enfants difficiles. Enfin, troisième défi, celui de la répression : il faut que nous ayons un dispositif plus adapté. Je trouve que la réaction de l’autorité judiciaire a pu être faible par le passé. Les choses évoluent mais les réponses ne sont pas toujours au rendez-vous. Reste enfin le défi de l’insertion, compétence qui relève davantage du conseil départemental et de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ceux qui ont les clés de chacun ces défis doivent continuer à travailler ensemble comme nous avons commencé à le faire. Cela montre ses effets, même s’il faut du temps pour éradiquer l’ultra-violence. Il faut rester optimiste pour enfin arrêter que des bandes de jeunes d’un village aillent affronter les bandes de jeunes d’un autre village. Pour que l’État ne soit plus obligé d’affecter tous les jours des gendarmes mobiles pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de tuerie, car c’est bien de cela que l’on parle.

FI : Vous êtes arrivé en juillet 2019, au moment de la signature de l’accord-cadre avec les Comores. Deux ans plus tard, est-ce que ce partenariat s’est montré à la hauteur des attentes ?

J.-F.C. : L’accord-cadre commence aujourd’hui à se développer. Quelques millions d’euros ont été engagés et je le dis franchement : je pense que l’Union des Comores commence à faire des choses intéressantes et dont nous ressentons peu à peu les effets à Mayotte. Il faudra persévérer et je reste prudent, mais je crois que nos voisins sont sur une tonalité beaucoup plus partenariale. De notre côté, le dispositif Shikandra annoncé par le président de la République rencontre des effets très concrets. Ce n’est pas encore 100% satisfaisant, mais quand je regarde les interpellations au temps de mon prédécesseur, nous sommes passés de 1.691 entre janvier et mai 2019, à un bilan de 3.066 interpellations en 2021 pour mon équipe et les forces engagées. C’est presque le double ! Même chose pour les passeurs – 63 avaient été arrêtés en 2019, contre 179 entre janvier et mai 2021 -, pour les kwassas et pour les moteurs détruits ! Cela montre une avancée très positive sur ces sujets. Un autre signe : les kwassas que nous interceptons ont des moteurs moins puissants, ils sont en plus mauvais état. Et les passeurs sont de plus en plus agressifs, ce qui rend d’ailleurs les opérations délicates. On argumente souvent que les gens reviennent, ce n’est pas vrai. Ce n’est plus vrai. D’ailleurs, le prix de la traversée a augmenté. Sur 100 embarcations, nous interceptons aujourd’hui 80 bateaux et cela s’améliore grâce à l’avion que j’ai mis en place et que le ministère de l’Intérieur a accepté de financer pleinement. Nous avons donné un élan nouveau, plus performant, plus efficace à la lutte contre l’immigration clandestine. Nous avons aussi supprimé des titres de séjour, plus d’une centaine à ce jour. Et nous allons continuer à détruire les bidonvilles. Il y a encore une opération cette semaine et un programme ficelé après mon départ, qui ne laissera pas mon successeur sans ressource, je vous le garantis ! Et concomitamment, il faut bien sûr développer l’hébergement temporaire, nous avons aussi un programme sur ce sujet. Donc je pense que le bilan est positif, qu’il faut maintenir nos efforts, et d’ici une dizaine d’années, nous en sentirons les bénéfices.

FI : Mayotte est aussi un territoire en plein développement, avec pour preuve les créations d’entreprises qui atteignent de nouveaux records chaque année. Qu’est-ce qui illustre le plus ce développement selon vous ?

J.-F.C. : L’économie mahoraise est la plus dynamique des économies ultramarines. Le taux de création d’entreprises, qui était loin derrière, devance aujourd’hui ceux de la Martinique et la Guadeloupe et talonne celui de La Réunion. Les clignotants se mettent au vert les uns après les autres. Il y a le civisme fiscal qui progresse, de plus en plus de gens qui accèdent à l’emploi… Ce sont d’excellents signes. Et cela nous pose d’ailleurs des enjeux sur les plans de l’énergie et de l’eau sur lesquels il faudra avancer. Dans tout cela, ma plus grande satisfaction reste d’avoir pu arrimer le groupe Total à Mayotte. Nous l’avons fait à bas bruit, mais la base arrière du gaz du Mozambique, pour Total, ce sera Mayotte, c’est signé. La prochaine cible : les Américains, titulaires du deuxième lot. S’ils savent qu’à 400 kilomètres du gisement, il y a une île qui s’appelle la France, qui s’appelle Mayotte, croyez-moi, ils n’hésiteront pas à venir chercher leurs ressources arrières ici. De quoi générer des flux de salariés, qui transiteront à Longoni, et pourquoi pas, si la piste longue entre dans ces plans, imaginer un hub vers l’Asie. Et si nous sommes capables de bricoler un package touristique avec Madagascar et les autres, nous pourrons capter cette clientèle, et commencer à développer un tourisme qui ne soit pas seulement affinitaire. Les perspectives sont énormes pour Mayotte !

FI : Vous avez aussi animé la consultation des forces vives pour la future Loi Mayotte. Une loi programme qui a suscité son lot de critiques. Entendez-vous cette forme de résignation d’une partie de la population ? Pensez-vous que cette consultation ait fait émerger des idées nouvelles et pourront-elles vraiment trouver une déclinaison concrète ?

J.-F.C. : Je comprends la réticence. Nous avons fait venir tellement de missions d’inspection générale sur cette île avec de haut fonctionnaires qui passent trois jours et disent ensuite ce qui est bon pour les Mahorais… Aujourd’hui, la population est prudente, mais personnellement, je crois dans ce projet de loi. J’ai pu mesurer pendant ces deux ans à quel point nous sommes soutenus par le ministre des Outre-mer. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas encore venu qu’il a délaissé Mayotte, bien au contraire. Nous sommes aussi très soutenus par le ministère de l’Intérieur, je vous l’ai dit avec l’avion que nous avons réussi à pérenniser, et également par le ministère des Solidarités et de la Santé, nous l’avons vu avec cette crise sanitaire. Par Matignon, également. Certes, ce projet de loi ne sera pas adopté avant la fin du mandat, le ministre l’a toujours dit. Mais s’il est approuvé en conseil des ministres, il s’imposera à tout le monde quel que soit le titulaire de la présidence. De la même façon qu’Emmanuel Macron a appliqué en Guyane le plan prévu par François Hollande. Et tant mieux ! Car ce projet de loi contient des choses intéressantes sur le renforcement de l’État régalien, sur la sécurité, l’adaptation des textes, sur la LIC, des choses aussi sur la convergence sociale, sur les prestations sociales, qui s’imposent aujourd’hui comme une évidence. De plus, certaines propositions peuvent être mises en œuvre sans attendre. L’idée de consulter les maires avant de délivrer un titre de séjour, je l’ai très souvent entendue pendant la consultation, et elle n’est pas mauvaise. Pour les autres propositions, je pense que le gouvernement a l’intention d’avancer très vite, même s’il faut du temps pour traduire les 580 idées en articles de loi. Nous verrons ce que le ministre annoncera quand il viendra.

FI : Vous avez dit que vous partiez vous coucher découragé tous les soirs et repartiez motivé le matin. Quel est votre plus grand regret et votre plus grande satisfaction ?

J.-F.C. : Des satisfactions, j’en ai eues beaucoup et les Mahorais me le rendent. Cela me touche énormément. On est confronté à tellement de difficultés que le soir c’est difficile, quand on voit que les choses n’avancent pas aussi vite qu’on le voudrait, qu’elles ne sont pas aussi efficaces, que les situations ne se règlent pas comme on le souhaiterait… Mais cela donne envie de vous battre et moi je me suis battu jusqu’au bout ! D’ailleurs, je voudrais bien être ambassadeur de Mayotte, si l’on me confiait cette mission, pour porter les intérêts du département auprès des autorités que je fréquenterai dans mes nouvelles fonctions. Mais je dois dire que ma plus belle satisfaction – cela peut sembler un peu techno, je vous l’accorde – c’est le GIP (groupement d’intérêt public). J’ai eu le soutien du gouvernement, et le conseil départemental a eu l’intelligence de comprendre les enjeux, et c’est acté, ce GIP est créé. Et il fonctionne, avec une direction à 50/50 État, conseil départemental. Résultat, en 2027, cela apparaîtra comme une évidence que le Département devienne autorité de gestion en bonne et due forme. Et cela va nous permettre de capter les dizaines de millions d’euros d’assistance technique que nous n’avons jamais consommés à Mayotte, pour recruter des Mahorais et des cadres de haut niveau, de façon à ce que nos engagements et nos paiements soient plus forts encore, et à ce que des entreprises plus modestes puissent avoir la possibilité d’accéder à ces fonds européens. C’est une grande satisfaction, car nous avons ainsi préparé l’avenir sans faux débat, nous avons avancé ensemble avec le conseil départemental. Bien sûr, il y aura des gens qui voudront casser cette initiative, car cela ne servira pas les intérêts de tout le monde. Mais cela servira les intérêts de Mayotte. Et c’est ce qui m’importe.

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