Avec un ton marrant, et sans trop détailler, un religieux comorien a cité un verset du coran, le livre sacré des musulmans, pour justifier ce qu’il avançait. Mais ce discours passe mal, notamment chez la communauté des prédicateurs, dont certains dénoncent une interprétation dangereuse et erronée.
En cette période de ramadan, après le « Ansr », la troisième sur les cinq prières qu’accomplissent quotidiennement les musulmans, les fidèles comoriens se retrouvent dans les mosquées pour suivre une traduction du coran, le livre sacré de l’islam, religion officielle des Comores. Dans la capitale de l’Union, Moroni, il y a un prédicateur qui fait beaucoup parler de lui ces derniers jours pour des propos qu’il a tenus, qualifiés de « misogynes ». Dimanche, alors qu’il est entouré des fidèles, le prédicateur Omar Said Cheikh Dahalani a ouvertement incité les hommes à frapper leurs épouses. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, on l’entend affirmer sans gêne que lever la main sur les conjointes jusqu’à les blesser est une façon d’asseoir l’autorité de l’époux, évoquant un verset du coran, sans pour autant le détailler. C’est aussi une preuve d’amour, ajoutait-il, tout en se marrant. Les hommes qui étaient présents à la mosquée ce jour-là, eux, en rigolaient. Comme si le discours du prédicateur, habitué aux slogans provocateurs et comiques, n’avait rien d’anormal.
« Violence conjugale »
Dans la foulée, le message est passé presque inaperçu, en dépit de son caractère « violent ». Toutefois, quelques heures plus tard, des voix ont commencé à s’élever pour dénoncer cet appel à la « violence conjugale ». « Accepter de telles paroles revient à les cautionner. Il est impératif de cesser de plaisanter sur des comportements qui ne devraient pas être tolérés. Une interprétation erronée des faits pourrait compromettre l’avenir de nos enfants, en particulier les filles. Il s’agit en réalité d’une incitation à la violence conjugale », a fustigé dans un commentaire, un internaute répondant au nom d’Abdoul Anziz. Beaucoup de militantes ont également réagi. La chanteuse Ahmed Hassane Royidat, a aussi exprimé son indignation. « Les femmes sont fatiguées je vous le dis. Priorisez le dialogue, car la violence tout le monde peut en faire usage. Il faut savoir que les femmes d’aujourd’hui ne sont plus celles d’antan, lesquelles subissaient au nom d’un un soi-disant honneur de la famille », a écrit la jeune femme sur son mur Facebook, tout en rappelant que le prophète Muhammad, la référence pour toute la communauté musulmane, n’a jamais levé la main sur aucune de ses épouses.
Des propos que partage un prédicateur de Moroni qui dénonce une interprétation dangereuse de son collègue. « Il ne mesurait pas la portée de son discours. D’ailleurs, lui n’oserait pas frapper son épouse. Il y a des prédicateurs qui font une lecture ancienne du noble coran. Alors que dans celui-ci, la partie qui évoque ce sujet est trop détaillé. En tout cas, ce religieux ne nous représentait pas », a souligné notre interlocuteur selon qui cet appel à la violence est contraire aux lois internationales et nationales qui répriment les abus dont sont victimes les femmes.
Personnalité très respectée, aussi bien en France qu’aux Comores, le théologien, Mohamed Bajrafil, est monté lui aussi au créneau. Répondant à des questions qui lui ont été posées par certains médias, l’ancien imam franco-comorien a partagé son point de vue sur ce verset coranique, dont il est question. « Dans le coran, contrairement à l’animal, Dieu fait appel à la raison de l’homme dans tout ce qu’il lui dit de faire, afin qu’il comprenne d’abord. Cet aspect échappe à beaucoup de gens, qui oublie que si Dieu voulait un robot qui ne réfléchit pas sur son message, il se serait adressé à l’animal ou aux anges, dont la nature est de ne pas chercher à questionner les ordres du créateur », a d’abord relevé l’homme âgé de 46 ans, dont quatorze passés dans les prêches à la mosquée d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Contextualiser le coran
Le spécialiste du droit musulman, connu des plateaux télé français, où il débattait avec l’extrême droite, insiste sur l’importance de contextualiser le coran, qui interagit avec les contemporains de sa révélation, tout en tenant compte des réalités de ceux-ci. « Le prophète Muhammad n’a jamais frappé personne, sauf pendant les batailles, encore moins ses épouses. Il avait fermement interdit à ses compagnons de le faire », a martelé, Mohamed Bajrafil ajoutant que beaucoup de savants religieux ont affirmé qu’il est interdit de lever la main sur sa femme quand bien même, celle-ci désobéit aux ordres de son conjoint. « L’humain ne peut être honni, déshonoré, ou traité comme un moins que rien, qu’il soit grand ou petit, blanc ou noir, pour quelques raisons que ce soit, à part s’il se comporte ainsi à l’endroit d’un de ses semblables », a enchaîné l’ambassadeur comorien auprès de l’Unesco. Une façon de balayer l’argument avancé par le prédicateur selon qui violenter la femme serait une preuve de supériorité de l’homme au sein du foyer.
À propos du verset 34 de la Sūrat 4, où il est fait mention d’une autorisation de « frapper » la femme, le théologien rappelle ceci. « Dans une société patriarcale, comme fut celle des Mecquois, il a été concédé au mâle un peu de pouvoir symbolique sur sa femme. Mais nombre d’exégètes musulmans étaient clairs qu’il ne fallait pas faire mal. Si jamais cela arrivait, la femme pouvait porter plainte ou demander le divorce. D’autres vont plus loin concluant que dès lors que porter une marque sur la peau de l’épouse est un déshonneur, alors frapper est interdit. » Pour le moment, malgré la polémique, le Muftora (plus grande autorité religieuse du pays) comorien n’a pas réagi.