Comores : Regard critique et…humoristique sur la présidence de l’Union africaine et la ZLECAF

« Le colonel Assoumani Azali a été désigné président de l’Union africaine pour un an, le 18 février, après le retrait énigmatique de la candidature du Kenya qui avait convoité pendant plusieurs mois ce poste dévolu à l’Afrique de l’Est pour l’exercice 2023-2024. Un petit pays par la taille, le nombre d’habitants (moins d’1 millions de personnes) et le niveau économique aura à « présider » aux destinées d’un continent peuplé d’1,4 milliard d’habitants au titre d’une région composée entre autres de l’île Maurice, de la Tanzanie et du Kenya qui sont des géants sur les plan économique, démographique et politique par rapport aux Comores. Nombreux, à commencer par l’heureux récipiendaire, considèrent cette nomination comme une première dans les annales diplomatiques.

Certains se hasardent à mettre cette nomination au crédit d’une diplomatie …dont le chef est inexistant et inaudible sur la scène diplomatique, empêtré qu’il est dans un scandale sur une fraude aux prestations sociales dans le département français de la Réunion. Comment peut-on parler de succès diplomatique alors que nous perdons de plus en plus de soutiens y compris dans notre région dans le contentieux qui nous oppose à la France au sujet de l’île comorienne de Mayotte ? L’ouverture d’un bureau de coopération décentralisée de Mayotte à Antananarivo le 20 février 2020 en présence du ministre français des Affaires étrangères d’alors, Jean-Yves Le Drian d’une part et le choix de Mayotte fin juin 2022 comme lieu de négociation et de signature d’un nouvel accord de services aériens entre la France et la Tanzanie d’autre part, illustrent un isolement diplomatique croissant des Comores. Faut-il rappeler que Madagascar est membre du Comité des 7 (Gabon, Madagascar, Cameroun, Algérie, Mozambique et Comores) créé par l’OUA en 1976 pour porter haut la revendication comorienne au sujet de Mayotte ? Que la Tanzanie, place forte du panafricanisme et berceau des premiers mouvements indépendantistes comoriens, ait daigné se rendre à Mayotte pour signer un accord avec la France est emblématique de l’échec de notre diplomatie. Personne ne nous écoute. Ni en Afrique ni ailleurs.

Une intervention attribuée à la France

D’autres, plus réalistes, attribuent à la France la paternité de la nomination du colonel Assoumani Azali à la présidence de l’Union africaine. C’est le cas du journal le Monde qui a indiqué que « Nairobi a fini par retirer sa candidature après une série de tractations et une discrète demande de la France. Paris s’est activé en coulisses pour refréner les ambitions de William Ruto, tout juste élu président du Kenya, et laisser le champ libre à l’archipel ». Toutefois, je ne suis pas d’accord avec ceux qui affirment ou suggèrent que la France a fait élire le colonel Assoumani Azali pour exécuter son agenda au sein de l’Union africaine. La présidence de notre organisation continentale est une charge symbolique. Le président de l’Union Africaine ne peut en aucun cas se substituer aux chefs des États membres pour engager ces derniers sur la scène internationale. C’est la Conférence des chefs d’État et de gouvernement et non le président de l’Union africaine qui est l’organe suprême de décision et de définition des politiques de l’Union africaine. Le président de l’Union africaine est un « primus inter pares », c’est-à-dire c’est un premier parmi les pairs. Il préside l’Union africaine sans avoir de pouvoirs propres. 

Les statuts de notre organisation continentale diffèrent de ceux de l’Union européenne qui est une union politico-économique qui dispose de compétences propres qui lui sont déléguées ou transmises par traité par les états membres. La France n’a pas besoin du colonel Azali ni pour défendre ses intérêts au Sahel ni pour obtenir l’alignement du continent sur ses positions au sujet du conflit russo-ukrainien. La France connaît parfaitement les pays dont la voix compte en Afrique, qu’ils assurent ou pas la présidence de l’Union africaine. Il s’agit de la Tanzanie, de l’Egypte, du Maroc, de l’Algérie et de l’Afrique du Sud. Ces 2 derniers l’ont prouvé ce samedi 18 février en obtenant l’expulsion de la représentante d’Israël de la salle où se tenait le Sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine malgré son statut d’observatrice et un badge d’accès à la conférence. 

La France a-t-elle fait hisser le colonel Azali « au sommet » de l’Afrique pour le récompenser pour ses bons et loyaux services ? C’est plausible même si j’ai des doutes. En tout cas l’intéressé en est satisfait. La charge est symbolique mais elle suffit au bonheur du dictateur. Il est le seul à avoir exercé la magistrature suprême des Comores à plusieurs reprises. Il considère cela comme un exploit malgré un bilan nul. Le voici nommé Président de l’Union africaine. Encore un exploit pour sa gloire personnelle et pour le hayssa de ses partisans.

Le « marabout » de Macky Sall ?

Et si la vérité se trouvait dans les propos tenus par son ami et prédécesseur Macky Sall lors du passage de relais ? Le président du Sénégal a présenté son homologue comorien comme « son marabout », entendez « sorcier ». Le colonel Azali a vanté lui-même ses compétences en matière de sorcellerie auprès du président Macron lors de la célébration de la fête nationale française le 14 juillet 2022. Les faits lui donnent raison. La population comorienne est anesthésiée malgré la faillite de l’enseignement, la déliquescence du système de santé, la hausse de la criminalité, la violation des libertés publiques et individuelles, les pénuries, la vie chère (inflation supérieure à 18 %entre novembre 2021 et novembre 2022), l’augmentation de la précarité, le creusement des inégalités et les fréquentes coupure d’eau et d’électricité. L’opposition multiplie les erreurs stratégiques et marque souvent contre son camp. 

Ceux qui estiment que les Comores n’ont rien à vendre aux autres états africains et s’interrogent donc sur l’intérêt pour les Comores de ratifier le traité instituant la ZLECAF (Zone de Libre Echange Continentale Africaine) doivent comprendre, à la lumière des propos du président sénégalais, que nous avons une expertise reconnue à l’international que nous pouvons exporter en Afrique sans subir des droits de douane en application de l’article 4 dudit traité. Nos sorciers, à commencer par notre président, sont les meilleurs du monde. Notre sorcellerie peut être assimilée à un commerce de service et sera à ce titre régie par l’article 4 du traité instituant la ZLECAF. Ils pourront voyager librement dans l’espace ZLECAF pour fournir leurs prestations en franchise de droits de douane. Ils pourront également faire entrer dans cet espace sous ce même statut nos « mrimdu » et nos « mwatrani » qui sont plus efficaces et plus compétitifs que les arbustes des bords du Nil, de la forêt équatoriale congolaise, de la savane zambienne et de la steppe sénégalaise. Pour terminer, nos sorciers pourront prescrire à leurs clients des soins complémentaires sur les bords du lac Nyamaouiyi. Ce tourisme maraboutique, oups je voulais dire médical, sera une formidable source d’entrée de devises aux Comores. Je parie fort que ces touristes africains dépenseront plus chez nous que les 1.040 touristes européens du bateau de croisière MS Artania.

Aucun service n’étant gratuit dans ce monde, nos sorciers, à commencer par leur chef, devront prévoir de reverser une partie de leurs honoraires au publicitaire Macky Sall à titre de rémunération de ses services. »

Cheikh Ali Abdourahamane, juriste et représentant en France du parti Chouma

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