Le correspondant de RFI à Moroni, un journaliste de Facebook FM, ainsi que la vice-présidente du syndicat des journalistes comoriens, ont été convoqués à la gendarmerie après avoir relayé et révélé des faits d’attouchements qui auraient été commis à l’office de radio et télévision des Comores (ORTC). Le directeur de l’information de la télévision publique est également attendu à la brigade des recherches, ce lundi 6 février.
Du nouveau dans l’affaire d’attouchements qui éclabousse l’office de radio et télévision des Comores (ORTC). Depuis le jeudi 2 février, la gendarmerie nationale a entamé des auditions non pas des présumées victimes, mais des journalistes qui ont révélé l’existence de ces pratiques. Parmi les reporters convoqués, Abdallah Mzemababa, correspondant à Moroni de la Radio France Internationale, Oubeidillah Mchangama du très populaire média en ligne Facebook FM, ainsi qu’Andjouza Abouheir, vice-présidente du syndicat des journalistes comoriens. Ils ont tous passé la matinée de jeudi à la brigade des recherches. Sur place, Andjouza Abouheir, ressortie libre après trois heures d’audition, a appris qu’elle faisait l’objet de deux plaintes. La première a été déposée au parquet par l’ORTC pour « injure et diffamation ». Pendant que la seconde émane d’Hablani Assoumani. Ce dernier, qui est le directeur opérationnel de la télévision nationale accuse la numéro 2 du syndicat d’avoir tenu des propos mensongers à son encontre. Cela fait deux semaines, que ce cadre de la télévision publique dénonce une machination ourdie contre lui. Dans un post publié, le 20 janvier, sur son mur Facebook, il a clamé son innocence dans cette affaire. « Je déclare haut et fort que je suis diffamé. Je tiens à rassurer mes proches et leur dire que je suis serein. Parce que lorsqu’on n’a rien à se reprocher, on a la conscience tranquille. Personne ne peut m’intimider sur la base de contre-vérités. Par ces écrits, je ne cherche pas à convaincre ni à persuader sur mon innocence, mais je demande à ceux qui sont doués de raison de cogiter sans passion, sur cette campagne de nuisance », se défendait-il.
Pas de nom
Le 17 janvier 2023, le syndicat national des journalistes comoriens, avait interpellé le chef de l’État lors des vœux de nouvel an sur des actes d’attouchements et d’harcèlements dont seraient victimes des jeunes journalistes de la télévision des Comores. « Une information faisant état d’attouchements évidemment non consentis, par au moins un homme, un supérieur, sur des jeunes femmes, évidemment de position hiérarchique inférieure, nous a été remontée. Nous savons aussi que ce même homme promet des promotions à ces jeunes femmes si elles se laissaient faire », a révélé la vice-présidente du syndicat, Andjouza Abouheir. Une déclaration qui avait irrité le locataire de Beit-Salam. A cette occasion, la journaliste de La Gazette des Comores, n’avait en revanche pas mentionné de nom. Présomption d’innocence oblige. Dans sa dépêche, publiée le 18 janvier, le tout nouveau correspondant de RFI, Abdallah Mzembaba, s’était lui aussi contenté de relayer l’information, citant seulement le discours, sans désigner quelqu’un. Des précautions qui ne lui ont pas permis d’échapper aux ennuis puisqu’il a été entendu ce vendredi. Cet ancien rédacteur en chef Al-Watwan est visée par une plainte déposée encore par le directeur opérationnel de la télévision nationale se disant victime de diffamation. Quant à Toufeyli Maecha, actuel secrétaire de rédaction de La Gazette des Comores et en même temps directeur de l’information à l’ORTC, il devra se présenter à la brigade des recherches ce lundi matin. Même rendez-vous pour Oubeidillah Mchangama, par ailleurs journaliste de la radio RCM13. Des convocations en cascade qui ont poussé le syndicat à réagir. Dans une déclaration faite jeudi dernier devant la presse, la présidente de l’organisation, Faïza Soulé Youssouf a encore une fois dénoncé les pratiques d’attouchements que s’adonneraient « certains » responsables de la chaîne publique.
Intimidation
La correspondante de Mayotte la 1ère a rappelé que ces actes répréhensibles ne datent pas d’hier, mais qu’ils existent au contraire au sein de la télévision nationale, depuis fort longtemps. En effet, dans le premier livre consacré à l’histoire des médias comoriens, publié en 2022, on a rapporté de nombreux témoignages glaçants d’harcèlements commis à l’ORTC. « Ailleurs, si de telles révélations sont faites, la justice ouvre une enquête pour rechercher les victimes. Malheureusement, aux Comores, depuis que cette affaire a éclaté, seuls les journalistes sont inquiétés et menacés de poursuites. Nous appelons donc le directeur de l’ORTC à lutter plutôt contre ces abus. C’est d’ailleurs l’objectif de notre alerte », a ajouté la présidente du syndicat, dénonçant au passage ces intimidations devenues monnaie courante ces temps-ci. Pas plus tard que le 19 janvier dernier, le secrétaire général du parti au pouvoir, Youssoufa Mohamed Ali, intimait les journalistes du quotidien de service public Al-Watwan de ne jamais critiquer le pouvoir au motif qu’ils sont payés par l’argent du contribuable comorien. Alors que l’année 2022 s’était achevée sans arrestation de journalistes, l’on est en droit de demander si la tendance ne serait pas en train de changer au vu des évènements de ces dernières semaines. Jusque-là, le ministère comorien de l’Information ne s’est pas exprimé. Seules l’ambassade de France aux Comores et l’Union européenne ont apporté un soutien aux journalistes. Dans un tweet post, jeudi, la chancellerie appelle à la protection des lanceurs d’alerte qui signalent publiquement des informations d’intérêt public. Une prise de position assimilée par certains internautes à « une ingérence ».