En dépit de près de trois milliards de francs comoriens dépensés -plus de six millions d’euros- pour procéder aux révisions des groupes électrogènes, des régions des Comores vivent au rythme des délestages. Dans la capitale, Moroni, des entreprises sont obligées de fermer les portes dès midi, faute de courant.
Le 12 août, les femmes d’Ikoni, ville voisine de Moroni, en ont eu marre de dormir dans le noir. Bougies à la main, ces dames ont manifesté chez elles, pour dénoncer les coupures d’eau mais surtout les délestages devenus de plus en plus récurrents. Malgré sa proximité avec la capitale de l’Union, Moroni, Ikoni, vit un rythme intenable. « Nous passions une semaine tout entière sans électricité. Mais ces jours-ci, le courant est là, de minuit à 6h du matin, puis de 8h à 17h. Là, c’est une amélioration, comparé à ce que nous avons traversé », explique, Nawir, habitant d’Ikoni, l’une des quatre plus grandes villes de la Grande Comore. Certes, une seule marche de protestation a été organisée ces derniers temps, mais cela ne veut pas dire que le reste du pays est épargné.
C’est pour cette raison que le nouveau ministre de l’Énergie, Aboubacar Saïd Anli, a mis en place, un comité technique ad hoc au sein même de la société nationale de l’électricité des Comores (Sonelec). Sa mission est d’assurer la préparation, la mise en œuvre et la coordination technique des activités liés à toutes les opérations en lien avec les révisions des groupes thermiques de la Sonelec. « Le comité technique se charge de faire le diagnostic des besoins en maintenance des seize groupes électrogènes. Il doit aussi assurer la fourniture des pièces de rechange pour lesdites révisions conformément au diagnostic des besoins cité ci-dessus, de maintenir la qualité et la conformité des pièces de rechange fournies », poursuit l’article 2 de l’arrêté, publié le 16 août.
Si l’État comorien, toujours pointé du doigt à cause de son incapacité à fournir régulièrement de l’électricité, espérait susciter de l’espoir en mettant en place ce comité, le pari est loin d’être gagné. D’abord parce que les membres de cette équipe technique héritent seulement des missions du comité en charge de la passation des marchés public, selon un agent de la société nationale de l’électricité des Comores. Donc des tâches purement administratives sans impact. « Les gens se sont très vite affolés en apprenant la mise en place de ce comité. Beaucoup ignorent hélas que les missions définies dans l’arrêté sont celles autrefois réservées à notre cellule en charge des marchés. C’est un travail de coordination des activités. La seule nouveauté c’est que les membres sont un peu plus nombreux alors qu’avant ce travail était confié à deux agents », fait remarquer notre interlocuteur. Il souligne au passage que ledit comité n’est pas là pour gérer la Sonelec à la place du directeur général, Soilihi Mohamed Djounaid, maintenu, malgré les appels au limogeage de l’opinion.
« Les pièces remplacées n’ont rien résolu »
A entendre notre source de la Sonelec, les délestages persistants qui frappent le pays sont causés par une mauvaise révision des groupes. « Tout cela par manque de compétence de nos techniciens. Nous sommes confrontés à un problème de production. Les pièces de révision remplacées n’ont rien résolu. Maintenant, ils se contentent de procéder à des rafistolages pour maintenir le fonctionnement des groupes, malgré les trois milliards de francs comoriens débloqués », déplore, notre informateur.
Le bémol, même dans la capitale, les coupures sont récurrentes et pénalisent les entreprises. « Depuis 9 h, nous étions là à ne rien faire. Nous avons dû demander aux patients de rentrer chez eux et fermer à 12 h. Mardi, c’était la même chose, tout le monde est rentré car les délestages étaient intenables », a confié, ce jeudi Amina, assistante dans un cabinet dentaire situé, au nord de Moroni.
Même au tribunal de Moroni, les travaux sont impactés. « Parfois, ils passent toute la journée les bras croisés. Car impossible de rédiger les jugements. Le groupe électrogène de l’institution, alimente seulement une partie du tribunal », a rapporté, un magistrat. « Souvent en cette période de juillet à août, je croule sous les commandes des petits fours destinés aux mariages. Mais cette année, je n’ose pas enregistrer des commandes importantes par peur de ne pas être en mesure d’honorer mes engagements », complète Naïma, cadre dans une société de télécom mais qui par ailleurs mène ses activités de pâtissière. Dans les régions reculées, le rationnement est on ne peut plus catastrophique. « Nos radios fonctionnent au rythme des coupures. Des ateliers de menuiserie, des cybercafés, en paient les prix. Le plus souvent, nous avons droit à deux heures de courant durant la journée, de 13 h à 15 h », a témoigné un journaliste résidant au nord de la Grande Comore. A Anjouan, seule la capitale de l’île est bien lotie.
Les pâtisseries, commerçants impactés
« De 7 h du matin à 14 h, nous avons du courant. Mais au-delà, il nous arrive de rester là à attendre pendant quatre voire six heures. Donc les autorités doivent multiplier les efforts pour nous assurer une fourniture durable », plaide un commerçant spécialisé dans la vente de produits carnés, installé à Mutsamudu. Djazilidine, un réparateur de téléviseurs renchérit. « Ces temps-ci, ils nous envoient l’électricité de 8h à 14h. Mais souvent, ils coupent toutes les trente minutes. A ce rythme, je suis obligé de piocher dans mes économies car je ne peux pas laisser ma famille mourir », a déploré, le technicien.
Ce qui choque le plus la population, c’est que le gouvernement depuis le retour au pouvoir d’Azali Assoumani débloque tous les ans des milliards de francs comoriens au profit du secteur de l’énergie sans pour autant parvenir à éclairer les foyers. Pas plus tard qu’au mois de novembre 2023, l’État avait annoncé le déblocage de près de quatre milliards de francs comoriens (8.132 millions d’euros) pour l’achat de groupes électrogènes ainsi que les pièces de rechange. Huit mois plus tard, la population n’a pas constaté une amélioration. Pire, on dit aussi que le nouveau comité technique ad hoc, va une énième fois, obtenir des financements pour procéder encore à des révisions des groupes. Le comble, la plupart des membres de cette commission, excepté un seul ressortissant étranger, sont tous des employés de la Sonelec. Donc comme a titré le quotidien La gazette des Comores, dans son article de ce jeudi : « On reprend les mêmes, et on recommence ».
Journaliste presse écrite basé aux #Comores. Travaille chez @alwatwancomore
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