Selon le Canard enchaîné, le ministre français de l’intérieur, prévoit de procéder à une vaste opération de destruction des maisons des sans-papiers. Avec l’aval de l’Élysée, près de 750 policiers, devraient être envoyés en renfort à Mayotte pour l’occasion. Si la société civile comorienne dénonce ce nettoyage et tire la sonnette d’alarme sur ses conséquences, le pouvoir de Moroni, lui, évite de s’exprimer sur le sujet.
Faut-il s’attendre dans les prochains mois à une crise diplomatique entre Paris et Moroni ? Depuis que le Canard enchaîné a révélé l’existence d’une opération en gestation, dont le but est de raser les logements de tous les sans-papiers vivant à Mayotte, la question n’arrête pas de tarauder les esprits. Selon l’hebdomadaire satirique, très connu également pour ses enquêtes pointues, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, préparerait une expédition de grande envergure. Baptisée « Wuambushu », et validée par le président français Emmanuel Macron, elle consiste à mettre un terme par la force à l’immigration clandestine, considérée par certains comme responsable de tous les maux qui frappent l’île aux parfums. Pour se faire, le ministre compte déployer 750 policiers qui doivent mater en l’espace de deux mois les délinquants à machette qui sèment la terreur un peu partout. L’opération, d’après le journal, débutera le 20 avril prochain, une date qui n’a rien d’anodin a rappelé le Canard enchaîné. « Elle correspond à la fin du ramadan, et à l’examen, au parlement, du projet de loi sur l’immigration qui enlèvera certaines protections dont bénéficient les délinquants étrangers s’ils sont menacés d’une mesure d’éloignement », écrit le journaliste. Gérald Darmanin, qui lorgnerait déjà Matignon, veut transformer Mayotte en laboratoire.
Une opération qui inquiète
Si d’aucuns estiment qu’il est quasi impossible pour le gouvernement français de résoudre tous les maux de l’île, à Moroni, « le nettoyage » annoncé inquiète tout de même la société civile. Certains ont commencé à alerter sur les dangers de l’expédition du ministre français de l’intérieur. « On projette des pogroms, des décasages massifs menés directement par les forces de l’ordre. Les expulsions manu militari dites reconduites aux frontières se multiplieront. Des milliers de Comoriens dont des enfants, des femmes vont se retrouver dans la rue dans des conditions épouvantables ; et seront jetés en pâtures à des policiers sans scrupules et à des hordes haineuses encouragées et encadrées dans leurs forfaitures », craint Idriss Mohamed, défenseur d’une Mayotte comorienne. Le leader du parti Ukombozi s’interroge par ailleurs sur l’attitude que va adopter le gouvernement d’Azali Assoumani, récemment devenu président de l’Union Africaine. « Va-t-il opter pour les pirouettes et se cacher derrière des négociations illusoires secrètes ? », se demande Mohamed Idriss, dans une tribune publiée le 1er mars.
Un précédent en 2018
Le comité Maoré, lui, n’en démord pas non plus. A en croire son président, Youssouf Atick, cette opération est d’une gravité extrême qui s’appuie sur une loi française comparable aux lois de Pinochet, ex-dictateur chilien. « Sa mise en œuvre aura des conséquences sur la quiétude de la sous-région. Nous rappelons encore une fois que la France compte entreprendre des actions qui violeront les résolutions internationales », ajoute-il. En 2018, les relations diplomatiques entre la France et les Comores s’étaient fortement dégradées à cause d’une opération d’expulsion menée à Mayotte. Plusieurs Comoriens en situation irrégulière selon l’argument des autorités françaises avaient été chassés et mis dans la rue sans ménagement. Mais le bateau les transportant à Anjouan n’a pas été autorisé à accoster et a dû faire demi-tour, les autorités de l’archipel considérant que les ressortissants des autres îles ne sont pas des clandestins à Mayotte. En guise de représailles, l’ambassade de France à Moroni avait suspendu l’octroi des visas. C’était au mois de mai. A l’époque, la position comorienne faisait l’unanimité. Sauf que l’année suivante, en juillet 2019, Emmanuel Macron et Azali Assoumani ont signé un accord de partenariat à Paris, dans lequel la France a promis une enveloppe de 150 millions d’euros pour le développement de l’archipel. En contrepartie, Moroni s’engagerait à traquer les Comoriens qui tenteraient de rejoindre Mayotte.
Selon les données publiées par la préfecture, il y a eu plus de 25.000 reconduites à la frontière en 2022. Ce n’est pas tout. 772 kwassa-kwassa ont été interceptés l’année dernière. Avec ce deal signé il y a trois ans, une bonne partie de l’opinion ne voit pas comment l’opération de Darmanin échouerait étant donné que le point d’achoppement, notamment la question de l’accueil des reconduites a été réglée. En sa qualité de président de l’Union Africaine, le chef de l’État comorien, bénéficie certes d’un statut grâce auquel il pourrait se servir pour s’opposer à l’opération. Mais, comment osera-t-il affronter le pays qu’il aidé à accéder à la tête de l’UA ? Au lendemain de sa prise de fonction, des médias français ont assuré qu’Azali Assoumani est parvenu à obtenir la présidence de l’institution panafricaine grâce au lobbying de Paris. Une version que le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidie, a contestée quelques jours plus tard. Pour l’article du Canard enchaîné, les autorités comoriennes n’ont toujours pas réagi en revanche. Et la récente visite à Moroni, d’une délégation de la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) n’aurait rien d’anodin. Cet organe est le bras droit de la politique française à l’étranger en matière de sécurité intérieure. D’autant que pendant les discussions avec le premier flic des Comores, l’immigration clandestine figurait parmi les sujets abordés. Des signes qui laissent entendre un cautionnement de Moroni si jamais Darmanin exécutait sa mission.