Le front commun des forces vives contre la dictature, principale plateforme des partis politiques de l’opposition restés au pays, promet de ne pas laisser une mascarade électorale se reproduire lors des prochaines élections en 2024, sans pour autant fermer la porte à toutes discussions qui garantiront des scrutins libres. L’ancien gouverneur, Mouigni Baraka Said Soilihi appelle à l’unité des opposants afin de décider la démarche à suivre.
Le président Azali Assoumani sera candidat à sa propre succession, en 2024. Son parti, la convention pour le renouveau des Comores (CRC), l’a annoncé, le 22 janvier, lors d’une réunion aux allures d’un meeting tenu dimanche à Mde, une ville située à moins d’un kilomètre de la capitale. Si cette déclaration met fin au suspense qui entourait les ambitions du chef de l’État, au pouvoir depuis 2016, elle a revanche poussé l’opposition à se prononcer sur les scrutins à venir. Après avoir boycotté les législatives de 2020, les partis d’opposition opteront-ils encore pour la politique de la chaise vide, pendant les prochaines élections ? Probable. D’après les déclarations faites, jeudi dernier, par le front commun des forces vives contre la dictature, le boycott ne serait pas à exclure. Lors d’une rencontre organisée à Ikoni au sud de Moroni, la semaine dernière, les dirigeants de ce principal groupement réunissant les opposants restés au pays, ont clairement assuré que si les conditions ne sont pas réunies, ils ne laisseront aucune urne entrer dans les localités. « Azali Assoumani n’a jamais tenu compte de nos propositions. Rien ne le préoccupe mis à part son maintien au pouvoir. Il a d’ailleurs enfermé tout le monde, de Sambi à Salami. Il se fabriquera aussi un faux opposant qui se présentera pour donner une crédibilité aux élections. Mais ne nous agirons cette fois-ci », a mis en garde Ahmed Hassane El-barwane, le secrétaire général du parti Juwa, de l’ancien président Sambi. Ibrahim Abdourazakou Razida, porte-parole du front commun assure qu’ils sont prêts à se sacrifier, mais il est hors de question que la « mascarade » électorale de 2019 se reproduise. En 2024, les Comoriens seront appelés urnes pour élire les gouverneurs et le président de la République. Pendant les dernières élections anticipées, organisées après le référendum, les opposants ont dénoncé des bourrages d’urnes massives.
L’armée dans les casernes
Dans plusieurs localités, les forces de l’ordre avaient emporté le matériel avant même la fermeture des bureaux de vote, dont certains ont été saccagés par des militants de l’opposition ulcérés par la « triche » à laquelle ils assistaient. Des irrégularités confirmées par la plupart des missions d’observation internationales déployées sur place. Cela avait par conséquent conduit au boycott des élections législatives de l’année suivante. Toutefois, avant tout, plaide l’ancien gouverneur de l’île de Ngazidja, Mouigni Baraka Said Soilihi, l’idéal est de se réunir pour décider quelle voie suivre à un an du double scrutin qui normalement doit se tenir au plus tard au mois d’avril 2024. « Je respecte les avis des uns et des autres, même ceux qui appellent au boycott. Mais les leaders de l’opposition doivent s’asseoir autour de la même table. Ensemble nous discuterons ce que nous allons faire. Après les évènements de 2019, quand je dirigeais le conseil national de transition, tous les partis de l’opposition se sont mis d’accord pour ne pas participer aux législatives. Tout le monde a suivi le lot d’ordre », a rappelé l’ex-chef de l’exécutif de la Grande Comore. Comme les autres opposants, Mouigni Baraka Said Soilihi n’a pas caché sa méfiance envers l’armée, ainsi que les autres institutions en charge d’organiser des élections, à l’instar de la commission électorale nationale indépendante. Pour ces multiples raisons, le front commun exige d’abord qu’il y ait des préalables avant de parler d’élections. Un discours partagé par des partis d’opposition militant depuis la France. « Nous nous alignons sur la position de rejet de toutes élections sans des préalables précis, notamment la libération des prisonniers politiques, un dialogue sous supervision internationale et des élections transparentes, équitables comme en 2006 avec les forces armées nationales dans les casernes », a insisté Soilihi Mohamed Soilihi, du Mouvement démocratique alternatif pour l’innovation et l’écologie (Mdaie). L’ancien ambassadeur des Comores auprès des Nations Unies a rappelé aussi qu’en 2016 les candidats ont réussi à mettre de côté le code électoral de l’époque au profit d’un protocole qui a permis de garantir des élections transparentes.
Batterie de lois
Il est à noter qu’en plus des irrégularités constatées lors du référendum de 2018, ainsi que dans les autres scrutins ayant suivi cette réforme, il y a d’autres facteurs qui sont venus renforcer les craintes de l’opposition. A commencer par l’emprisonnement des prisonniers politiques : l’ancien président Sambi et Mohamed Ali Soilihi, condamnés en novembre. Le premier a même perdu ses droits civiques, pendant que le second est poussé à l’exil. L’adoption aussi d’une batterie de lois au mois de décembre dernier par les députés comoriens, majoritairement issus du parti présidentiel, inquiète. On peut noter la loi qui instaure le système de parrainage (3.000 au niveau national) pour les candidats à l’élection présidentielle. Selon toujours ce même texte, il est interdit aux Comoriens binationaux de briguer la magistrature suprême. Il faut d’abord qu’ils renoncent aux autres nationalités étrangères. Cette loi, adoptée mais pas encore promulguée, exclut une forte communauté comorienne détentrice d’une autre citoyenneté. La diaspora installée en France serait la plus touchée si le texte venait à entrer en vigueur lors des prochaines élections. Ce n’est pas tout. Le nouveau code électoral dispose d’un article qui met en garde contre toute action visant à contester la véracité des résultats officiels des élections. « Tout candidat, électeur ou parti qui le ferait par voie de manifestation ou déclaration publique est passible des sanctions pénales pertinentes », lit-on dans l’article 171, dudit code. A cela s’ajoute la question des membres de la cour suprême, le juge électoral qui valide les élections dont tous les membres sont nommés par le président Azali Assoumani, qui va prendre la tête de l’Union Africaine en février. Razida estime que toutes les lois adoptées récemment doivent être gelées avant toute discussion. La balle est désormais dans le camp du pouvoir.