Comores : Ahmed Wadaane Mahamoud : « À partir d’aujourd’hui, Azali n’est plus légitime »

Dans le cadre du système de présidence tournante initié par Azali Assoumani, ce 26 mai aurait dû marquer la prise de pouvoir d’Anjouan à la tête de l’Union des Comores. Suite à la suppression de la cour constitutionnelle et l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle particulièrement contestée, l’ancien putschiste ne cédera pas son siège. De quoi susciter la crainte d’une division du pays auprès de l’opposition.

Opposant, ancien diplomate et candidat à l’élection présidentielle de 2016, Ahmed Wadaane Mahamoud a éprouvé dans sa chair la violence du régime d’Azali. Arrêté et brutalisé en juin 2019 dans le cadre d’une manifestation à Moroni, l’auteur de nouveaux ouvrages sur l’histoire du pays enchaîne aujourd’hui les opérations chirurgicales en métropole. De passage à Mayotte, cet homme d’expérience livre ses inquiétudes concernant le contexte tendu des îles de la lune.

Flash Infos : La présence d’Azali au pouvoir en cette date symbolique marque-t-elle sa victoire totale ?

Ahmed Wadaane Mahamoud : On ne peut pas parler de victoire. Pour paraphraser Mitterrand, Azali s’est illustré comme le champion des coups d’états permanents. Cela commence en 1999, lorsque le colonel réalise son premier putsch. En 2002, il organise une mascarade électorale en évinçant ses opposants pour se retrouver en candidat unique. Lorsqu’il revient au pouvoir, son premier acte consiste en la suppression de la cour constitutionnelle. S’en est suivi une autre mascarade électorale. Autant d’éléments qui démontrent la nature putschiste de cet homme qui se maintient par la force des coups d’État. Il faut retenir une chose : Azali a été originellement élu pour un mandat précis. À partir de ce 26 mai 2021, il n’est plus légitime.

FI : Son autorité est en effet contestée, mais il est encore aujourd’hui à la tête du pouvoir…

A. W. M. : Ce n’est pas un pouvoir. C’est un déni de démocratie, une insulte au peuple comorien qui l’a élu pour un mandat de 5 ans. C’est aussi un geste de mépris envers la communauté internationale. Emmanuel Macron évoquait à ce titre en 2018 au parlement Européen la « fin de l’autoritarisme qui partout nous entoure« . La réponse n’est pas la démocratie autoritaire, mais l’autorité de la démocratie. Azali ne tient que par la force qu’il maintient sur le peuple comorien.

FI : Quelles ont été les manœuvres répressives en amont de cette date importante ?

A. W. M. : Azali a peur. Aujourd’hui, les forces armées sillonnent les rues. Il craint que la population se soulève pour lui rappeler que son mandat est arrivé à terme. Il utilise l’armée nationale de développement pour lui servir de rempart. Nous osons espérer que cette armée ne va pas accepter de tirer ou de tuer sur la population comorienne. Il peut encore rester de longues années au pouvoir. Aucun habitant d’Anjouan ou de Mohéli ne pourra l’accepter. Cela risque de démembrer le pays. Il faut à tout prix éviter cela.

FI : Quel est votre regard sur le rôle de la communauté internationale ?

A. W. M. : Les observateurs savent pertinemment qu’Azali se maintient au-delà des normes fixées par la Constitution. Il dit lui-même qu’il veut l’émergence des pays jusqu’à 2030, preuve qu’il peut se maintenir jusque-là. Il va falloir examiner les choses à partir de la date d’aujourd’hui, puisqu’il n’est plus légitime. La France est un partenaire de premier plan. Elle a tout intérêt à préserver les valeurs démocratiques et la stabilité de l’archipel. Voilà ce que nous attendons de la communauté nationale.

FI : Comment expliquer l’incapacité de l’opposition comorienne à se fédérer et à se renouveler ?

A. W. M. : Il y a une dynamique de projection de l’avenir. Des années de pratique dictatoriale ont fait émerger une force nouvelle au niveau de la jeunesse. Elle est impliquée dans une dynamique de lutte pour un État de droit. Il y a aussi la diaspora qui s’implique dans une dynamique de changement. Quelque chose va s’opérer. Il y a une prise de conscience à la croisée des chemins : celui de la démocratie et de l’État de droit. Nous voulons préserver l’unité des Comores. Il va donc falloir repenser ce pays dans un contexte de paix civile et de cohésion sociale.

FI : Au-delà de la colère sociale, quel est le bilan économique d’Azali ?

A. W. M. : Si les Comores tiennent économiquement, c’est grâce à la diaspora comorienne qui est un pilier essentiel. Pourtant, Azali a multiplié les déclarations venimeuses pour la disqualifier. Mais il faut insister aussi sur la jeunesse, qui constitue plus de la moitié du pays. En 2016, Azali proclamait « Un jeune un emploi« . Or, son premier acte politique a été de licencier 5.600 jeunes fonctionnaires sans les remplacer. On ne peut pas parler de politique économique sans voir l’état de cette jeunesse. Celle qui sort de l’université des Comores ou d’autres pays africains pour grossir les rangs des chômeurs.

FI : Cette jeunesse se retrouve parfois sur des kwassas en direction de Mayotte, comment analysez-vous la politique d’Azali sur ce point ?

A. W. M. : C’est un sujet sensible. D’abord, il faut dépassionner et décrisper les relations dans l’intérêt de la France comme des Comores. La France est un partenaire de premier plan. C’est aussi une terre d’accueil. Nos peuples ont des intérêts communs, à commencer par la sauvegarde de l’unité des Comores. Si des gens meurent en kwassa, c’est aussi parce qu’ils fuient la dictature de colonel qui tue et réprime la contestation. Dans ce climat de terreur, c’est logique que des gens cherchent des points de refuge. Ce drame est aussi l’un des aboutissements de la politique d’Azali. Il ne se gène pas pour utiliser cette pratique afin de faire fuire les opposants.

FI : Comment envisagez-vous la suite du quinquennat d’Azali ?

A. W. M. : Nous pouvons conserver un optimisme qui n’est pas béat. Nous pouvons faire confiance en la capacité du peuple comorien. Un peuple qui a horreur des armes. Un peuple qui aspire à son unité. Azali va forcément quitter les reines du pouvoir. De quelle manière ? Je ne peux le savoir. Mais il ne faut pas sous-estimer la volonté du peuple de sauvegarder son unité. Cette année, je suis convaincu qu’Azali rendra les clés du palais de Beit-Salam (le palais présidentiel : NDLR) .

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