Auditionnée ce mercredi 22 juillet par la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion, Dominique Voynet, la directrice de l’agence régionale de santé, n’a pas mâché ses mots au moment d’évoquer les principales difficultés rencontrées sur le territoire. Florilège de ses déclarations croustillantes qui risquent de faire jaser à Paris.
« Quand on a été professionnelle de santé, ministre, sénatrice, directrice de l’ARS, on a une liberté de langage que l’on ne rencontre pas souvent. » À elle-seule, cette phrase du sénateur Alain Milon, président de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion, résume parfaitement l’audition de Dominique Voynet, la directrice de l’agence régionale de santé. Et pour ainsi dire, cette dernière n’a pas mâché ses mots au moment de dresser un bilan, sous serment, ce mercredi 22 juillet.
Parmi les difficultés rencontrées sur le territoire, la principale est la suspension « immédiate et sans préavis » de tous les vols à partir du 20 mars. Pour l’ancienne maire de Montreuil, cette décision, « prise du jour au lendemain » a mis en péril l’acheminement des personnels de renfort et de relève et surtout le fret sanitaire. Une hérésie en cette période critique selon elle ! Puisque le pont aérien « sous-dimensionné et complexe » n’a fait que renforcer la concurrence avec l’île de La Réunion. Et surtout une alternative coûteuse, par le biais d’une délégation de service public, qui a empêché une garantie de ressource non négligeable pour la compagnie Air Austral, qui aurait pu empocher une enveloppe de 25.000 euros par voyage entre Dzaoudzi et Saint-Denis. « Ce n’est pas exagéré de dire que cette situation, qui a généré la mise en place de lourdes cellules logistiques, nous a bien plus pénalisée que la prise en charge des cas de Covid », a-t-elle tancé. Évoquant au passage les tensions existantes sur des biens de consommation courante, tels que le papier toilette ou le riz. « C’est une fierté d’avoir réussi dans la quasi-totalité des cas la continuité des approvisionnements. Nous sommes devenus très pro sur la chaîne civile et militaire, aérienne et maritime, sur le rôle des transitaires et des lettres de transport aérien, sur les procédures de dédouanement, sur les contraintes techniques. Nous avons harcelé les cellules de crise des différents ministères, justifié chaque demande plus ou moins urgente, plus ou moins sensible au chaud. Nous nous sommes arraché les cheveux quand un colis urgent n’était pas chargé suite aux caprices d’un pilote ou d’un gestionnaire d’entrepôt. » Dominique Voynet a également pris l’exemple du rapatriement des Français coincés à Madagascar et aux Comores pour dénoncer, une fois de plus, « les décisions brutales et imposées sans discussion par le ministère des Outre-mer ». Des retours de voyageurs sur l’île aux parfums dont elle n’avait connaissance que quelques heures avant leur arrivée à l’aéroport alors qu’il fallait organiser l’accueil sanitaire, l’hébergement, le suivi des quatorzaines… D’où son « impression permanente d’interférences avec la décision sanitaire », mais aussi « d’amateurisme ».
Des réunions ministérielles bien trop souvent inutiles ?
Et sur ce point, la directrice de l’ARS n’y est pas allée par quatre chemins pour relater « le rythme de production des instructions et la lourdeur de l’affaire ministérielle ». Ainsi, elle a fait référence aux multitudes de directives nationales, « des dizaines et des dizaines », « parfois redondantes, parfois contradictoires et inadaptées à notre territoire ». Pour étayer ses propos, Dominique Voynet a insisté sur « une multiplicité de canaux de remontées d’informations, très consummatrices en temps à un moment où nous étions sous l’eau ». Notamment des visioconférences à la pelle, « parfois concrètes et productives, parfois bavardes et inutiles ». Sans oublier « l’arbitrage interministériel » qui a provoqué des reports successifs, à l’instar de l’application du dispositif « tester, tracer, isoler », ou encore du feuilleton des tests obligatoire ou non qui « n’est encore que très provisoirement réglé ». En résumé, elle a regretté, semble-t-il, que Paris ne prenne pas assez en considération les réalités du terrain. Or, elle n’a cessé de rappeler que, non seulement, Mayotte avait un décalage de sept semaines avec la métropole, mais qu’en plus, le territoire avait subi un confinement bien plus long, alors qu’un tiers de la population n’a pas accès à l’eau.
Dominique Voynet en a profité pour mettre en exergue les faiblesses structurelles, comme les « modestes » capacités hotellières, dont la totalité est utilisée par les renforts de gendarmes et de polices, par la réserve sanitaire et par le service de santé des armées, et l’absence de lieu d’hébergement et d’isolement (l’internat de Tsararano a finalement été réquisitionné). L’occasion aussi de rappeler « le turnover habituel des personnels de santé et la modestie des équipes dans certaines spécialités ». « Quand on dit qu’il y a deux fois moins de biologistes à Mayotte qu’à Saint-Denis pour le même volume d’activité, ça veut dire quelque chose », s’est-elle interrogée au moment de son intervention. Autre problématique pointé du doigt : les tensions sur les matériels. « Je pense à la préemption jamais expliqué de respirateurs Hamilton commandés avant la crise au CHM et jamais livrés. À l’annonce de la livraison de respirateurs Monal T60, reportée de semaine en semaine, et de respirateurs Osiris arrivés après la bataille. »
Un franc-parler qui n’est pas souvent entendu à un tel poste. Et qui a visiblement convaincu les sénateurs Catherine Deroche et Bernard Jomier, qui ont tour à tour qualifié Dominique Voynet de « franche » dans son exposé. D’ailleurs, la directrice de l’ARS a considéré que le Covid avait offert une opportunité à Mayotte, à savoir une mobilisation sans faille des associations et de ses bénévoles, qui « ont permis en lien avec les équipes mobiles de l’ARS d’ébaucher un véritable réseau de santé communautaire espéré depuis longtemps ». « Je suis pleine d’admiration pour cette population qui a affronté cette épidémie dans des conditions très dures, avec beaucoup de courage et de sagesse », a-t-elle conclu. De quoi reconquérir le cœur des Mahorais, qui n’ont pas hésité à la lyncher durant cette crise ? Peut-être. Un peu moins celui des responsables basés à Paris en tout cas !
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